Serge Laval est jardinier professionnel à Saint Etienne, dans la Loire. La nature a fait de lui un chercheur à l’écoute « de la moindre parole ». Nous nous approchons de son jardin pour découvrir sa relation singulière avec le monde des plantes.
D’où te vient cette passion du jardinage ?
C’est une passion qui m’habite depuis mon plus jeune âge. Depuis l’âge de huit ans, où j’habitais à la campagne avec les animaux de la ferme. A l’époque cela m’a donné envie de vivre dans la nature ou du moins d’être proche d’elle. Á l’âge de dix quinze ans, je suis allé vivre dans les pépinières pour y apprendre l’horticulture, afin d’être paysagiste. Depuis très jeune, je cherche donc à comprendre la nature. Mon père était aussi jardinier, cela aide pas mal ! C’est vraiment une histoire de famille peut-on dire.
Que t’enseigne alors cette nature ?
Côtoyer la nature pendant cinquante ans, être souvent les mains dans la terre, m’a appris à venir plus gentiment près d’elle, à la dompter, à voir la sainteté en elle.
Pour moi, tout est divin dans la nature, même une simple ortie. C’est un bienfait offert par cette nature. Je la mange d’ailleurs en soupe, en épinard.
On a l’impression que les plantes sont invisibles, ce n’est que de l’herbe. Et puis petit à petit, on commence à apprendre leurs noms. L’ortie, « urtica dioica » me plaît beaucoup ; c’est un nom magnifique ! Il y a par exemple une grande variété de plantes qui sont dioïques, c’est-à-dire qu’une plante sera ou bien mâle ou bien femelle.
Tu parlais de « voir la sainteté en elle »…
La nature nous attire. On a envie, même si elles nous brûlent les doigts, d’aller cueillir quelques-unes de ses feuilles, pour cuisiner quelque chose de bon. Elle nous appelle. Quand on connait déjà la nature, elle nous appelle. Si on ne la connait pas, on prend ce qu’on voit pour des herbes indéfinies et on ne comprend pas l’appel qu’elle nous adresse. Mais chaque plante a un appel différent.
Mes légumes m’appellent différemment qu’un arbre. Le légume par exemple va tout de suite m’expliquer qu’il a soif, qu’il n’a pas assez à manger, qu’il n’a pas assez de place, comme un humain quasiment.
C’est-à-dire ?
Oui, en les regardant, en les connaissant, en passant énormément de temps avec eux. Par exemple mes tomates : quand j’arrive au jardin, généralement vers 3h de l’après-midi, il fait déjà assez chaud, elles ont toutes les feuilles baissées et elles me font : « j’ai soif ! » et moi je leur dis [il prend un air narquois] : « pas maintenant, il fait trop chaud ! ».
Elles font tout pour faire pitié, alors je m’approche d’elles et discutent avec elles : « attendez vers 5 heures ! ». Puis je leur mets du paillage aux pieds, quelque chose de frais, ce qui leur évite du soleil sur la terre. Elles aiment beaucoup. Elles s’aperçoivent très bien qu’elles vont avoir ce qu’elles veulent, mais avant tout il faut quand même qu’elles me plaisent. Sinon, j’ai vite fait de les débarrasser et de les mettre au compost.
Tu parles des plantes comme si elles étaient conscientes…
Je sais que la plante, elle me reconnait dès que j’arrive ! Quand je pars de chez moi et que je vais au jardin, je suis convaincu que mes plantes m’entendent déjà et commencent à se dire, « ah, le jardinier va bientôt venir nous abreuver ». Plus on les connait, plus cette relation s’établit.
Evidemment, si on ne les prend que pour de l’herbe… Certaines sont plus vieilles que nous et pourraient même être nos grand-mères. Alors comme avec une personne agée, il faut tendre l’oreille, essayer de bien écouter, parler doucement, attendre leur réponse. Telle est la nature. Malheureusement, nous y allons souvent comme des brutes. Nous n’avons pas le temps, car il faut vite se dépêcher.
Tu avais une anecdote lorsque tu as visité la serre des papillons de Vienne, n’est-ce pas ?
Oui, les gens n’arrêtaient pas de prendre des photos. Mais pour moi, c’étaient comme de rencontrer mes petites sœurs ! Il y avait le cacao, le café, le poivre… Il y avait des plantes magnifiques. C’est agréable de venir et de dire : « ah, mon café que je bois tous les matins ! ». Et lui il est là : « oui c’est moi ! ». Il est fier. C’est une vraie rencontre.
Si j’écoutais de la musique et que j’étais un passionné de musique, cela serait comparable à une rencontre avec Bob Dylan. Et pourtant ce n’était qu’un caféier.
Pourquoi ne voit-on plus cette magnificence aujourd’hui ?
C’est une chose qu’il faut chercher. C’est un long apprentissage. J’y ai déjà passé 50 ans et j’ai encore beaucoup de choses à apprendre. Parfois, lorsque je rencontre des personnes âgées dans la nature qui n’ont plus envie de parler, je concentre toute mon attention. Elle connaît la nature et j’ai besoin d’entendre la moindre parole qu’elle va exprimer. Parce que je veux que le contact avec la nature soit de plus en plus proche.