Le célèbre peintre Michel Ciry est décédé au lendemain de Noël, en guise d’hommage à ce grand artiste qui a tant contribué à éduquer notre regard et nous a introduit dans la profondeur du visage, TdC publie cet article dont la première partie est accessible ici.
Michel Ciry nous entraîne à aller au cœur de la réalité, dans le mystère de l’être. Mais comment nous manifeste-t-il le cœur de ce mystère, le cœur de la solitude ? Comme nous l’avons vu, il écrit qu’ « au-delà d’ingrates apparences, il s’agit de découvrir la source bruissante qui étanche des soifs très anciennes. Cette solitude dont je suis le chantre, elle n’est rien d’autre qu’un grave hymne d’amour » [1]CIRY M., « Le buisson ardent », p.32.. Cela se révèle explicitement dans sa parabole de prédilection avec les Pèlerins d’Emmaüs qu’est le Retour du Fils Prodigue qui est pour lui « le triomphe de l’amour, du pardon ». Ces toiles représentant les retrouvailles du père avec le fils sont comme une photographie de l’intimité du cœur de chaque homme. Le temps est comme figé, l’éternité est dans le temps : Silence, la grâce est en train de passer ! Ainsi, au sein de ce mystère de l’être, du cœur de chaque homme, au fond de la solitude, se cache ce trésor qui est amour, qui est miséricorde. Ce mystérieux bonheur qui émane de ce fait est déjà suggéré par l’harmonie des couleurs vives et étonnantes de ses toiles, la douceur des plis des tuniques. Cette miséricorde est présence, la Présence qui fait que l’homme n’est pas seul au niveau de son être.
Michel Ciry manifeste cette « révolution silencieuse », cette « bombe atomique intérieure » par ses toiles illustrant la Parabole du Retour du Fils Prodigue où la présence physique du père exprime la Présence du Père en chaque homme. Il s’agit d’une re-naissance pour le fils qui nous incite à prendre nous-mêmes conscience de cette réalité. Tel un nouveau-né, parfois nu, il a souvent la position du fœtus lové dans les bras de son père, au niveau de ses entrailles. Les mains du père plus grandes que la normale expriment la Seigneurie de Dieu sur la vie de l’homme, l’appartenance du fils en même temps que la certitude du « Je suis avec toi, je suis ton Père ». L’artiste nous fait ainsi prendre conscience de cette réalité exceptionnelle en nous, de ces épiphanies du fond de la solitude qui nous aide à affronter pleinement la réalité dans tout ce qu’elle est, avec ses joies et ses peines, où que l’on soit. A Points-Cœur, c’est une réalité fondamentale sur laquelle repose notre mission. Dans cette conscience d’être ce fils prodigue, accompagné par le Père qui demeure sans cesse dans notre cœur, les rencontres que nous faisons tendent à provoquer mystérieusement en l’autre cette conscience qu’il n’est pas seul, non parce que nous répondons nous-mêmes à son attente, mais parce que le mystère du Dieu, Père, Fils et Esprit-Saint en nous rencontre les trois Personnes en l’autre et que cette rencontre lui fait prendre conscience de cette merveilleuse réalité. Fort de la certitude de cette présence qui est « la source bruissante qui étanche des soifs très anciennes », l’autre peut s’appuyer sur celle-ci en son cœur pour affronter toute la réalité, toute! Notre amitié devient ainsi le déclencheur et le rappel de l’Amitié. Elle n’est pas une fin en soi mais une main tendue sur le chemin, comme nous le montre Ciry à travers cette main de Marie-Madeleine délicatement posée sur l’épaule de la Vierge au pied de la Croix qui ne comprend pas encore pleinement la situation présente, cette autre main d’un disciple d’Emmaüs sur l’épaule de son ami qui scrute le visage du Christ sans savoir encore qui Il est, les mains de Jean soutenant Marie-Madeleine afin qu’elle reste debout au pied de le Croix et l’orientant vers celle-ci, sans la détourner de son destin. Toutes ces mains délicatement posées sont compagnie vers le destin.
Nous sommes ainsi introduits dans la solitude du Christ qui est « une profonde communion avec le Père qui résiste à toutes les solitudes que l’expérience humaine nous fait sentir : solitude de n’être pas compris, solitude de n’être pas aimés, solitude de la trahison lâche des amis, solitude de l’hostilité ouverte, solitude de l’agonie et de la mort… C’est finalement la solitude trinitaire de la communion des Trois Personnes. Dieu est en son être même un mystère personnel de solitude infinie et communion infinie » [2]Don MAURO LEPORI, « Solitude et communion »..
Croix et travail
« Pour Marc… Ces 20 années de peinture et de souffrance ». Pour être conscient de cette rencontre avec la Trinité, le plongeon, le passage par la Croix, est nécessaire. C’est ce que signifie cette dédicace d’un de ses journaux à un ami. Comme la croix est le passage emprunté par le Christ pour aboutir à la résurrection, le même passage est dorénavant inscrit dans la loi de la nature et dans la création artistique particulièrement. Nous disions que les toiles de Michel Ciry sont une méthode, une pédagogie pour aller vers le dedans, une invitation à passer de l’autre côté de la réalité. Or, la méthode par excellence est de suivre le Christ et de le suivre jusqu’à la Croix, pour aboutir ensuite à la résurrection. C’est que l’œuvre et la vie de Michel Ciry sont traversées par la croix, non par décision personnelle mûrement réfléchie mais plutôt par vocation : « Je ne demande que ça d’être le peintre de la rédemption, mais ça ne s’impose pas. J’ai beaucoup traité le thème de la Passion. Ce n’est pas une œuvre triste comme beaucoup de monde le dit car le public est très léger, mais grave » [3]Rencontre avec Michel Ciry (vidéo).. Les thèmes de la croix reviennent très souvent (Stabat Mater, Jean et Marie près de la Croix…) mais plus largement, tous ses personnages expriment quelque chose de la Croix, par leurs traits tirés, leur maigreur et leur regard dramatique. La vie elle-même de Michel Ciry, qui est définie par sa tâche reçue, est pétrie de cette croix : « Comme je vise assez haut, je souffre de ne pas y parvenir. Rien n’est facile pour moi » [4]Rencontre avec Michel Ciry (vidéo).. « La peinture, et encore pire la musique, sont des arts tellement difficiles que l’intérêt subsiste mais le plaisir est tué. Je suis une victime! » [5]Interview à Varengeville-sur-Mer, le 23 juin 2004..
Michel Ciry est un maître pour Points-Cœur car il n’a pas peur de faire ce plongeon dans les apparences, la solitude, pour nous rendre accessible l’être dans lequel réside le chef d’œuvre, la solitude habitée par la Présence. Et ce chemin passe inévitablement par le Golgotha, le sacrifice. Cette souffrance est la condition de la dilatation de la solitude dans la communion. L’artiste nous entraîne ainsi à embrasser pleinement la solitude. Alors, « il serait vraiment dommage de rater le miracle de la conversion de notre solitude en communion féconde, simplement parce qu’on se trompe de projet, parce qu’on voudrait vivre autre chose, parce qu’on rêve d’une fécondité sans passage par la mort, ou parce qu’on se croit déjà fécond tout seul » (Don MAURO LEPORI, « Solitude et communion ».)).
En ce lendemain de la Nativité, Michel Ciry a accompli cet ultime passage pour communier à la Présence qu’il a cherché inlassablement.