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God save the Queen, God save the King … et entente cordiale

Petite et grande histoire franco-britannique

Je suis originaire de Saint-Malo. Mes parents s’y sont rencontrés en 1956. Ma mère, qui n’a pas alors 20 ans, y travaille pour l’agence de voyage Thomas Cook… Dinard est proche et est un lieu de villégiature particulièrement apprécié des britanniques depuis le XIXème siècle. Vous l’aurez aussi sans doute compris, ma mère est un sujet de Sa Majesté Elizabeth II.

 

Hommages exprimés par les habitants de Londres (Source)

 

Mon père quant à lui est issu d’une ancienne famille de corsaires malouins. Corsaire, anglais… axiome ne faisant pas à priori bon ménage ! Dans la famille de mon père, comme on le faisait sur les ponts boisés des frégates malouines après quelques bonnes rasades de rhum, on chantait entre amis bien introduits cette célèbre chanson [1]https://www.musicanet.org/robokopp/french/letrente.htm [2]https://www.youtube.com/watch?v=WYNy0GM2gu8 « le 31 du mois d’aout » « …buvons un coup à la santé du Roi de France… et m**** au Roi d’Angleterre qui nous a déclaré la guerre. » Mais la révolution, le régicide de Louis XVI, Napoléon, Trafalgar, Waterloo puis Ste Hélène ont eu raison de la sempiternelle rivalité guerrière des 2 pays…au désavantage des français. A peine cela admis, la reine Victoria et Louis-Philippe puis Napoléon III fraternisent partiellement et se partagent quelques colonies. Partage inégal puisque, surement avec l’orgueil du « battant sur le battu », le Royaume-Uni se réserve cette part du lion qui le symbolise alors si bien, bâtissant ainsi cet Empire britannique qui dominera le monde plus de cent ans : « Mordons les premiers messieurs les Anglais, le Français a les dents élimées. » La revanche serait aussi un plat qui se mange froid…

Pour la grande histoire toujours, en 1904, avec l’implication déterminante du fils de la reine Victoria, le très francophile nouveau roi Edouard VII, une série d’accords bilatéraux permet la fameuse « entente cordiale » [3]https://francearchives.fr/fr/pages_histoire/39851 . Nos deux pays deviennent alliés, ils sont ensemble et sans arrières pensées durant la guerre 14-18 puis 39-45 et deviennent, à quelques grosses [4]https://histoire-image.org/etudes/flotte-assassinee-mers-el-kebir vexations prés, des pays amis.

Pour la petite histoire encore, en 1956 la rencontre cordiale improbable deux siècles auparavant devient probable. Ainsi mon père croise ma mère au large d’une terrasse de café de St Malo; Sans lui dire mot, c’est intérieurement qu’il pense « …voici la future mère de mes enfants ». Le reste est une belle histoire d’amour. Mariage à Ascot (GB) en 1957 et avant la fin de la décennie, je naissais. Pour la petite histoire de la petite histoire, le début de notre chanson malouine qui dit le mot de Cambronne [5]https://savoirsdhistoire.wordpress.com/2017/03/24/le-mot-de-cambronne/ au roi d’Angleterre commence ainsi: « Buvons un coup, buvons en deux, à la santé des amoureux… ». La boucle est bouclée, l’entente est cordiale, les cœurs sont unis.

Shillings et nouveaux francs

Alors que j’ai 6 ans et passe mes premières vacances en Grande-Bretagne, ma grand-mère maternelle, des amis et le reste de mon english family me gratifient souvent de belles grosses pièces de shillings argentées (et même une fois d’un gros billet d’une Livre !). J’y reconnais dessus une silhouette bien familière…c’est la même tête qui orne les timbres de ces fréquents courriers qui arrivaient chez nous en France : la tête de la reine d’Angleterre ! Je me souviens aussi de ses deux dés à coudre en porcelaine à l’effigie de son Altesse Royale que j’avais ramené comme souvenir pour mes deux sœurs…cadeau assez pingre il faut le dire ( j’ai évidemment aussi du sang écossais), acheté lors de ma première et ultime visite au château de Windsor, avec la petite monnaie plus cuivrée du billet d’un autre achat plus personnel et égoïste: Une splendide Aston Martin décapotable au 1/43ème qui éjectait un James Bond miniature, « espion au service de Sa Majesté ». La reine me devenait de plus en plus familière et admirable avec 007 comme chevalier servant.

 

 

De retour en France, un peu confus un temps, j’ai naïvement cru en regardant nos pièces de nouveaux francs que notre reine à nous français était Marianne et qu’outre son titre de reine des français, elle avait bien du mérite à semer en plus du blé dans les champs pour nourrir toute la patrie ! A défaut de cruelle, petite désillusion tout de même lorsque j’apprenais que Marianne n’existait pas…enfin, pas en chair et en os. La Queen Elizabeth, elle, est bien réelle, en pastel fuchsia ou en vert pomme, comme je la voyais à l’époque sur les photos de Paris-Match et Jour de France. Avec le recul, aussi, bien réelle la différence entre cette sorte de chimère idéologique républicaine rêvée que représente Marianne et l’incarnation véritable qu’inspire une monarque à son peuple. Intellectualisme français versus pragmatisme anglais. La frappe aux effigies respectives de nos deux monnaies nous définit et nous situe encore aujourd’hui dans deux histoires choisies, révélatrices en essence de ce que nous avons été, avons fait, sommes devenus et avons accomplis au fil de notre histoire récente. Avec ces deux piécettes miroirs et symboliques, nous rendons à César ce qui est à César.

 

File d’attente de sept kilomètres jusqu’au cercueil de la Reine. (Source)

 

So british…

Tout juste auréolé de mon baccalauréat, je me réjouis de rejoindre le Royaume-Uni pour entamer des études artistiques au Cambridge College of Arts. Je ne savais pas encore que j’allais passer les 15 prochaines années de ma vie en Angleterre. Quand on n’a pas 20 ans, à la fin des années 70, une école d’art en Angleterre, c’est effectivement très rock & roll! Tout de suite je m’y sens très à l’aise…Les gènes et mon flegme naturel j’imagine. Les jeunes filles adorent mon accent…j’en rajoute en insistant avec des « r » bien gutturaux, vanité d’un flatté surement intéressé. Au College of arts, nous sommes responsabilisés et très autonomes, moins de 20 ans et pleinement traités en adultes ! on appelle nos professeurs par leurs prénoms, on va au pub ensemble…mais attention, on ne fait pas copain copain…il y a un franchissement de ligne non écrite de respect que personne ne dépasse. L’agent d’entretien et le directeur du campus s’appellent aussi par leur prénom. Etonnant, je m’aperçois vite que les codes ici, à leur avantage je pense, sont très différents de ceux de ma France natale. Le britannique aime la simplicité. Il y a aussi les interminables et innombrables tea-breaks ( pauses café), forts sympathiques au demeurant mais à l’efficacité et à la rentabilité très discutables … notant qu’il faille en plus aussi faire grâce aux vessies et perdre encore plus de temps en allant « dépenser un penny » (« spend a penny », manière polie de dire que l’on va aux toilettes) …Margaret Thatcher n’arrivera au pouvoir que l’année suivante pour sortir définitivement le pays de l’insouciance de ces swinging sixties [6]https://fr.wikipedia.org/wiki/Swinging_Sixties qui trainent et remettre l’anglois au travail.

Enfin je n’aurai rien dit de ce pays si je ne mentionnais l’immuable, l’institution, le sacro-saint pub. Saisi de pitié devant le temps exécrable alloué aux Anglais, Dieu leur a sans aucun doute soufflé miséricordieusement, et ce n’est pas une maigre consolation, l’idée du pub ! Antre quelque peu féérique, maison de Hobbit au plafond bas, aux poutres et solives solides et rassurantes, où la lumière tamisée au travers de verres polis reste tranquille et fait écho aux conversations feutrées, où l’immanquable moquette rouge un peu grasse et fleurie est aussi épaisse que cette bière tiède que l’on y boit. Qu’importe… comme on y est bien, engoncés dans ces fauteuils et banquettes Chesterfield au cuir gommé, usé, lissé, au coin d’un faux feu de cheminée au vraies flammes à gaz. Et là, alors, savoir s’en désengoncer et, pinte tiède à la main, entamer une partie de fléchettes (darts), où la précision du tir reste proportionnelle au nombre de pintes consommées. Au pub, alcool aidant sans aucun doute, la réserve naturelle de l’anglais s’estompe. Il parle à son voisin. Au pub, il dévoile un caractère naturellement bienveillant et consensuel. Surtout, humour anglais oblige, l’on y rit beaucoup, de soi-même souvent, pour tout et pour rien, presque pour s’assurer d’affronter gaiement une sortie de pub sous la pluie glaciale ou le grésille, en parapluie et duffle-coat. Le pub, c’est le soleil anglais.

To love or not to love

Tant et tant de choses « so british » à aimer: le fait de se promener sans obligation de port de carte d’identité, les bobbies sans pistolets ( malheureusement cela change), la liberté d’être et de paraître aussi, sans jugement. Chacun s’affiche comme il le désire sans nécessairement éveiller le soupçon. Mon copain punk pouvait discourir et rire au pub avec un parfait gentlemen au chapeau melon, puis avec un (dejà!) vieil hippie…puis les trois de discourir courtoisement ensemble, puis même avec un Français… vous dire! Le lendemain nous prenions le thé chez sa grand-mère toute droit sortie d’un épisode de miss Marple, petits biscuits, nuage de lait, petit doigt levé et tout le tralala… concernant son apparence, elle s’était contentée de remarquer qu’elle préférait sa crête de mohican en bleu plutôt qu’avec cet orange criard de très mauvais goût ! Il a dit qu’il essaierait le vert ?… « cela sera bien mieux my dear ». J’ai revu mon copain punk il y a peu…chapeau melon vissé sur la tête. La proportion d’excentriques est telle qu’être normal en Grande-Bretagne deviendrait presque excentrique !

Et puis en vrac le football, le rugby, le golf, le tennis, les courses hippiques ; les groupes et musiciens mythiques parfois bien sulfureux et dont beaucoup son anoblis par la reine et portent le titre de « sir » [7]https://fr.wikipedia.org/wiki/Sir_ : Rolling stones, Supertramp, Genesis, beatles, Queen, Pink-Floyd, Dire straits, Led Zeppelin, The Who, Deep purple, Oasis , David Bowie, Elton John, Eric Clapton, ect…ect…ect; To be or not to be, Agatha Christie, Harry Potter; Les cocktails, le gin…mieux, le whisky! On aime à se moquer chez nous de leur gastronomie…pourtant, nous avons adoptés entre autre : le rosbif (roast beef), les cakes, les chips, l’english breakfast, le bacon, la crème anglaise, les sandwichs et le pic-nic. Certes, il nous reste encore à adopter la panse de brebis farcie, le poulet bouilli sauce cranberry et la fameuse jelly à la consistance, au gout et aux couleurs improbables…tout cela sera plus difficile à avaler je pense.

Tout est-il rose alors au pays de la rose ? certes non, mais la reine est morte…place au deuil et à l’indulgence. Laissons de côté la perfide Albion, le filer à l’anglaise, la guerre de 100 ans et Azincourt, Jeanne d’Arc brûlée, Henri VIII et le schisme, Mers-el-Kebir, la brutalité envers les écossais puis les irlandais. Aujourd’hui nous célébrons le souvenir d’une femme hors du commun.

 

Queen Elizabeth lors d’une visite à Berlin. (Photo: Internet)

 

To keep a stiff upper lip

Traduit littéralement on s’y perd un peu, mais c’est très imagé :  « garder une lèvre supérieure rigide! » En fait il faudrait traduire par « rester droit dans ses bottes et la tête haute face à l’adversité ». Cela définit assez bien le sujet britannique. J’ai toujours été assez admiratif de cette discipline et de ce sang-froid dont ils font preuve…tout en me rappelant que je suis moitié Anglais… étant officiellement Français, breton de surcroit, cela m’ennuie moins de l’admettre. L’anglais est pugnace sous sa carapace faussement indolente. Sous l’anglo…le saxon ! « Je n’ai à vous offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur » disait au peuple Churchill au début de la seconde guerre mondiale, face au danger imminent du nazisme. Tout un peuple l’a suivi, dans l’obéissance, le sang, les larmes et la sueur. Il a résisté ; il a lutté ; il a gagné. Il y a même une jeune princesse héritière appelée Lilybeth qui dès 17 ans conduit les camions ambulances (sans permis de conduire…les royaux en sont dispensés) et se rationne comme tous ses futurs sujets. Il y a 80 ans, tout ce peuple faisait la queue pour quelques grammes de sucre et one pound de topinambours…sans heurts, sans avantage, sans se plaindre, « stiff upper lip« . N’est-il pas émouvant de rejoindre l’actualité aujourd’hui et voir leurs petits enfants, arrières petits-enfants dessiner sur les berges de la Tamise une queue de 8 kms de long, sans heurts, sans avantage, sans se plaindre de la dizaine d’heures d’attente, pour venir rendre un dernier hommage à leur reine défunte ? Un peuple qui a été pleinement incarné par cette reine. Incarnation…c’est le mot clé. Que la reine soit d’accord ou non avec l’évolution de son pays, elle le représente. Droite dans ses bottes de cavalière émérite, elle a été la timonière au très long cours, sourcilleuse et très avertie du protocole (l’anti-gaffe par excellence), elle fut garante de cette longévité royale contre vents et marées, tempêtes familiales et médiatiques se chevauchant sur deux siècles! Un motus: « never explain, never complain… » [8]ne jamais s’expliquer, ne jamais se plaindre .Une ligne à tenir, un cap à garder…toujours. c’est long sur 70 ans! Toute l’intelligence de cette reine fut là. Avouons le, regardant le spectacle médiatique politique de notre chère France, nous devons être un peu jaloux de cette royauté qui unifie. Chose incroyable, Il n’y a pas de constitution écrite au Royaume-uni, seuls sur les armoiries royales, en français s’il vous plait, sont écrits une ébauche constitutive « honni soit qui mal y pense » que souligne encore plus fermement un « Dieu et mon droit ». Ainsi il semblerait qu’une une vraie bonne démocratie fonctionne au mieux lorsqu’à sa tête se trouve une reine ou un roi.

Aujourd’hui, la reine n’est plus; on l’enterre… alors GOD SAVE THE KING Charles III ! Et peut être, pour cette fois, comme on le fait pour souhaiter le meilleur à des examens, nous pouvons dire avec affection m**** au roi d’Angleterre…

 

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