Home > Société > Donnez-nous des maîtres !

« Lorsque j’étais élève au collège, je disais souvent : “Montrez-moi un homme de valeur, et je le suivrais partout.” Je demandais un homme ayant tout acquis de ce qui fait l’homme, et qui sût aussi transmettre son acquis, quête qui s’exprimait dans l’exclamation : “Donnez-nous un maître !” » [1]Père Jérôme, écrits monastiques, L’art d’être disciple, Sarment, p 330.

Ces quelques lignes de Jérôme Kiefer, avant son entrée à l’abbaye de Sept-Fons (voir sur Tdc : P. Jérôme : un phare dans la tempête), manifestent la nécessité de suivre une personne, d’écouter et de contempler un visage concret pour être éduqué, elles expriment le besoin de quelqu’un qui transmettrait non seulement des savoirs,  mais surtout, qui aiderait à vivre la vie avec plus d’intensité. Quel professeur des écoles ne s’est pas entendu appeler « maître ! maîtresse ! », plusieurs dizaines de fois par jour par ses jeunes élèves ? Que recouvre ce mot ? En quoi cette figure du Maître est-elle nécessaire dans l’éducation, comment s’incarne t-elle dans un établissement scolaire ? 

Le « Maître » s’inscrit dans une tradition, dans une histoire…

Le vrai guide –le vrai éducateur – est appelé à transmettre, il s’inscrit donc dans une histoire, dans une tradition, ainsi le professeur dans un établissement scolaire. Xavier Gouët, chef d’établissement du centre scolaire St Thomas-d’Aquin-Veritas, lors de son discours de prérentrée, l’exprimait ainsi, évoquant l’identité de leur « Maison », rappelant  aux professeurs que l’identité n’est pas quelque chose dont ils seraient l’origine, mais qu’elle est reçue : « C’est le cas de nos vies personnelles, ancrées dans l’histoire de ceux qui nous ont précédés et poursuivies au-delà de nous par nos enfants et les fruits de nos actions et de nos engagements… C’est le cas de nos vies personnelles que, dans la foi, nous croyons venant de Dieu et retournant à Lui. C’est le cas de la vie de nos institutions, de nos communautés humaines, de notre communauté ici réunie. Nous nous inscrivons dans une histoire qu’il nous faut respecter en lui étant fidèle : non pas d’une fidélité figée mais en continuant de faire vivre cette histoire dans notre époque. [2]Intervention pour la prérentrée des enseignants et du personnel du centre scolaire Saint Thomas d’Aquin-Veritas, le jeudi 31 août 2017.» Le récent dress-code de l’établissement, et  son nouveau blason témoignent de cet ancrage dans une histoire, dans une tradition, au sein de laquelle les professeurs et les jeunes peuvent développer « un vrai sentiment d’appartenance » [3]Ibid..

La transmission  requiert un maître

Faisant parler ses maîtres, Jérôme Kiefer illustre la nécessité de cet héritage : « Utilise ce qui existe déjà. Prends d’abord ce qui a été fait par d’autres. Reconnais ceux qui ont réussi dans toutes les découvertes du vrai et du bien, et commence par prendre pour toi ces réussites. Comprends que ceux qui ont bâti avant toi t’ont aimé [4]Père Jérôme, Ecrits monastiques, L’art d’être disciple, Sarment, p 350.». De fait, la fidélité à une tradition est source de la capacité de certitude, elle permet d’avoir des critères fiables, un socle pour connaître la vérité de manière plus profonde. 

 

Dans son ouvrage Le risque éducatif, Don Luigi Giussani s’efforce de montrer les conséquences néfastes pour les jeunes lorsque ce principe est nié : « cette négation prévaut dans la conception moderne, rationaliste et laïque qui fait de la personne l’aboutissement d’une spontanéité évolutive sans autre nécessité de règle et de guide que soi-même, c’est à dire sans que la personnalité ne dépende vraiment de quoi que ce soit [5]Don Luigi Giussani, Le risque éducatif, nouvelle cité.». 

A l’inverse, pour acquérir une connaissance ferme, pour pouvoir juger et poser des choix, il faut une unité de mesure, un critère offert par l’histoire et transmis par l’éducateur. Sinon, le jeune lui-même crée ce critère avec pour risque, bien souvent, que son choix soit réduit à une réaction, ou soumis à une force externe : il se laisse entraîner. 

Le clip Jeunesse influençable de Bigflo et Oli (cf l’article : Personne n’écoute les paroles ») nous présente, de manière certes un peu caricaturale, mais néanmoins attachante, une jeunesse vulnérable, ayant besoin de repères fiables pour être vraiment libre au lieu de simplement « suivre le courant », « faire comme tout le monde ».

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Don Giussani pose le diagnostic suivant : « L’influence de la mentalité laïque est très visible à l’école. (…) La dimension analytique qui domine dans les programmes, abandonne l’élève devant une masse hétérogène et devant une contradiction de solutions que le laissent, à la mesure de sa sensibilité, déconcerté et découragé par l’incertitude ». Il conclue : « Normalement, il manque au jeune un guide qui l’aide à découvrir le sens unitaire des choses  sans lequel il vit une dissociation plus ou moins consciente , mais toujours épuisante » ce qu’un jeune exprimait de la manière suivante : « On nous fait apprendre une infinité de choses mais sans nous faire comprendre le sens de ces choses [6]Ibid..

 

Et Don Giussani de faire remarquer, déjà dans les années 60 : « Il est étrange qu’on ait proposé comme école idéale une école où l’enseignement serait presque entièrement fait par un magnétophone : on ôterait au rapport enseignant-élève ce qu’il comporte de plus caractéristique de l’homme, l’apport humain, le génie du maître. »

Le maître s’appuie sur la tradition pour ouvrir à la vérité

Xavier Gouet l’exprime en d’autres mots, redisant à ses enseignants : « Ce que nous avons-nous-mêmes appris, les savoirs et les règles qu’il nous faut transmettre, il faut bien les développer et les présenter certainement différemment de ce que nous aurions fait à une autre époque ou dans une autre classe… pour que ces élèves que nous avons en face de nous puissent les saisir, les comprendre et se les approprier. C’est exactement le travail du pédagogue, et quelles que soient les réformes venues ou à venir, les élèves auront toujours besoin de pédagogues –au sens noble du terme, à moins de décréter qu’il n’y a plus de savoirs ni de règles à transmettre… [7]Intervention pour la prérentrée des enseignants et du personnel du centre scolaire Saint Thomas d’Aquin-Veritas, le jeudi 31 août 2017.» 

 

Au-delà de la seule transmission de savoirs et de règles, il perçoit qu’éduquer, c’est « redonner l’habitude de conjuguer raison et foi, culture et foi, connaissance et foi ; aider les élèves à se libérer de tout ce qui les entrave, les manipule, par ignorance, par crédulité, parce qu’il leur manque la force de l’esprit ; réhabiliter l’esprit qui pense, qui cherche la vérité, qui accorde sa confiance jusque dans la foi religieuse ; redonner de la place à l’intériorité, à la vie spirituelle en offrant aux élèves l’opportunité d’être éveillés à l’importance d’une dimension spirituelle en cohérence avec leurs années d’études où leur intelligence est sollicitée et avec leurs années d’enfants, d’adolescents ou de jeunes adultes où leur cœur est rempli de questions pour leur vie. » 

N’est-ce pas ainsi que Benoît XVI décrit le vrai éducateur ? « Les jeunes ont besoin de maîtres authentiques ; des personnes ouvertes à la vérité totale dans les différentes branches du savoir, sachant écouter et vivant à l’intérieur d’elles-mêmes ce dialogue interdisciplinaire ; des personnes convaincues, surtout, de la capacité humaine d’avancer sur le chemin vers la vérité.[…] »  Et au pape de redire aux jeunes professeurs d’université : « Je vous exhorte de tout cœur à ne jamais perdre cette sensibilité et ce désir ardent de la vérité ; à ne pas oublier que l’enseignement n’est pas une communication aride de contenus, mais une formation des jeunes que vous devrez comprendre et rechercher, chez lesquels vous devez susciter cette soif de vérité qu’ils ont au plus profond d’eux-mêmes et qu’ils cherchent à assouvir. [8]Discours de Benoit XVI aux universitaires, 19 août 2011, JMJ de Madrid.» 

 

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References

References
1 Père Jérôme, écrits monastiques, L’art d’être disciple, Sarment, p 330.
2, 7 Intervention pour la prérentrée des enseignants et du personnel du centre scolaire Saint Thomas d’Aquin-Veritas, le jeudi 31 août 2017.
3, 6 Ibid.
4 Père Jérôme, Ecrits monastiques, L’art d’être disciple, Sarment, p 350.
5 Don Luigi Giussani, Le risque éducatif, nouvelle cité.
8 Discours de Benoit XVI aux universitaires, 19 août 2011, JMJ de Madrid.
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1 Commentaire

  1. bekeongle

    Je vais faire un commentaire de cet excellent article en partant de mon expérience de père de famille ….                  En effet, depuis fort longtemps, mon épouse a développé un point qui m'a semblé, au fil des années, de plus en plus fondé : elle dit qu'il ne faut pas croire de façon non réfléchie à ce qui est présenté comme qqchose d'évident, à savoir que les parents influencent nettement leurs enfants, ce qui se résume dans cet apophtegme stupide "Tel père, tel …" Et pour nous qui avons eu 8 garçons, sa réflexion m'a toujours paru pertinente, n'ayant pour ma part jamais eu l'impression d'avoir engendré 8 clones …..c'est sûrement vrai pour Dolly, vous savez, la brebis, mais dans le cas de la famille humaine, non, au grand jamais !

    Et ma femme argumente ce point de vue de la manière suivante: il est évident que, dans les cas où les parents commettent des erreurs éducatives caractérisées, il y a là une forte influence, souvent source de réelles difficultés pour les enfants, voire de drames (alcoolisme, drogue, vie morale totalement déficiente etc..etc…)

    Mais dans le cas où les enfants se développent dans un cadre plus normal, les bonheurs et les aspérités de la vie familiale ont des répercussions sur des personnalités marquées par leur propre tempérament, et les réponses qu'ils adoptent au cours de leur développement personnel sont éminemment variables ! et pourtant, ce sont bien les mêmes parents …

    C'est pour ces raisons que les enseignants sont le point d'appui qui va permettre d'aider au développement des enfants et que la transmission dont il est question dans l'article est un des points sinon LE point capital pour les amener au statut d'hommes et de femmes (langage inclusif obligé ….) LIBRES.

    Et s'il y a bien une chose que l'Etat marchand ne supporte plus, c'est justement l'existence de ces gens qui se croient autorisés à suivre les voies de leur conscience, comme si la seule conscience que l'on devrait tolérer , c'est seulement celle qui permet d'apprécier les mérites de tell Iphone  sur tel autre, de tel écran sur tel autre, de tel partenaire sur tel autre etc… La Transmission, quelle horreur ! et dire qu'il y a encore des profs qui y croient !!!!