Dans le cadre du Festival du film et forum international sur les droits humains à Genève, "Complicit" dénonce l'intoxication des ouvriers de l'industrie chinoise. Depuis le 10 mars dernier, la 15e édition du festival se déroule en parallèle avec la session de printemps du Conseil onusien des Droits de l’Homme (www.fifdh.org).
Tourné durant 3 ans par Heather White et Lynn Zhang, deux américaines d’origine chinoise, le film nous entraîne sur les traces de Yi Yeting, 33 ans, activiste chinois de l’ONG Labor Action China, à Canton. Victime d’une leucémie à l’âge de 24 ans, suite à une exposition au benzène dans le cadre de son travail, il se bat sans relâche pour obtenir des conditions de travail sûres pour les travailleurs de son pays.
Le benzène est un solvant industriel cancérigène interdit en Occident depuis les années 70. D’autres ouvriers, exposés au n-hexane, un autre solvant, développent une paralysie des membres inférieurs. Contrairement à ce qu’affirment certains grands groupes, de nombreux travailleurs sont encore exposés à ces produits dangereux, notamment dans les fabriques chinoises de téléphones portables, ordinateurs, appareils-photo et semi-conducteurs sous-traitées par Apple, Samsung, Sony et autres marques.
Nombre de ces ouvriers et ouvrières viennent des campagnes chinoises où les conditions de vie très rudes, associées au manque de travail, obligent les familles à envoyer au moins un de leur membre travailler dans ces usines. Malheureusement, ceux qui tombent malades deviennent alors une charge supplémentaire pour leur famille déjà en difficulté financière.
Yi Yeting, marié et père d’un petit garçon de 5 ans, a déjà 28 chimiothérapies derrière lui lorsque débute le tournage du film. Malgré la fatigue et les difficultés sans nombre de son combat, on le voit visiter sans relâche d’autres victimes de telles maladies professionnelles. Il conseille, informe, documente et encourage les malades et leurs proches à sensibiliser leur entourage (notamment les collègues) sur cette problématique. Il les invite également à utiliser les réseaux sociaux pour témoigner de leur histoire. Lorsque les malades sont déjà décédés (souvent très jeunes) des suites de leur affection, Yi visite leurs proches pour les soutenir dans les démarches juridiques qui leur permettront au moins de faire la vérité sur la responsabilité de l’entreprise dans ce qui s’est passé. Mais c’est un travail long et fastidieux car les groupes industriels concernés nient souvent en bloc toute responsabilité et vont même jusqu’à corrompre le personnel des hôpitaux pour que l’affection en question ne soit pas reconnue comme maladie professionnelle chez tel ou tel patient !
A force de patience et de pugnacité, Yi Yeting est tout de même parvenu à réunir tous les documents nécessaires qui lui ont permis de faire reconnaître sa leucémie comme maladie professionnelle et de voir ainsi ses frais médicaux pris en charge par son ancien employeur.
Lors d’une réunion aux Etats-Unis traitant des responsabilités légales dans l’utilisation de produits chimique (au cours de laquelle Yi Yeting intervient par vidéoconférence), l’une des intervenantes mentionne qu’il en coûterait moins d’un dollar par téléphone portable pour utiliser un solvant moins dangereux que le benzène ! Elle souligne d’autre part que la pression est à exercer surtout sur les marques qui touchent le gros de la marge sur les produits (l’industrie chinoise ne toucherait en moyenne que 4 dollars par téléphone portable). C’est en effet aux marques d’exiger ensuite de leurs sous-traitants des garanties sur les conditions de travail de leurs employés, quitte à ce que la marge accordée à ces industries soit un peu supérieure à ce qu’elle est actuellement.