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La vie quotidienne, notre compagne la plus fidèle pour 2023 !

Le poète Christian Bobin est mort le 23 novembre 2022, après nous avoir enchantés de nombreuses années par ses vers. Terre de compassion lui a rendu hommage dans plusieurs articles. [1]Un éclair de compassion dans l’émission « La Grande Libraire »;  Musique et poésie : deux sœurs qui consolent Mais peut-être, n’a-t-il pas dit son dernier mot : de ce monde invisible si souvent évoqué, ne nous adresse t-il pas ses ultimes vœux, qui valent, sans doute, non seulement pour 2023 mais pour la vie entière, évoquant la bonté du monde et la splendeur de la vie quotidienne…

Avec cet extrait, nous vous souhaitons une bonne année 2023 !

 

Frédéric Eymeri – Contenants – huile sur toile (lin) – 46 x 38 cm

 

« Pourquoi ne soupçonnerions-nous pas une bonté dans le monde ?

Curieusement, dans ce monde même qui nous accable, pourquoi ne soupçonnerait-on pas une bonté, qui est ici, ou là ? A nous de la trouver et de la formuler en la protégeant : que la formule qu’on lui donne la protège…

Je soupçonne la présence de quelque chose dans ce monde. Je pressens que nous ne sommes pas jetés comme des dés sur un tapis noir, avec des chiffres de néant, avec 0 marqué sur toutes les faces. Je soupçonne que la vie a un sens plein, parfait. Je ne fais que le soupçonner, je ne peux pas l’asséner, ce n’est pas un dogme, je n’ai pas de catéchisme, je n’ai pas le Vatican derrière moi, je ne me repose sur aucun marbre. Alors, Dieu, se serait quelque chose qu’on soupçonne, qui passe ici ou là, comme passent les gitans.

On dit que je parle de petits riens, ce ne sont pas des petits riens en fait, ce ne sont même pas des riens. En tous cas, ils ne sont pas petits, c’est un infini qu’il y a derrière. Mais curieusement, il faut le serrer avec deux doigts de bébé, de nouveau-né.

C’est la vie quotidienne, qui est la seule que nous ayons ! La vie amoureuse irradie la vie quotidienne, elle l’électrise, mais la vie quotidienne est sa substance. Sans vie quotidienne, il n’y a plus rien.

 

Frédéric Eymeri – La Lettre « A » – huile sur toile de lin – 55 x 46 cm

 

C’est la partie la plus belle, parce que c’est la partie qui va rester avec nous jusqu’à la fin. Les autres choses, qui sont parfois comme des décors, ou comme des gloires que l’on se donne ou qu’on vous donne, elles partiront. Les beaux oiseaux qui se posent sur nos épaules, ils s’envoleront. Mais ce qui va rester, ce sont nos épaules, ce sont les maigres tissus qui sont dessus, ce sont la sensation de froid, de chaud… ce sont des choses comme ça qui vont rester, toujours. C’est notre compagne la plus fidèle la vie quotidienne, et c’est de l’or absolu.

[…] L’écriture a des yeux. Je n’invente pas les choses. Cette splendeur du quotidien, je sais que je ne l’invente pas, simplement je décape, j’abrase, je décape la poussière du monde qui est retombée sur nous qui retombe sur nous continuellement, la poussière des modes, les règnes des pouvoirs, les règnes des dogmes, […] j’essaie de décaper, et dessous, dessous, je vous assure, c’est de l’ or : une pomme, la joie de quelqu’un qui vous parle, un mot fulgurant qu’on vous adresse, ou la merveille d’un nuage pommelé, ou une phrase presque teigneuse de Monsieur Pascal… »

 

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