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Transmettre ce qui fait vibrer l’intelligence et le coeur

En septembre dernier, Xavier Gouet prenait la direction de l’ensemble scolaire Saint-Thomas d’Aquin-Veritas, dans la région lyonnaise. La devise de l’établissement « Esto vir », sois un homme, en dit long sur l’éducation qu’elle propose, dont le nouveau directeur se veut le serviteur[1]. Héritier de la tradition dominicaine, il invite le personnel éducatif à considérer l’élève dans l’unité de sa personne, portant sur lui un « regard de sagesse » fondé sur une pédagogie marquée par un renouvellement constant, une volonté de donner du sens aux actions et le goût de transmettre.

Voici quelques extraits de son discours de pré-rentrée, particulièrement lumineux et emplis d’espérance quant à la manière d’éduquer.

Transmettre : de la nécessité de maîtres pour ré-habiliter la vie de l’esprit

« Transmettre des connaissances, transmettre des valeurs, mais plus encore que transmettre, témoigner. Et l’on témoigne des belles rencontres que l’on fait. Quand un enseignant, au-delà de la transmission des connaissances qu’il possède, réussit à faire passer sa passion, son enthousiasme, son élan : il témoigne d’une vraie rencontre avec des connaissances vivantes qui l’ont bousculé, qui l’ont fait réfléchir, qui l’ont fait mûrir, qui l’ont aidé à mieux comprendre le monde et les hommes.

Car les connaissances passent heureusement encore par les être humains.  Oui, je sais bien que nos élèves peuvent avoir toutes les informations qu’ils veulent par internet, mais il leur manquera l’âme qui fait de ces informations des connaissances.  Et ils se désintéresseront bien vite de ces informations qui ne seront jamais devenues des connaissances et qui seront très vite devenues obsolètes.

En fait, nous avons à ré-habiliter une « aventure intérieure » : celle de la vie de l’esprit, contre le prêt à penser ou la surenchère du buzz des chaînes info et des journaux gratuits du métro.  C’est Pascal qui écrivait, dans les Pensées : «  l’homme est visiblement fait pour penser ; c’est toute sa dignité et tout son mérite, et tout son devoir est de penser comme il faut. » « Penser comme il faut » (pas « ce qu’il faut ») : « comme il faut » rejoint bien un souci de méthode. Nos élèves ont besoin qu’on les initie à cette vie de l’esprit, qu’on les guide, qu’on les aide à se corriger, qu’on les encourage, qu’on les félicite …

C’est une pure démagogie (et une folie suicidaire) de croire qu’ils pourraient s’auto-initier à coups de « projets interdisciplinaires » ou de « travaux de groupes ». Ils ont besoin de guides, d’initiateurs, et – osons le mot- de maîtres. C’est nous ! »

« Restons fidèles à notre mission, et passons sereinement et librement au travers des multiples modes de réformes dont l’Education nationale sait nous abreuver depuis des décennies. Il y a, me semble t-il, urgence à voir l’enjeu de notre métier : nous sommes des éducateurs, au sens étymologique, « des passeurs ». Nous sommes, aux côtés des parents de nos élèves, des adultes dont nous jeunes élèves ont besoin pour grandir en humanité. Quel rôle ! A l’occasion d’une rentrée scolaire où il nous faut nous remettre en route, il est bon de nous redire ce qui fait le cœur de notre métier. »

Témoigner : partager ce qui fait vibrer l’intelligence et le cœur

Xavier Gouet explique combien sa foi au Christ fait partie intégrante de son histoire personnelle comme dans son engagement professionnel. Pour lui, éduquer va de pair avec annoncer le Christ.

« Le témoignage chrétien n’est pas un discours qui veut faire entrer dans l’Eglise comme dans des clous, dans des postures uniformes ; ce n’est pas non plus un discours de valeurs humaines, si belles soient elles mais qui prôneraient une humanité autosuffisante.  Au contraire, le témoignage chrétien, c’est aller vers les autres pour leur témoigner qu’une rencontre avec le Christ peut être le sens de leur vie.  C’est simplement et sans complexe : partager ce qui participe à notre bonheur de vivre.  Et le faire naturellement : témoigner que, dans la foi, tout est grâce, et que cette grâce nous libère de la loi. » (…)

« Même si le terme nous paraît réservé au prêtre dans l’exercice de ses fonctions à la messe, nous sommes tous appelés à prêcher, c’est à dire, à aller vers l’autre pour lui partager ce qui fait vibrer notre intelligence et notre cœur. Vous connaissez le récit, dans l’évangile, des disciples d’Emmaus ; cela m’a toujours marqué : le Christ leur parle pour leur expliquer les évènements de la passion et leur cœur en est « tout brûlant ». Le Christ ne leur donne pas « des infos» : il marche avec eux, et sa parole les touche.  Faire acte de prédication, pour moi, c’est cela : marcher avec nos élèves, nos collègues, et que nos échanges atteignent le plus profond de l’être : le cœur.  Cela peut passer par un cours, la réponse à une question, un échange informel …

Faire de toute occasion une rencontre de cœur qui « ouvre vers le haut » … et qui laissera un chemin possible vers Dieu qui est présent à chaque fois que l’on cherche la vérité dans nos pensées et dans nos actes. » 

Une vision de l’éducation fondée sur la liberté

« La manière d’être dominicaine trouve son origine dans l’affirmation conjointe de l’existence de Dieu et de la liberté de l’homme. C’est la fameuse devise du journal créé par Lacordaire : Dieu et la liberté.  Cela a toujours fait sur moi l’effet d’un grand bol d’air … parce que cela veut dire que tout se joue dans une relation de confiance, et non dans une rivalité où il faudrait qu’il y ait un gagnant et un perdant.

Cette relation de confiance, je la vois dans plusieurs domaines qui nous touchent, nous enseignants et éducateurs. C’est la relation de confiance entre le savoir et la foi : notre intelligence doit ouvrir l’intelligence de nos élèves, et non pas la formater. Et dans la mesure où l’intelligence est ouverte, elle se posera immanquablement la question de Dieu à travers de multiples questions laissées sans réponse par nos connaissances. 

C’est la relation de confiance entre la vérité et la miséricorde : notre manière d’être auprès de nos élèves doit tenir ensemble ces deux principes. Nous ne pouvons pas dire la vérité sans tenir compte de celui ou de celle que nous avons en face de nous ; et réciproquement, nous ne pouvons pas enseigner comme s’il n’y avait pas de vérité à dire : nous serions dans l’illusion et la démagogie.

C’est la relation de confiance entre la responsabilité et la collégialité : nous avons tous, à la place qui est la nôtre, une responsabilité professionnelle. Mais souvenons nous que nous n’en sommes pas propriétaires, moi le premier. Nous avons à répondre, où que nous soyons, de la mission qui nous est confiée. Et cette mission, nous avons à la remplir collégialement, chacun participant à une oeuvre qui nous dépasse tous : l’œuvre d’éduquer des jeunes. » 

 


[1] Extrait d’une intervention de Xavier Gouet, lors de sa prise de fonction : « Quand fût venu le temps de penser à votre retraite, vous avez cherché, non d’abord qui pourrait vous succéder, mais surtout à qui passer le témoin d’un charisme et d’une histoire que vous avez servis avec humilité et fidélité. Il s’agit donc de tradition. Osons ce mot , si méprisé, tant par ceux qui veulent nous faire croire que l’histoire commence avec eux, face à un supposé obscurantisme du passé, que par ceux qui plaident pour un retour à des valeurs figées dans le rêve d ‘un âge d’or. (…) L’esprit de Saint thomas d’Aquin est lourd : il est dense, car il habite ces lieux multiséculaires ; il imprègne ces élèves, enseignants, éducateurs, directeurs qui s’y succèdent ; il fait vivre une histoire qui nous dépasse, car elle a commencé avant nous et se poursuivra après nous. Nous ne sommes qu’au service de cet esprit, et je veux m’y inscrire avec gravité et avec joie. »

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2 Commentaires

  1. SEJOURNE

    Merci pour ce témoignage qui me touche beaucoup car….je suis professeur de SVT à St Thomas d'Aquin à Oullins. j'ai relu avec plaisir et conviction ce discours de notre nouevau "boss".

    Comment avez-vous eu connaissance de ce discours ?????

    Geneviève.Séjourné

  2. Marie MCD

    Ayant quelques discours de pré-rentrée derrière moi…je peux vous assurer qu'il s'agit là carrément d'une profession de foi. Une phrase me fait bigrement sourire et opiner du chef "Passons sereinement et librement au travers des multiples modes de réformes dont l'EN sait nous abreuver depuis des décennies".J'imagine que Geneviève a beaucoup de plaisir et satisfaction à enseigner dans un tel établissement.Par contre je doute fort, que les jeunes de la banlieue lyonnaise franchissent un jour son portail d'entrée….Marie MCD

     

     

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