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Retrouver la grâce et le charme de la musique : entretien avec Damien Poisblaud

Depuis 2004 Damien Poisblaud conçoit et fabrique des enceintes de haute qualité. Il a créé sa marque : Chamade. À l’origine de cette aventure, une passion : celle du son et de sa reproduction vivante . Entretien.

 Damien Poisblaud © Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons/ © Catalogue Chamade
 

Vous semblez avoir découvert tout seul le moyen de fabriquer vos enceintes d'exception.

Comme pour le chant, je suis surtout un autodidacte en effet. Depuis l’adolescence, j’ai une véritable passion pour le son mais je n’ai jamais cherché à devenir ingénieur en acoustique, parce qu’il m’a semblé que la formation théorique ne faisait pas tout ; pas davantage l’intuition seule d’ailleurs. Pour faire un bon cuisinier, il faut connaître les règles des bonnes associations et avoir une bonne intuition. De la même façon, pour fabriquer de bonnes enceintes, on doit connaître les grandes règles de l’acoustique, mais pour mettre en œuvre tout ce qu’il faut pour obtenir un vrai beau son, il faut aussi avoir du flair et une grande exigence d’écoute. En ce qui me concerne, c’est plutôt pour retrouver un goût que j’ai appris à cuisiner…

Il y a quelques années, un ingénieur en électro-acoustique est venu en stage dans mon atelier. Il passait beaucoup de temps à faire ses calculs, mais il lui paraissait difficile de discerner si le son de ses enceintes était conforme à la réalité. Cela m’a paru un vrai handicap pour qu’il puisse continuer dans cette voie ! Il en va de notre métier comme du médecin : la seule science ne suffit pas. Devant un patient, le médecin doit se faire rapidement une idée de ce qui se passe dans le malade. De la qualité de cette observation du patient, dépend une bonne partie de son efficacité médicale. Évidemment, aujourd’hui on encourage davantage les scanners que les intuitions parce qu’on croit  l’intelligence artificielle supérieure à l’intelligence humaine… C’est une guerre entre l’algorithme et l’intellect humain !

Concevoir une enceinte nécessite une écoute très attentive des sons, naturels d’abord puis des haut-parleurs ensuite. J’ai parfois été déçu par les résultats de réalisations très haut-de-gamme et très sophistiquées. Je préfère par exemple choisir un bon haut-parleur simple, et l’utiliser au mieux de ses qualités plutôt qu’investir dans une qualité exceptionnelle à n’importe quel prix. J’aime faire le pari des bonnes associations.

Vos dernières enceintes sont très originales : elles sont ouvertes à l’arrière ! Pouvez-vous nous expliquer ce choix ?

Le choix d’une « enceinte » ouverte sur une très large plage sonore (de 150 Hz à 15 KHz), est destiné à la fois à libérer le haut parleur des ondes néfastes qui lui reviennent des parois du coffret et à éviter les déphasages dus au filtre électronique dans une zone où l’oreille est très sensible. On obtient ainsi une bien plus grande pureté du son et un réalisme saisissant. Les micro-informations sonores qui résultent par exemple de l’ambiance du lieu d’enregistrement deviennent alors très perceptibles et participent grandement à ce sentiment d’aisance et d’aération qui impressionne tant les auditeurs de mes enceintes. Par exemple, on entendra la délicatesse d’un pianiste jusque dans l’extinction des notes, on percevra même les mouvements de son corps. À ce stade, les enceintes ne transmettent plus seulement une musique mais font apparaître aussi l’artiste qui l’a faite. Étonnamment la musique devient moins « bruyante », il y a du silence autour des sons et c’est très reposant.

Pour aller plus loin dans cette direction, je choisis des haut-parleurs dont la membrane est fine et légère, donc très réactive, ce qui permet de reproduire les détails les plus fins de l’enregistrement. Écouter de la musique devient un vrai plaisir. Si vous utilisez une membrane moins réactive, vous perdrez la dynamique originelle, pourtant si essentielle au rendu final ; votre enceinte rendra la musique uniforme et monochrome, gommera les finesses.

Votre expérience de chanteur a-t-elle une influence sur vos enceintes acoustiques ?

Il y a dans ma recherche, un lien permanent entre l’expérience du son que j’ai faite notamment au Thoronet en 1984 et ce que j’essaie de retrouver dans mes enceintes. Les sons que j’ai alors entendus dans cette église étaient d’une telle pureté et d’une telle intensité que c’est devenu pour moi un modèle absolu.

Pour ce qui est de la voix humaine, la résonance peut s’installer dans le corps tout entier. Si on la laisse faire… Le son se propage alors de manière omnidirectionnelle et cela produit une sensation à la fois très douce et très puissante. On retrouve ce type de voix dans beaucoup de chants traditionnels. Certaines techniques classiques en Occident privilégient au contraire les résonances qui portent le son vers l’avant. Pour moi, le son doit s’installer dans un corps libre de toute tension. Pour que la voix se diffuse aussi naturellement que possible, il y a donc nécessairement une certaine posture à trouver, ainsi qu’une grande liberté du souffle. De cette manière, la voix humaine peut remplir l’espace selon les trois axes de symétrie.

Il y a effectivement quelque chose de cela dans ma recherche pour les enceintes Chamade. Généralement, les enceintes condamnent l’onde arrière et privilégient le rayonnement frontal. Or, l’idée c’est de faire en sorte que l’enceinte ait un rayonnement semblable à celui de l’instrument lui-même. Un violon par exemple émettra dans toutes les directions de l’espace. En ouvrant l’enceinte à l’arrière, on retrouve un rayonnement plus proche de la sphère et de l’espace sonore qu’il y a autour du violon.

Une de vos nouvelles colonnes de basse peut reproduire des sons plus graves que ceux que l'oreille humaine peut percevoir. Pourquoi est-ce si important d'aller jusque là?

Ce qui est important, dans un premier temps, c’est de correspondre à la norme de Haute fidélité définie par ce que l’oreille humaine est en mesure de percevoir. Ainsi, il s’agit de pouvoir reproduire des ondes sonores de 20 à 20.000 Hertz, ce qui n’est pas facile. Or, certains instruments, l’orgue en particulier, peuvent descendre en dessous de ce seuil audible (à 16 Hz). A ce stade, le tympan ne vibre plus, mais le corps continue de percevoir. Les jeux 32 pieds d’orgue ne sont plus audibles mais ils enrichissent les jeux plus aigus qui s’appuient sur eux. Le fait de pouvoir reproduire les fréquences très graves permet d’élargir l’espace sonore. Les amateurs d’orgue apprécient la qualité de ces graves extrêmes, surtout quand ils restent très clairs.

Comment appelle-t-on votre métier? Y a-t-il une sorte de corporation des gens qui le pratiquent?

Je suis un fabriquant d’enceintes mais je n’ai pas connaissance d’une corporation dans notre métier. Chacun travaille dans son coin, peut-être pour garder ses petits secrets… Pour une grande partie de la production, c’est la logique industrielle qui commande. Pour les artisans comme moi, c’est plutôt la passion. Cela dit, cette passion commune permet de nous comparer à des métiers existant dans la musique, comme les luthiers par exemple. Une même passion pour la transmission d’un son aussi beau que possible anime le luthier et le fabriquant d’enceintes. La différence tient surtout à la part que prend aujourd’hui la technique, l’électronique notamment, dans la fabrication des enceintes.

Vos enfants pourront-ils un jour écouter de la musique avec un matériel banal?

L’avenir nous dira ce que feront mes enfants. Ce qui est vrai, c’est que d’une bonne enceinte à une enceinte de moyenne qualité, comme d’ailleurs d’un bon à un mauvais piano, ce sont surtout les détails qui font la différence. L’attention à ces détails offre à la musique enregistrée une dimension de plus, elle lui donne la grâce et le charme.

 

Pour plus de renseignements: 

Sur Terre de Compassion : L’excellence de la musique à la maison

Se renseigner ou commander : Chamade.

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