Cristian Warnken, philosophe, poète et éditorialiste pour El Mercurio (Chili), évoque dans ces lignes la mort tragique d’un adolescent : « Si la mort d’un jeune n’a pas de sens, rien n’a de sens. Sommes-nous prêts, pour honorer sa mémoire, à rechercher un sens ? »
La presse l’appelle « l’élève », comme si ce jeune étudiant du collège de l’Alliance Française s’étant suicidé il y a quelques jours n’avait ni nom ni visage.
Derrière une nouvelle que nous lisons comme des spectateurs, des voyeuristes, se touvent un visage, un regard, les désirs tronqués de Nicolas Scheel, un jeune, presqu’un enfant.
Je ne peux m’empêcher de penser à lui et à sa famille à qui je tiens à manifester mon affection à travers ces quelques lignes.
S’est-il senti seul, humilié, menacé, n’aurait-il pas souhaité ou bien n’a-t-il pas pu ouvrir son cœur à quelqu’un ?
Je regarde une photographie de Nicolas servant le dîner à une femme dans une maison de retraite. Je le vois souriant, jouant au rugby. Il aimait griffonner quelques pensées sur les pages de ses cahiers. C’était un bon élève, un bon frère et un bon fils. Demeurent encore plus d’interrogations que de réponses.
Mais les questions vont bien au delà de celles que peuvent se poser les services de police face à une telle situation. Pourquoi y a-t-il autant de suicide et de dépression d’adolescents au Chili ? Pourquoi la consommation de marihuana s’est-elle à ce point étendue et pourquoi les jeunes souhaitent-ils disparaître dans des fêtes toujours plus aliénantes ? N’y aurait-il pas là un cri de désespoir devant une société du rendement, pragmatique, cynique, conduisant au dégoût et au non-sens ?
Et par ailleurs, que signifie éduquer aujourd’hui ? S’agit-il seulement de se préparer à des épreuves standardisées aux résultats mesurables ? L’éducation a été prise d’assaut par l’esprit calculateur. Parents et éducateurs sont responsables de cela, oubliant la dimension profondément spirituelle de l’éducation (et je dis spirituelle au sens large, pas seulement religieux). Et devant le fléau de la drogue, n’est-ce pas la première obligation d’un collège que de freiner et de protéger ses enfants avant d’appliquer scrupuleusement la loi, avec une précipitation rigide et absurde ? Ou bien, allons-nous remplir les commissariats de tous les jeunes ayant un joint dans leur sac ? Toutefois, il ne suffit pas d’ouvrir les sacs pour savoir la vérité.
Qui connaît le cœur de ses enfants ? Qui connaît le cœur des ses élèves ? Je n’ai jamais connu Nicolas Schelle. Ses proches me parlent de lui avec tendresse. Moi aussi j’ai été adolescent, moi aussi j’ai traversé les tempêtes propres à cet âge. « Ce jeune avait des problèmes » – disent quelques-uns. Quel adolescent n’en a pas ? A cet âge, moi aussi je me suis senti seul bien des fois, moi aussi j’ai griffonné mes pensées sur des pages de cahier, moi aussi je me suis trompé.
L’adolescence est comme la traversée d’un abîme, c’est l’âge où l’on voit mourir notre propre enfance. Que cela nous coûte et nous afflige de grandir ! Et plus encore aujourd’hui alors que tout le système pousse à abandonner l’enfance de manière prématurée. L’adolescence est aussi un âge où la créativité est débordante, où l’idéalisme nous saisit de l’intérieur. Nicolas aidait sa grande sœur dans l’accompagnement de mineurs en situation critique au Sename. Il aurait aimé étudier médecine et peut-être aller dans le sud.
Je pense à Rimbaud, le poète français qui avait 16 ans quand il écrivit ces quelques vers : « Mais, vrai, j’ai trop pleuré (…). Toute lune est atroce et tout soleil amer ». Et cette terrible confession : « Mais pas une main amie ! ». Je pense à Nicolas Scheel et j’aimerais revenir en arrière dans le temps, l’embrasser et lui dire : « tu ne me connais pas mais je suis toi ». Une fois encore Rimbaud : « je est un autre ».
Lorsque Nicolas est mort, nous sommes tous morts : ses professeurs, la direction du collège, ses parents, ses frères, ses amis. Tous. Mais il est plus facile de faire l’impasse sur la tragédie de sa mort que de prendre sur nous la vérité de celle ci. Sommes-nous prêts – afin d’honorer sa mémoire – à rechercher un sens ? Avons-nous suffisamment de courage pour le faire ?
D’un jeune mort prématurément, Enrique Lihn dit : « parce qu’un jeune est mort/ je demande qu’on me démontre une fois encore la valeur de la vie/ avant que ce ciel d’Octobre/ ne me fasse baisser les yeux vers une terre en ruines./ Toi et moi le connaissions/ il était comme nous/ ou meilleur que nous (…). »
Chaque dimanche, Terre de Compassion vous propose un rendez-vous contemplatif avec :
- Le prelmier dimanche de du mois, des nouvelles des missions Points-Coeur,
- le deuxième dimanche, un poème, un extrait d’oeuvre littéraire, ou encore des interventions de Cristian Warnken.
- le troisième dimanche viendra la photo du mois,
- et enfin, le quatrième, un texte spirituel.