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« Et la mort elle-même ne peut rien contre moi »

Le 5 décembre, Jean d'Ormesson nous quittait à l’âge de 92 ans, laissant derrière lui une cinquantaine de livres et une fille, Héloïse, beaux témoins d’une vie ardente, subtile et surprenante. Retour sur cet homme « épatant » – mot qu’il chérissait et qu’il sut remettre au gout du jour.

On l’appelait « le Prince des Lettres français » ou encore le « dompteur des mots », ces mots qu'il savait si bien réveiller et rendre pleinement réels, intenses et concis ! Auteur d'une cinquantaine d'ouvrages, l’académicien Jean d’Ormesson mérite bien ses titres car, grâce à lui, la littérature a retrouvé ses lettres de noblesse ! Nous le connaissons aussi pour ses papiers dans le Figaro dont il fut nommé directeur général en 1973, puis pour ses chroniques au Figaro Magazine. Mais ce qui le fit connaître du grand public sont certainement les émissions télévisées, notamment Apostrophes où il paraît aux côtés de Bernard Pivot.

Enfant, il avait suivi durant toute sa scolarité les cours par correspondance Hattemer, ce qui lui valut une formation très rigoureuse. Plus tard, il assimila les joyaux des œuvres de Chateaubriand – grand classique trop peu lu de nos jours. Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure et agrégé de philosophie, il n'est pas à nier que la fiction des ses œuvres d'un style si élégant est bien souvent mêlée à son autobiographie.

L’ancien et le nouveau 

Dans son livre Au plaisir de Dieu (1974), il relate qu'il est né « dans un monde qui regardait plus en arrière » mais reconnait en avoir toujours apprécié les qualités – éducation, élégance, raffinement etc. 

Ses vieux murs de Saint-Fargeau furent une forteresse de tradition ! Cette forme de vie privilégiée mais néanmoins condamnée, le rendait aussi mélancolique… Il ne manquait pas cependant de s’émerveiller de tout, passionné pour ce changement incessant et toujours ouvert à de nouveaux interlocuteurs qu’il écoutait avec grande attention. Son engagement à l’UNESCO (il en devient le secrétaire général en 1950, puis président en 1992) atteste bien de son attachement à l’ancien comme au nouveau.

L’écrivain du Bonheur

Cet homme de lettres d'un charme inépuisable – ses beaux yeux bleus en disent long – et captivant, aimait répéter par goût de la vie « voyez comme on danse ». Fasciné, émerveillé et étonné par tout, il se voulait l’écrivain du Bonheur. Il disait « vouloir donner du bonheur, obsédé par le temps, afin d'adoucir le cours du temps » ! Il avait emprunté à Goethe une maxime dont il fit le volant de sa vie « Qu’elle soit belle, belle la Vie ». Irradiant toujours ce Bonheur, il estimait que celui-ci ne fonctionne que si le malheur n'est pas aussi présent car on n'a pas le droit d'être cruel avec les moins chanceux ! Il constatait cependant que le malheur fait la littérature ! Peut-être est-ce pour cela que lui fut reproché de ne pas avoir souffert…

Le dompteur des mots

Dans Comme un chant d'espérance, Jean d’O dit vouloir tenter de percer avec gaité « le mystère du Rien, c'est-à-dire du Tout ! ». Ce qu’il aimait, c’est le mot juste. Conscient autant qu’heureux de son bel héritage, il apparaissait comblé des qualités si précieuses du XVIIIe siècle, faites d'érudition et d'esprit. C’est cet héritage qu'il voulait partager avec humour, malice et frivolité, ouvrant la porte de ses subtiles pensées, sans pour autant tomber dans la condescendance vis à vis des lecteurs de son temps, qu’au contraire il admirait beaucoup. 

Par cette floraison de mots dont il avait l'aisance, il avait opté pour la légèreté feinte, afin de pouvoir tout dire et communiquer sa profondeur et sa sensibilité ! 

Lors d’émissions littéraires ou d’interviews, son esprit très français se reflétait dans ses réparties qui fusaient toujours succulentes, originales et drôles mais toujours respectueuses et affectueuses. 

Dieu, la mort, la vie

Il semblait avoir trouvé la source des valeurs et de la tendresse de la vie. Comment ? En y goûtant pleinement ! Avec le poète Aragon il disait « rien ne passe après tout, sauf ce qui est passé et ne meurent que ceux qui ont vaincu… alors aimons la mort et ne la craignons pas ». Il fut très conscient de la fragilité de la vie, décidé de ce fait à lui conférer une certaine douceur. Sans manquer d'y cacher son art de l'espièglerie ! Sa désinvolture pour parler de la mort lui faisaient dire : « je vis toujours », titre d'ailleurs de son dernier livre, à paraître incessamment.

Par son talent et sa vie si pleine, Jean d’O fut sûrement béni. Il reconnaissait cependant avec sincérité « mieux connaître les femmes que Dieu » ! Son admiration pour Jésus-Christ lui fit dire dans La douane de la mer : « Je crois que Jésus avait compris que la gloire des hommes est dans leur humilité. Ils deviennent plus grands quand ils cessent d'en vouloir plus…! ». Faisant un jour un mea culpa, il fit d’ailleurs sienne cette phrase de Leon Bloy « Il n’y qu'une tristesse au monde, celle de ne pas être des saints ».

Un écrivain aimé

Sa célébrité lui a conféré un lectorat très éclectique. Devenu si ouvert et rempli d'élan pour tout et tous, il appréciait chaque rencontre sans jamais se départir de son humour. On le disait séducteur, il serait plus juste de dire que c'est lui qui a été séduit par la vie et a su nous la communiquer de façon admirable. 

Au cours d’un hommage plein de dignité, le Président Macron releva que « Jean d'Ormesson fut un être de Clarté ». Terminons avec cette ultime image : comme Jean d’O l’avait souhaité, le président déposa sur son cercueil un crayon, le véritable compagnon de sa vie