Dans la nuit du 11 au 12 Février 2018, le père Jean Jacquemin a rejoint le ciel, à l'âge de 96 ans. A peine ordonné prêtre missionnaire des Missions Etrangères de Paris, il est envoyé pour 5 ans en Chine, puis il restera 68 ans en Thaïlande. Supérieur des MEP de 1975 à 1992, père Jacquemin fut pour beaucoup un père. Il a accompagné d’une manière toute particulière le Point-Coeur Bangkok pendant 26 ans, depuis sa fondation, par sa prière et sa bienveillance. Nous publions ici (en italique) un peu de sa vie, ayant recueillis ses propos quelques mois avant sa mort.
Le père Jean Jacquemin est né le 9 Janvier 1922, 3ème d'une famille de 6 enfants. Prêtre très aimé, il fut entouré jusqu'à ses dernières heures. Sa bonté et sa disponibilité frappait beaucoup ceux qui l'approchaient. Elles avaient certainement pour source sa grande fidélité à la vie de prière et un grand amour pour Jésus-Eucharistie : jusqu’à la fin de sa vie, il disait sa messe tous les jours, priait son bréviaire et une heure d'adoration quotidienne.
Il fut aussi un père confesseur qui a ramené beaucoup de personnes à Dieu. Ceux qui l'ont approché ressortaient frappés de la connaissance intime qu'il pouvait avoir d'eux, sans aucun mot de leur part.
Toujours très discret sur lui-même, d'un grand amour pour la Mère de Dieu, il avait très à cœur l'évangélisation de son peuple et de ceux qui lui étaient confiés, proches ou lointains.
P. Jacquemin, comment est né votre vocation de prêtre ?
« Alors ce dont je suis sûr, c'est que dès que j'ai pu parler, j'ai su que je deviendrai prêtre… C'est pas plus compliqué que cela, et c'est ce que je répondais à chaque fois que quelqu'un me demandait ce que je voulais faire.
Puis, au moment de la première communion, j'ai senti le besoin de devenir missionnaire. »
Ordonné prêtre pour les Missions Etrangères de Paris le 21 décembre 1946, il est envoyé pour la Mission de Cheng-Tu (Sichuan) dans la Chine de l'Ouest . Il y partira le 29 Avril 1947 et restera 5 ans en Chine. Il fut finalement arrêté, incarcéré, jugé et expulsé du pays.
« Je suis parti pour la Chine en 1947, je suis arrivé après 101 jours de trajet dans le Sichuan au beau milieu de la guerre.
Lorsque je suis arrivé en Chine, il y avait la guerre entre le gouvernement chinois et Mao Tse tung. Il était en train de prendre le pouvoir communiste en Chine. A cette époque, ils [les journaux en France] n’ont pas parlé de la prise de pouvoir communiste en Chine, car les communistes étaient maîtres en France.
J’ai été mis en prison en 1952. Ce qui m’a aidé à tenir c’est en partie la prière et en partie parce que je me suis présenté aux prisonniers comme un des leurs, comme une victime du communisme en Chine, un des leurs.
J’ai ensuite été jugé avec 5 autres personnes, 4 missionnaires et une religieuse. Nous devions être ‘expulsés du paradis rouge pour être envoyés dans l’enfer capitaliste’. C’était la sentence orale. La sentence écrite était très différente, mais je ne m’en souviens plus. »
Que voulez-vous partager de votre temps en Chine ?
« J'ai beaucoup aimé les chrétiens chinois, qui ont été des gens plein de foi, et qui se sont dévoués pour moi envers et malgré toute la menace des communistes. »
Et de votre incarcération et expulsion ?
« Pendant mon incarcération, ils ont essaye de me faire admettre que le communisme était bon pour moi. Quand ils m'ont explique le système communiste, je leur ai répondu en leur expliquant, en chinois, que le communisme était un danger très grand pour la Chine et pour le monde entier. Cela ne leur a pas trop plu.. mais ça a beaucoup plu aux autres prisonniers… »
Après son expulsion de Chine, il est envoyé en Thaïlande, d’abord à Tharee Nord-Est du pays, puis a Napo (près de Tharee), où il sera curé de paroisse, et enfin puis au petit séminaire au même endroit.
« Après avoir étudié la langue thaïe, j’ai été curé dans une petite paroisse. Les gens étaient très gentils. Cela à duré moins d’un an. Puis, les évêques m’ont envoyé au petit séminaire comme professeur de latin. J’y suis resté pendant plus de 10 ans. D’abord comme professeur auprès des enfants, puis ensuite, pendant trois ans, j’ai fait office de supérieur parce qu’il n’y avait personne d’autres et ils se sont prolongés en 5 ans. Au bout de 5 ans, ils ont tout de même trouvé un remplaçant.
J’aimais beaucoup les enfants et ils m’aimaient beaucoup, c’était réciproque, et mon départ a été difficile, aussi bien pour les petits séminaristes que pour moi. Nous étions très attachés les uns aux autres. Je pense que c’est mon caractère de m’attacher aux gens.
Apres mon départ du petit séminaire, un an en France, puis de retour en Thaïlande, dans le diocèse de Ubon, là j'ai été aumônier des religieuses, et aumônier de l'école des catéchistes pendant 7 ans. Après 7 ans, les missionnaires de Thaïlande (MEP) m'ont élu supérieur régional, j'ai fait trois mandats de cinq ans. Au bout de mon 3ème mandat je suis venu a Saraburi comme curé. Je fus curé de Saraburi pendant une dizaine d’années, et ensuite je suis reste en retraite dans une maison de la paroisse, et j'y suis toujours. »
68 années en Thaïlande donc, au cours desquelles il a accompagné toutes les volontaires Point-Coeur de Bangkok. L'amitié avec Point-Coeur nous enrichit mutuellement :
« Les connaissances et les cultures des membres du Point-Coeur diffèrent beaucoup entre elles ; elles diffèrent encore plus avec la culture bouddhiste thaïe de ce pays. Les volontaires s'adaptent sans grandes difficultés. La raison en est une vraie vie évangélique et une vie de prière constante. Les premiers qui bénéficient de cette atmosphère chrétienne sont, à mon avis, les membres du groupe elle-mêmes. La plupart reviennent dans leurs pays meilleurs chrétiennes que quand elles sont arrivées. »
Il fut enterré le 16 Février 2018, à Nakorn Sawan (ville du Paradis, en thaï).
Ses derniers jours sont ici relatées avec les yeux de Pauline GIMELLI, volontaire en mission au Point-Coeur de Bangkok, dans sa lettre aux parrains du 28 février 2018 :
« Le Père Jacquemin a accompagné spirituellement notre Point-Cœur de Bangkok depuis ses débuts. Toujours d'une oreille attentive, beaucoup de volontaires qui se sont succédées venaient le voir pour recevoir ses conseils avisés. Elles sont sûrement nombreuses les petites anecdotes avec le père et les anciens volontaires ! Pour ma part, il y a seulement quatre mois que je le connais mais nous avions déjà vécu quelques moments forts : la despedida de Nhi et Noël à Saraburi et son déjeuner d'anniversaire pour ses quatre-vingt- seize ans le mois dernier.
Depuis quelques années, le père vivait tranquillement sa petite retraite à Saraburi une ville situé à 100km de la capitale. Sa santé étant très mauvaise, il revenait tous les mois à Bangkok pour faire des tcheck-up à l'hôpital Saint-Louis accompagné de Boupaa, la petite femme qui était chargée de l'assister quotidiennement. Pour lui, manger, se vêtir, marcher était devenu très compliqué mais Boupaa veillait jours et nuits sur le père. Elle dor- mait au pied de son lit et d'un œil pour être toujours prête en cas de besoin. Hier encore, elle nous racontait en souriant que chaque soir, elle lui disait en français Bonsoir le père ! et il lui répondait Bonsoir la fille ! Quand il recevait de la visite, j'étais toujours très émue de voir Boupaa s'effacer complète ment pour laisser la place aux visiteurs et se mettre encore un peu plus dans une posture de service.
Il y a deux semaines, lors d'une énième visite à l'hôpital Saint-Louis de Bangkok, le père Jacquemin est tombé malade. Il n'était pas question de rentrer à Saraburi compte tenu de son état. Boupaa nous a appelé pour qu'on vienne. Nous savions que c'était probablement la fin… Pendant presque trois semaines avec les filles, nous nous sommes relayées à son chevet. Son état devenait de pire en pire, il souffrait beaucoup dans son corps, il était fiévreux, sa respiration était difficile et douloureuse. C'était la première fois que je prenais conscience à quel point la distance entre la vie et la mort n'est pas plus fine qu'un papier de cigarette. Dix fois, j'ai cru le voir partir, nous scrutions les moindres mouvements de vie. Bien qu'il ne pouvait pratiquement plus parler, il restait malgré tout très présent et nous répondait par de petits signes de tête. Beaucoup beaucoup de gens passaient le voir à tout heure de la journée et de la nuit juste pour s'asseoir à côté de lui ou alors pour lui tenir compagnie. Il n'était pas seul mais cependant son départ s'éternisait et par tant de souffrance, j'es- sayais de me mettre à sa place, comment ne pas se décourager ? Un Autre avait pu l'être il y a 2000 ans. « Mon Dieu, pourquoi m'as tu abandonné ? »
Au bout d'une semaine à l'hôpital, Boupaa nous a demandé de venir dormir avec elle la nuit, elle ne voulait pas être seule quand il partirait. Une à une, nous nous sommes donc aussi relayées la nuit. J'avais entendu dans une conférence « qu'on n'a pas l'expérience de la mort, la seule expérience que nous ayons est celle de la mort d'un autre, et l'autre que nous aimons. » Que faire dans une telle situation ? Lui tenir la main, assister Boupaa lors des repas, essayer de trouver les mots justes pour lui apporter un peu de réconfort, rester simplement en silence à côté de lui, prier de tout son cœur pour qu'il se prépare à partir, qu'il devienne encore un peu plus parfait, voilà ce que nous avons essayé de lui donner avec nos petites forces.
Un moment, j'étais à côté de lui et j'ai eu une envie irrésistible de lui dire que Jésus se tenait juste à côté de lui en ce moment et qu'il portait avec lui toutes ses souffrances. Et puis j'ai pensé aussi, Pauline, c'est bête, tu ne peux pas lui dire ça ! et je n'ai rien dit… Cinq minutes après, Astrid est arrivée et lui a dit exactement ce que je voulais lui dire. J'ai souri en pensant à l'Esprit Saint qui, devant ma réticence, avait quand même fini par trans- mettre son message… Plus tard, quand j'ai raconté l'histoire à Astrid elle m'a dit : « Tu crois quoi ? Je ne savais vraiment pas quoi dire… j'ai prié l'Esprit de me donner les mots. »
Finalement, le père s'est éteint la nuit de di- manche à lundi, le seul jour où ne pouvions pas être présentes… Il était par ailleurs bien entouré ! A présent, il y a cette extraordinaire joie de le sa- voir au ciel avec un corps glorieux lui qui a tant souffert dans ses derniers instants et la joie de le savoir accueilli dans les cieux le jour de la fête de sa paroisse de Notre-Dame-de-Lourdes à Saraburi. Drôle non ? C'était une expérience extrêmement émouvante et sanctifiante de l'accompagner dans sa fin de vie et de le faire pour tous les volontaires de notre Point-Cœur qui l'ont connu et qu'il a lui même accompagnées depuis plus de vingt ans.
Ce que je retiens en particulier de ces quelques jours à l'hôpital au côté du père, ce sont tous les petits, petits signes de vie qui m'ont procuré de très grandes joies ! Car si le père ne pouvait pratiquement plus bouger, ces signes témoignaient de sa volonté de nous communiquer sa présence et son écoute jusqu'au bout. Cette pres- sion de la main quand j'avais ma main dans la sienne, quelques sourires, un regard les yeux dans les yeux une longue minute, un mot entre deux souffles, le silence… et puis il y a tous les moments passés avec mes sœurs, Boupaa, le père Nicolas des MEP qui venait chaque jour et tous les amis du père ainsi que le personnel médical.
Pendant cinq jours, nous avons veillé et prié autour du corps avant l'enterrement vendredi à Saraburi.
Chère Marylène,
merci beaucoup pour votre message. Pere Jacquemin portait chacun de vous dans son coeur et sa prière, chacun des membres de sa famille. Je ne vous ai jamais rencontrée mais c'est tout comme, tant il m'a parle de vous tous. Je pense que vous lui étiez toujours présents. Votre venue en Janvier fut une grande joie pour lui. Votre famille est la bienvenue au Point-Coeur de Bangkok!