Après avoir été déclarée Grande cause nationale en 2011 par le premier ministre français de l’époque, voilà que le drame de la solitude réapparait sur le devant de la scène médiatique pour un bref moment, avec la nomination au Royaume-Uni d’une ministre de la solitude.
Cette nouvelle a fait le tour de la planète. D’un côté, ce fut un véritable évènement : quelque chose de surprenant, une « première » pour un gouvernement, et pour cette raison elle a fait les titres des premières pages. D’un autre côté, le contenu dans la majorité des cas fut traité de façon superficielle, sans véritablement prendre acte de la dimension du problème.
Pourquoi un tel paradoxe ? Très probablement parce qu’on ne veut pas trop prendre position, parce que l’on ne sait pas trop dire si c’est une bonne nouvelle ou pas. Plus profondément, parce qu’une réflexion qui dépasserait le phénomène médiatique du moment appellerait inévitablement à une profonde remise en question culturelle.
Les chiffres qui sont donnés demeurent alarmants : selon la Croix-Rouge britannique, quelque 9 millions de personnes se sentent souvent ou toujours seules au Royaume-Uni. Pis, plus de 200.000 personnes âgées ont confié à l’organisation Age UK n’avoir parlé à personne depuis plus d’un mois. Comme l’affirme la première ministre du Royaume-Uni, Theresa May, dans un communiqué : « Pour un trop grand nombre de personnes, la solitude est la triste réalité de la vie moderne ».
En France, la situation est très similaire. Jean-François Serres, conseiller au Conseil économique social et environnemental (CESE), préconise une nomination d’un délégué interministériel et soutient la création de ce nouveau ministère : « Le choix historique de l’Angleterre est donc une nouvelle importante qui ouvre le débat en France », certifie le conseiller [1]Les Inrockuptibles, A quoi sert le « ministère de la solitude » créé en Angleterre ?, 19/01/18.
Le plus grand mérite de cette nomination d’une ministre de la solitude en la personne de Tracey Crouch est peut-être d’évoquer une réalité que très peu veulent regarder en face. La commission en charge du dossier a même pu faire connaître certaines causes de ce mal invisible et notamment l’affaiblissement d’un nombre d’institutions qui établissaient des liens entre les personnes tel que les syndicats, l’Eglise, la famille et le travail. L’exemple des caissières des supermarchés remplacées par des machines est notamment cité. Cette mise en avant du problème, ces recherches d’explications où pointent déjà les excès d’une société matérialiste dirigée par le profit et la consommation sont les points les plus positifs de cette nouvelle.
Ceci étant, il ressort qu’à la racine de la nomination de Tracey Crouch un élément très important à été pris en compte, à savoir, le coût économique d’une personne seule pour l’État : 10 année de solitude pour une personne âgée équivaut à un surcout de 6.800 € selon l’études du London School of Economics. En effet, la solitude est associée, selon le rapport, à des maladies cardiovasculaire, à la démence, à la dépression ou à l’anxiété.
Et c’est là peut-être la dimension la plus inquiétante de la nouvelle : la nomination de la Ministre de la solitude ne semble pas avoir été décidée d’abord pour le bien des personnes isolées, mais plutôt pour diminuer les dépenses de l’Etat. C’est en fait, la dimension économique qui a semblé prévaloir.
Or c’est d’autant plus inquiétant, si nous prenons en compte que la racine de la solitude dans notre société moderne se trouve précisément dans le fait que tout est évalué principalement par un critère économique. Dit d’une autre façon, l’absence de toute dimension de gratuité dans la culture et dans les rapports humains de notre société moderne conduit à cet isolement de plus en plus important des personnes.
C’est ce qu’on bien saisi d’ailleurs certains libraires anglais qui ont protesté contre la décision du premier ministre Britannique. En effet, les librairies disparaissent par centaines à travers le pays depuis quelques années à cause des coupes budgétaires. Ces derniers, tout en manifestant pour défendre leur travail, rappelaient que lutter contre la solitude passe notamment par ces lieux de rencontres et d’échanges. Il s’agit donc, selon eux, d’un non-sens politique que de mettre en place un ministère de solitude tout en fermant les espaces créateurs de lien social.
Pour ne pas conclure sur cette note si pessimiste, il faut malgré tout citer qu’en parallèle à la nomination d’un ministre de la solitude, Theresa May a annoncé la création d’un fonds visant à promouvoir les initiatives locales et nationales à destination des personnes seules. C’est surtout cette mesure qu’il faut applaudir, car ce n’est qu’en redonnant au corps intermédiaires la place qu’il leur revient qu’une véritable société pourra se reconstruire. Ce n’est qu’en favorisant le monde associatif et de manière plus générale toute initiative qui favorise une vraie gratuité que la solitude perdra du terrain. C’est donc là une invitation urgente à sortir d’une logique strictement économique dans la prise de décision, une demande d’un véritable changement de paradigme culturel. Notre société est-elle prête à écouter cet appel ? Voilà bien le fond du problème.
References
↑1 | Les Inrockuptibles, A quoi sert le « ministère de la solitude » créé en Angleterre ?, 19/01/18 |
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Hello ! Super intéressante cette initiative. Après si le déclenchement est économique pourquoi pas. Reste à voir quelles initiatives naitront de cette nomination ! (attention coquille orth : "C’est ce qu’on bien saisi d’ailleurs certains libraires" — "ce qu'ont bien saisi", il me semble.