Rafał Baron est un médecin polonais, spécialisé dans le domaine « de la santé plutôt que de la maladie », en médecine tropicale et médecine des voyages. Il nous livre une réflexion sur la puissance de la Parole en médecine.
Bonjour Docteur, est-ce que cette fois-ci nous resterons dans le cadre de nos dernières thématiques ?
Oui. Cependant, avant de continuer de traiter leur contenu, qui pourrait apparaître trop théorique pour certains, je propose d’appuyer le présent entretien sur du concret. Sur quelque chose auquel nous avons affaire tous les jours, et que nous avons le plus souvent tendance à oublier, parce que trop évident, parce que trop… banalisé. Il s’agit pourtant d’un outil simple mais extrêmement puissant, dans un sens à la fois positif et négatif.
A quoi pensez-vous au juste ?
Aujourd’hui, les outils et le fondement de la bonne santé, ou du retour à la bonne santé, sont banalisés et ignorés, alors qu’ils se trouvent gratuitement à notre portée. Négligés, probablement parce que nous les avons dévalués. Je veux parler de la PAROLE, de la RESPIRATION et du MOUVEMENT. Leur banalité crève les yeux, ils sont tellement simples, tellement efficaces, tellement peu couteux… et pourtant, dans l’un des cours pour des étudiants de seconde année, lorsque nous nous sommes demandé de quelle façon la médecine pouvait avoir une mauvaise influence sur l’humain, en-dehors des produits pharmaceutiques et recherches, l’un des mots récurrents était « la parole »
C’est surprenant…
J’étais moi-même très étonné, pas tant par cet état de fait, que par la sagacité de mes étudiants. C’est un problème qui apparaît très souvent et sous différents aspects. Et c’est de cela que je voudrais parler dans notre entretien d’aujourd’hui. Car il me semble fascinant que quelque chose de si simple et si banal soit en même temps si efficace. Comment donc cela est-il possible ?
Comment se fait-il que quelque chose de « non chimique » et « non pharmaceutique » puisse avoir une force pouvant s’avérer à la fois thérapeutique et toxique – et ce pas seulement métaphoriquement mais organiquement ? En comparaison à ce qu’on administre par voie orale, par injection, par voie cutanée, la parole ne semble pas être un moyen attirant notre attention…
Justement. Je vous donne un exemple qui en dit long. Il s’agit d’une histoire racontée par Barry Benetta durant l’un de ses cours. Une femme était venue le voir au Chili avec son jeune fils, en lui disant : « Pourriez-vous prier pour lui ? Il est terrible, c’est un petit bandit. Stupide, bon à rien à l’école, grincheux à la maison, il frappe ses frères et sœurs… pourriez-vous prier pour lui ? » Barry lui répondit : « Madame, il est ici à côté de nous, il a tout entendu. Il est hors de question que j’inverse tout cela par la prière. Il inscrit constamment dans son esprit toutes les paroles négatives que vous émettez, les entend et tend à se conformer à ce qu’il croit. A ses yeux, vous-même, madame, vous avez dit ce en quoi vous croyez ».
C’est fort.
J’ai eu la même réaction lorsque j’ai entendu cela. Les paroles ont une force, tant sur le plan sonore que sémantique. Ces deux aspects sont intéressants. Nous traiterons d’abord du premier, le second sera davantage un pont entre cette question et ce que nous nous étions dit dernièrement, et que nous traiterons encore ultérieurement, autrement dit le monde biologique et physique dans sa plus petite dimension. Une sorte de charnière entre le monde matériel et … celui dont nous avons tant tendance à négliger…
Au commencement était le Verbe…
Cela est très juste. Si donc ce « Verbe » a autant de force, il a d’autant plus celle de blesser quelqu’un dans ses sentiments, ses émotions, et changer ainsi le cours d’une vie humaine. D’ailleurs, cette petite citation très courte que vous venez de nous donner est un passage auquel je reviens régulièrement, comme à un fondamental. Il est bon de s’y arrêter en silence. Dans la force de la parole se trouve la vie et la mort, alors même que nous l’employons si souvent à tort et à travers sans y prendre garde. C’est sur cela que s’appuie notre force de création : nous pensons, créons une image, et lorsque nous commençons à l’exprimer par des mots, des ondes sonores s’inscrivent dans la réalité physique concrète, et y exercent inéluctablement leur influence. Tant que nous demeurons dans la sphère de nos pensées et de nos images, notre impact sur l’entourage est assez faible ; en revanche, lorsque nous l’exprimons par la parole, nous déclenchons une cascade de réactions physiques et biochimiques, tant sur notre entourage que sur nous-mêmes. Ces vagues sonores affectent et construisent tout. Non seulement dans la nature, mais aussi dans le corps de celui qui les émet. Quelqu’un qui passe sa vie à tout maudire tend à se maudire lui-même également. Plus nous parlons de la « mort », plus elle travaille en nous. Concrètement, plus je laisse sortir de ma bouche les rumeurs, les critiques, le défaitisme, le négativisme, plus je contribue à leur force destructrice, initiant l’action du monde spirituel contre moi. Réveiller en quelqu’un un sentiment de culpabilité est un poison émotionnel des plus fréquents, et peut être un instrument pour arriver à ses fins : le parent envers l’enfant, le religieux envers le laïc, les conjoints l’un envers l’autre… De même qu’il existe des paroles qui permettent de mûrir, il existe des paroles qui infantilisent, asservissent ou emprisonnent. Notre langue a cette fonction d’aider, par la parole, à définir la réalité et lui donner sa force.
Comment ce que vous dites peut-il être orienté à des fins thérapeutiques ?
En premier lieu dans le domaine de la désintoxication. Sans cela, l’étape de la « créativité » ne peut pas avancer. En effet, par la parole nous créons l’environnement dans lequel nous fonctionnons. Et il est véritablement difficile d’entretenir une maturation constructive dans un environnement empoisonné. Pour cette raison il est nécessaire d’être vigilant : 1- Demande-toi quel espace environnant tu crées lorsque tu t’exprimes. 2- Utilise des formules adéquates. Par les paroles tu imposes une intensité à tes émotions, par exemple lorsque tu t’écries « c’est l’horreur », ou « je suis furax »… 3- Pourquoi utiliser à tort et à travers des formules telles que « désolé, mais… », « non mais… » ? Si tu veux que ta langue ait une force constructive, cesse donc d’utiliser inconsciemment ces formules. Mêmes le « pardon » ou le « s’il te plaît » peuvent être utilisé comme un moyen de manipulation, et nous privent alors de notre dignité. Nous sommes élevés dans une optique selon laquelle la politesse consiste à « se fondre », pour être mieux perçu par les autres. Ne t’excuse que lorsque tu es véritablement désolé, ou lorsque tu désires vraiment te faire pardonner. « S’il te plaît » et « Pardon », lorsqu’ils sont employés comme des automates, deviennent victimisantes. Remplace-les par exemple par « merci ». La gratitude est une posture qui a une influence bénéfique sur le cerveau. Quand on pense qu’une attitude continuellement reconnaissante régénère les cellules cérébrales ! 4- Est-ce que tes constructions verbales sont créatives ? ou bien te contentes-tu de formulations grossières (à ne pas confondre avec des constructions simples) ? 5- Cesse d’employer des expressions péjoratives, car cela change en conséquences ton mode de pensée. 6- Rappelle-toi, que tu récoltes ce que tu sèmes. La même force des paroles que tu prononces envers les autres te sera rendue. 7- A chaque fois que tu parles de toi-même à la troisième personne, tu te fais du mal, car tu te décharges de ta responsabilité. Il en est de même pour les constructions telles que « tout le monde le fait », ou « ça s’est toujours fait »… 8- Par quel langage t’adresses-tu à toi-même ? Que transmets-tu aux autres par ton langage ? 9- Fais attention aux paroles dont tu « t’abreuves », notamment de façon inconsciente, en allumant ta radio ou ta télévision comme « bruit de fond », lorsque tu es incapable de supporter le silence ? Tu écoutes des informations qui ont été « concoctées » pour réveiller en toi la crainte, et te maintenir en perpétuel état de tension. 10- Est-ce que tu t’adresses aux autres en utilisant des paroles qui les privent de leur estime d’elles-mêmes ? Il s’agit d’une injure. 11- Les paroles ont une influence sur le corps : on ne peut pas vivre dans un monde négatif et s’attendre à être en bonne santé. Le corps souffre lorsqu’il n’émet par la bouche que des contenus négatifs ! Quelles paroles te façonnent ? Quelles paroles ont façonné ta personnalité, t’ont créé tel que tu es ? Toutes ces réflexions suffiraient à alimenter de nombreuses discussions. Des années passées à évoluer dans un « environnement verbal » négatif, de peur, d’amertume, de haine… peuvent s’accumuler et se manifester finalement sous forme de symptômes concrets. Bien souvent par nos paroles nous maintenons en vie ce que nous aurions dû laisser disparaître depuis longtemps…
Pourriez-vous encore nous dire quelques mots sur le potentiel de la créativité ?
Nous portons en nous un potentiel tout autant destructeur que créateur. Et il dépend de nous d’être artisan de vie ou de mort. Il y a une loi, qui est vraie quoi qu’on en pense en l’exprimant : si on croit en quelque chose en le disant, on l’obtient. On libère les forces qui lui permettent de se réaliser. En un certain sens, on peut dire que même la structure moléculaire du corps fait résonner ces ondes sonores et s’identifie à ce qu’on exprime. Pourquoi alors ne pas mettre cette force à profit ? La parole est vivante. La vie s’est formée et façonnée par le Verbe. Les paroles influent sur la matière tout comme sur les émotions, et peuvent même les créer. C’est une tâche très bonne, bien qu’exigeante dans un premier temps, de s’efforcer de formuler ses phrases de manière à ce qu’elles soient constructives, sans interférence négative. Par exemple, le père remarque que son fils qui a des difficultés en chimie rêve de devenir médecin. Il peut s’énerver et dire « tu n’y comprendras jamais rien, c’est tout ; arrête de viser ces études, tu ne seras jamais médecin, laisse tomber, cela ne marchera pas »… Mais il peut tout autant dire « qu’est-ce qui te pose problème ? Permettrais-tu que je t’aide ? tu n’aimes pas la chimie ? essayons autrement ». Et cela est valable aussi pour la façon dont nous nous définissons nous-mêmes.
Peut-être encore quelques mots sur l’aspect physique, autrement dit sonore, des paroles, et sur la façon dont elle influence notre organisme ?
Je ne peux que renvoyer les personnes que ça intéresse aux travaux d’un physicien français, Joel Sternheimer, en collaboration avec Fabien Maman dans le domaine de la médecine par les vibrations, et qui montre quelle influence ont différents sons sur les cellule saines et malades ; de quelle façon les vibrations ayant une fréquence définie peuvent former des cellules, et sont même capables de les détruire ; comment réagissent à ces mêmes fréquences les cellules saines et les cellules cancéreuses. Les découvertes issues de leurs recherches à la photographie Kirlian sont fascinantes. Mais nous y reviendrons, ainsi qu’à leur évocation par le professeur Sadlak, à l’occasion de nos prochains entretiens.