Home > Littérature > Warnken : « Communauté »

Cristián Warnken, éditorialiste au Mercurio (Chili), poète et philosophe, partageait ces mots sur le sens de la communauté : « Si notre époque est malade de méfiance, d'insécurité et de peur, c'est précisément à cause de l'affaiblissement et de la destruction des communautés, qui sont comme les forêts. Quand on les coupe, il est plus dur de respirer et le désert avance. »

Parfois, la tragédie et la douleur cessent de faire la une des journaux pour frapper à la porte de ceux qui font partie de notre communauté (école, quartier ou groupe). "Il y a des coups si forts dans la vie… Je ne sais pas !“ dit Vallejo. Ce n'est plus – comme dans le poème – l'homme seul qui tourne les yeux perplexe devant ce coup ( "pauvre de moi, pauvre de moi !", s'exclame le poète), mais une communauté "affectée" qui se mobilise, comme un corps qui protège un de ses "membres". C'est une étreinte qui n'élimine pas la douleur, mais la contient. 

Là, nous comprenons que la communauté est un rassemblement d'êtres humains réunis pour faire face à la tempête et à l'abîme que nous sommes. La communauté est une forme d’abris, de protection, tout comme la maison, le domicile. L'être humain ne peut pas vivre à ciel ouvert sans un toit et des murs pour le protéger. Il ne peut pas non plus vivre sous le "ciel ouvert“ ontologique, sans communauté, cette grande maison dans laquelle nous trouvons refuge, chaleur humaine, proximité. 

Mais autour de quoi s'articule une communauté ? On a beaucoup parlé des grandes histoires qui ont fondé les communautés et les nations. 

Nous avons appris, après le XXe siècle, que ces grands récits, qui se transforment en idéologies, peuvent être des formes d'un narcissisme identitaire collectif très dévastateur. En voulant échapper à l'abîme, nous nous retrouvons dans un abîme bien pire. C'est pourquoi les communautés saines, non psychotisées par la peur et la méfiance, et donc non manipulables, sont celles qui construisent leur identité à partir de la fragilité, prenant conscience de cette condition qui finalement, plus qu'une faiblesse, peut être une force. Sans la reconnaissance de notre propre fragilité, il ne peut y avoir d'amour, et en reconnaissant que nous sommes fragiles, nous découvrons que l'autosuffisance est impossible. Une communauté de gens fragiles est beaucoup plus saine qu'une communauté avec un leadership fort et des vérités absolues. S'il y a une communauté, c'est parce que nous sommes incomplets, que nous ne pouvons pas faire face seuls à la vie, quelle que soit notre volontarisme.

Cependant, ce n'est pas une "Vérité" abstraite qui nous sauve, mais l'affection, exprimée par des gestes concrets. 

La solitude est fondamentale pour nous trouver nous-mêmes, mais il y a solitude et solitude. La solitude sans communauté est une désolation. En même temps, cette solitude est fondamentale et la communauté doit respecter l'intimité de chacun de ses membres comme étant sacrée. C'est ce qui distingue une communauté d'une secte. 

Rester conscient de la fragilité qui nous rassemble est le seul antidote contre toute mégalomanie ou psychopathie qui empoisonne la vie collective. En tant que communauté de personnes fragiles, nous ne cachons pas notre vulnérabilité humaine radicale et nous pouvons réciter ensemble ces fameux vers de John Donne "pour qui sonne le glas". Dans une communauté, les cloches sonnent fort pour toi, pour moi … " toi ", " moi ", des pronoms qui ne sont plus des forteresses, mais des portes ouvertes. Si notre époque est malade de méfiance, d'insécurité et de peur, c'est précisément à cause de l'affaiblissement et de la destruction des communautés, qui sont comme les forêts. Quand on les coupe, il est plus dur de respirer et le désert avance. L'individualisme pathologique et le collectivisme asphyxiant sont les antipodes du sens authentique de la communauté, quand nous allumons un feu de joie dans la nuit pour résister au froid et partager des histoires, pas pour écouter une seule histoire comme on le ferait avec une homélie ou un discours.  

Il s'agit de regarder vers le haut : les étoiles dans le ciel ne sont pas seules, elles forment des constellations, des pléiades ; et quand nous l‘abaissons, nous voyons les arbres ensemble, communiquant par les racines. Il n'y a rien de plus triste qu'un arbre seul dans un paysage aride. Comme le dit Octavio Paz, pour que " je puisse être, il faut que je sois un autre / sortir de moi-même / me chercher parmi les autres / (…) les autres qui me donnent la pleine existence ". 

Quand un membre de ma communauté souffre, je pleure avec lui, mais mes pleurs ne sont pas les mêmes que ceux du solitaire. Ou bien n'avez-vous jamais entendu les arbres enlacés pleurer quand une tempête inclémente s'annonce ? 

 

Traduction: D.C.
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