Discours de Mgr Auza
Excellences, chers Intervenants, Mesdames et Messieurs,
C’est pour moi une grande joie de vous accueillir ce soir à cet événement centré sur la personne, l’art et l’humanisme de Raphaël Sanzio da Urbino que sponsorise la Mission permanente d’observation du Saint-Siège ainsi que le chapitre newyorkais des mécènes des Musées du Vatican.
Ici, aux Nations Unies, nous parlons beaucoup de paix et de sécurité, de droits humains et de développement. Mais nous ne parlons presque pas, sinon jamais, de l’art et de la beauté comme étant cruciaux pour la réalisation de la vision et de la mission des Nations Unies. Il existe une subtile idée préconçue, sinon un préjugé, que l’art et la beauté n’ont pas de rôle dans la réalisation de ces piliers de l’ONU. Pourtant, nous croyons que la beauté artistique n’est pas étrangère aux objectifs des Nations Unies. Elle est même centrale à la formation d’une culture sans laquelle les nobles buts de faire progresser la paix, de soutenir le développement durable et de protéger et défendre la dignité et les droits humains ne peuvent être atteints. Après tout, la beauté n’est-elle pas la surabondance de la vérité et de la bonté ?
Le pape François a indiqué ce lien entre la beauté et ce qu’il a décrit comme l’écologie intégrale dans sa lettre encyclique de 2015 sur le souci de notre maison commune, Laudato si’. Il a écrit : « Il ne faut pas négliger la relation qui existe entre une formation esthétique appropriée et la préservation de l’environnement. Prêter attention à la beauté et l’aimer, nous aide à sortir du pragmatisme utilitariste. Quand quelqu’un n’apprend pas à s’arrêter pour observer et pour évaluer ce qui est beau, il n’est pas étonnant que tout devienne pour lui objet d’usage et d’abus sans scrupule. En même temps, si l’on veut obtenir des changements profonds, il faut garder présent à l’esprit que les paradigmes de la pensée influent réellement sur les comportements » et il a souligné le pouvoir de la beauté – à la fois naturel et artistique – pour élever nos mentalités.
En décembre dernier, au Vatican, dans un message aux participants à une conférence consacrée au rôle de la beauté qui donne un visage humain à nos villes à une époque d’urbanisation rapide, le pape François a insisté sur ce thème, affirmant qu’en réponse aux crises sociales et économiques qui conduisent beaucoup à l’agressivité et au désespoir, la beauté est nécessaire pour élever les regards et les cœurs des gens, restaurer la confiance et l’enthousiasme, les aider à recommencer à rêver et à redécouvrir leur chemin.
Citant son prédécesseur, le pape Benoît, le pape François a dit que l’expérience de la beauté authentique « n’est en aucun cas un facteur supplémentaire ou secondaire dans notre recherche de sens et de bonheur. L’expérience de la beauté ne nous retire pas de la réalité. Au contraire, elle mène à une rencontre directe avec la réalité quotidienne de nos vies, la libérant de l’obscurité, la transfigurant, la rendant rayonnante et belle ».
Les papes, les poètes et le commun des mortels ont été vraiment inspirés par le pouvoir de guérison et de transformation de la beauté qui illumine même le mal le plus sombre. C’est pourquoi, pour l’Église catholique, la « via pulchritudinis » n’est pas seulement un voyage artistique et esthétique, mais c’est aussi un voyage de foi, de nourriture spirituelle, de recherche théologique, qui mène à la véritable source de la beauté. Hans von Balthasar a beaucoup écrit et de façon très belle sur cela et Simone Weil a écrit à cet égard : « Dans tout ce qui éveille en nous le sentiment pur et authentique de la beauté, là est vraiment la présence de Dieu ». C’est l’esprit qui a sous-tendu le soutien de l’Église catholique à l’art à travers les siècles.
Dans son roman, L’Idiot, Fiodor Dostoïevski affirmait que « la beauté sauvera le monde ». La beauté n’a peut-être pas guéri le prince Mychkine de l’épilepsie, mais même la contemplation de sa propre maladie le transporta dans « un instant de très profonde sensation, débordant d’une joie immense et de ravissement, d’extase et de vie achevée »
Dostoievski et les papes ont des idées similaires sur le pouvoir de guérison et de transformation de la beauté. Dans sa Lettre aux artistes, le pape Jean-Paul II parlait de la « Beauté qui sauve » disant que « les hommes d’aujourd’hui et de demain ont besoin de cet enthousiasme pour affronter et dépasser les défis cruciaux qui pointent à l’horizon. Grâce à lui, l’humanité, après chaque défaillance, pourra encore se relever et reprendre son chemin. C’est en ce sens que l’on a dit avec une intuition profonde que ‘la beauté sauvera le monde’ ».
Le pape François a repris la même idée que Dostoievski en affirmant dans Lumen Fidei que c’est précisément en contemplant la mort horrible de Jésus que la foi se fortifie et reçoit une lumière aveuglante ; puis elle se révèle comme la foi en l’extraordinaire beauté de l’amour inébranlable de Dieu pour eux, un amour capable d’embrasser la mort en nous entraînant vers le salut.
Enveloppé dans la magnificence de la Chapelle Sixtine, le pape Benoît, lors de sa rencontre avec les artistes en 2009, citait une autre ligne de Dostoievski pour souligner l’importance essentielle de la beauté dans la vie humaine, rappelant l’affirmation provocatrice du grand auteur russe : « L’homme peut vivre sans la science, il peut vivre sans pain, mais sans beauté il ne pourrait plus vivre parce qu’il n’y aurait plus rien à faire pour le monde ».
La beauté a la capacité de libérer les plus profonds désirs de notre cœur et d’ouvrir nos yeux pour qu’ils perçoivent la réalité la plus profonde de la personne et du monde autour de nous. La beauté a aussi la capacité d’unir les personnes à travers des générations et des continents dans une admiration commune, établissant un bien commun transcendant qui peut être le fondement d’une conversation, d’une coopération et même d’une contemplation future. C’est pourquoi la promotion de la beauté doit toujours rester une partie cruciale du travail des nations du monde.
Un artiste qui a démontré sa capacité à toucher par la beauté ce qu’il y a de plus profond dans les personnes humaines, à travers toutes les génération de ces 500 dernières années, est le maître que nous célébrons et étudions ce soir, Raphaël. En travaillant à la Secrétairerie d’État du Vatican pendant un bon nombre d’années, j’ai eu le privilège de traverser très souvent les Loges de Raphaël, en particulier la seconde Loge où Raphaël a peint l’histoire du salut sur les 13 baies voutées. J’avais toujours l’impression de lever les yeux sur une Bible vivante. J’ai pu emmener beaucoup d’amis voir les « Stanze di Raffaello » ou « Chambres de Raphaël », au Musées du Vatican où l’on ne peut qu’expérimenter un profond émerveillement non seulement devant l’habileté de l’artiste, mais devant les plus profondes vérités et la beauté manifestées par son art. La « Dispute » dans la Chambre de la Signature, vous met littéralement à genoux dans une attitude d’adoration trinitaire et eucharistique. Cependant vous ne pouvez pas ignorer les scènes latérales peignant les plus brillants esprits dans un « débat » animé sur les mystères de l’Eucharistie devant eux sur l’autel et le Dieu trinitaire avec notre Bienheureuse Mère et les saints au-dessus d’eux.
Le pape Jean-Paul II, dans sa Lettre aux artistes de 1999, a dit à quoi cela ressemblait de vivre dans le palais apostolique, qu’il a appelé une « mine de chefs-d’œuvre peut-être uniques au monde » où certains des plus grands artistes de tous les temps « ont prodigué la richesse de leur génie, souvent chargée d’une grande profondeur spirituelle ».
Ce soir, nous aurons le privilège d’analyser certains de ces chefs-d’œuvre auxquels se référait Jean-Paul II, où Raphaël continue de prodiguer au long des siècles la richesse de son génie et celles de sa profondeur esthétique et spirituelle. Je suis très heureux que vous soyez ici !
Source : Zenith