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Honduras : la caravane migratoire vue de l’arrière

Karolina, actuellement en mission au Point-Cœur de Tegucigalpa, témoigne du drame vécu par tant de personnes du fait de l’émigration d’un proche en vue d’une « vie meilleure ».

Photo : Points-Cœur SteMaria Goretti au Honduras

Quand, avant mon arrivée au Honduras, je parcourais les nouvelles de ce pays, le sujet majeur que j’ai trouvé sont les caravanes des migrants qui se dirigent vers les États-Unis.

Maintenant que j’ai rencontré beaucoup d’amis de Points-Cœur, il n’est pas difficile de réaliser à quel point … la séparation des familles est une immense souffrance.

Roberto a 15 ans. Un cadeau d’anniversaire fait son apparition dans l’humble baraque de notre tristement célèbre quartier,  un cadeau de mes parents : un téléviseur de 30 centimètres qui se veut une preuve  de leur tendresse, du fait qu’ils ne l’oublient pas. Mais une télévision peut-elle remplacer la présence de parents qui vivent aux États-Unis ?

Le père d’Sébastien, notre voisin de 11 ans, travaille au Mexique depuis un an. Le garçon et son grand frère plus âgé d’un an sont maintenant des réguliers de notre Point-Cœur, bien qu’ils ne viennent que depuis récemment. Au déjeuner, nous posons des questions sur la famille, ils répondent avec une honnêteté désarmante :  « J’ai rêvé six fois que papa se tenait au seuil de notre maison. Parfois je me réveille la nuit parce que mon frère crie en appelant papa. Nous demandons: « Quand est-ce que papa revient ? » « Très bientôt ! »

La mère d’Jenny et Sandra ont émigré quand la plus jeune n’avait que quelques mois. Maintenant elles ont 10 et 8 ans. Elles ont été élevées par leur grand-mère. Nous demandons : « Est-ce que leur maman reviendra-t-elle les chercher ? Quand ? » « Oui, bien sûr, très bientôt ».

Le « bientôt » peut durer : il dure toute la vie ou simplement jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Ignacio a maintenant 13 ans. Sa mère est récemment revenue pour l’emmener aux Etats-Unis, mais il a refusé. Il préférait son école, ses amis et les soins de sa grand-mère.

La mère de Lucas n’est jamais revenue le voir. Aux États-Unis, elle a élevé sa fille aînée. Il n’a pas connu son père. Maintenant, il a une fille d’un an et essaie d’être cette véritable présence aimante pour elle que lui-même n’ a jamais connue. Il évite de parler de sa famille. Nous ne pouvons que deviner combien la douleur du rejet fut grande quand il mentionne qu’il souffre d’insomnie, que malgré un côté calme de nature il ne parvient pas à maîtriser de violentes crises de colère…. De personnes comme lui, nous avons appris que les Honduriens ont un cœur noble…

Le père de Maria est revenu d’Equateur après cinq ans. Il est parti quand elle avait 16 ans. « C’était terriblement difficile de s’habituer l’un à l’autre. Il pense que je suis le même enfant que celui dont il se souvient avant de partir. » Un soir, nous passons devant leur maison et voyons Maria et son père dans le jardin, travaillant ensemble, main dans la main. Nous respirons avec soulagement, je pense que c’est mieux. « Heureusement, maintenant, après quelques mois, notre relation s’est améliorée. Papa commence à comprendre que je veux être indépendante et que je ne veux pas qu’on me dicte comment vivre ma vie ».

Alberto s’est séparé il y a trois ans. Son ex-femme est en plus partie il y a un an avec sa fille pour vivre aux Etats-Unis, où elle s’est remariée. C’était un coup dur pour lui, car il avait l’espoir que leur relation puisse encore se rétablir. Notre ami a été laissé seul et le Point-Cœur est pour lui une véritable refuge contre la solitude. Il essaie d’élever sa fille bien-aimée à distance (aux commencements de la crise d’adolescence), conscient cependant que rien ne vaut une vraie présence. « Elle a récemment échoué dans une matière parce qu’elle n’avait pas fait ses devoirs à temps. Sa maman n’a jamais fait les devoirs avec elle, elle n’avait pas la patience. Moi, je suis beaucoup plus doué pour l’anglais. Du coup nous nous rencontrons sur Skype et je fais de mon mieux pour l’aider. Cependant, je ne suis pas en mesure d’honorer tous nos rendez-vous. » La mère d’Alberto est morte avant qu’il ne se sépare de sa femme. Il est toujours en contact avec son ancienne belle-mère qui le traite comme un fils.

Tamara et Luz, jumelles de 15 ans, refusent de parler à leur mère. Elles ne peuvent pas lui pardonner d’être allée en Espagne pour prendre soin de son neveu et le protéger des extorsions des gangsters. Leur mère, par contre, ne peut se pardonner d’avoir abandonné ses filles à cause de sa décision. Sa vie se résume en un travail épuisant. La fatigue et la dépression se sont fait sentir – et en très peu de temps, elle est tombée gravement malade. Les filles tuent la solitude en se jetant dans le tourbillon de la science et des activités parascolaires, projets et autres activités. On n’a pas le courage de leur demander si leur maman va revenir bientôt. Nous ne pouvons qu’être là.

Doña Rosa. Deux filles en Espagne où elles travaillent et ont fondé une famille. « Tous mes frères et sœurs depuis longtemps vivent aux Etats-Unis, mais je ne voulais pas partir. Je me suis dit : mon mari est avocat, c’est un métier sûr, on va s’en sortir. À l’âge de 40 ans, son travail dans la profession était terminé pour lui. Or il est plus facile et moins cher d’embaucher quelqu’un sans expérience, exigences ou opinions. De plus, il a été accusé à tort d’escroquerie dans une affaire financière importante et a dû purger une peine de prison. « Avec l’aide de mes sœurs, nous avons commencé à nous occuper des formalités pour que nous aussi puissions partir ».

Lorsque nous saluons quelqu’un dans la rue typique « Buenas, ¿cómo está ? » nous nous entendons répondre: « Aquí, mirándolas ». « Je suis ici à vous regarder ». C’est un peu banal et évident, mais pas pour quelqu’un qui est seulement sur un écran d’ordinateur, pas aquí (ici), mais allá (là-bas). Nous comprenons ainsi douloureusement à quoi ressemble ce succédané de relations familiales sur Internet, avec des bribes de conversations, des photos et des souvenirs, qui est le lot commun de tant de personnes ici.

Nous découvrons un nouvel aspect de notre charisme de présence : une étreinte amicale et chaleureuse peut  redonner l’espérance et remplacer ces pages entières de courriels.

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