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“Elections présidentielles en Argentine : que s’est-il passé ?”

Les derniers résultats officiels viennent de tomber. Ils donnent Alberto Fernandez (gauche péroniste) vainqueur de l’élection présidentielle avec 48,44% des voix contre 40, 80% à Mauricio Macri (droite libérale) son adversaire et président sortant. Terre de compassion propose aujourd’hui de laisser tout simplement la parole à 10 citoyens de ce pays à qui a été simplement posée la question : « à votre avis, pourquoi Mauricio Macri a-t-il perdu cette l’élection dimanche et quelles sont les raisons de la victoire d’Alberto Fernandez ? »

 

 

Pour bien planter le décor des commentaires qui vont suivre, il convient de rappeler que Mauricio Macri a été élu président de la république Argentine en novembre 2015 et qu’il succédait à deux mandats de Cristina Fernandez Kirchner (2007-2011 et 2011-2015) qui elle-même succédait à son défunt mari : Nestor Kirchner (2003-2007). Cela faisait donc douze années que le parti « justicialista » (dit aussi parti péroniste en raison de son fondateur Juan Domingo Péron) était aux commandes du pays. Eclaboussé de nombreux scandales de corruptions ainsi que par une économie au bord de l’asphyxie, il a donc laissé la place à Mauricio Macri, un entrepreneur venu du monde des affaires et du foot, qui a su fédérer une opposition, capitaliser la colère sociale et promettre le changement. C’était d’ailleurs son slogan de campagne : « cambiemos » (« changeons »).

Les 2 premières années de son mandat ont permis de nombreuses réalisations économiques (politique de grands travaux, développement des infrastructures de communication), une certaine lutte contre la corruption (poursuite des hommes politiques corrompus) et une régularisation de la situation financière internationale (15 milliards de dollars de dettes impayés et qui menaçaient toujours juridiquement le pays). Mais le gros point noir de son mandat fut l’incapacité d’enrayer l’inflation (qui de 40% annuelle avait baissé à 25% en 2017 mais était repartie à la hausse en 2018 avec 45% et une estimation pour 2019 de 60%) et la dévaluation progressive du peso par rapport au dollar (de fin 2015 à fin 2019 le peso est passé de 14 à 65 pour un dollar). Sa politique fut de hausser les taux d’intérêts (on est à 70% par an) afin d’inciter les personnes à garder leur peso. Ce fut peine perdu et en plus au prix d’énormes baisses des réserves du pays pour maintenir une monnaie dans laquelle personne n’a confiance (fin 2019 la Banque centrale comptait 45 milliards de réserves de change soit 20 milliards de moins que l’année précédente).

Et tout cela sans compter la croissance atone, personne ne prenant le risque de se lancer dans des projets ou des crédits avec des taux d’intérêts aussi élevés. Et enfin, last but not least, Mauricio Macri, malgré la fin des subsides sociaux n’a pu enrayer le train de vie de l’Etat qui l’oblige pour financer ses dépenses à avoir recours soit à la planche à billets soit à l’endettement international. Et l’Argentine a redemandé de l’argent au FMI en 2018 (une ligne de crédit de 57 milliards de dollars) pour annoncer une année plus tard, en septembre 2019, qu’elle allait déjà demander un rééchelonnement de sa dette…

Le « ticket » avec comme président Alberto Fernandez et Cristina Kirchner comme vice-présidente a donc balayé dans les urnes le 27 octobre un Mauricio Macri qui garde quand même un fort ancrage au Sénat et au Congrès (chambre des députés), évitant au nouveau gouvernement la majorité absolue.

 

Cristina et Alberto. Photo : Internet

 

Que pensent nos amis argentins de tout cela ? J’ai essayé de donner la parole le lendemain du scrutin à dix personnes, de tous bords, âge, sexe ou profession. Et voici donc leurs réponses…

David, serrurier

« Je pense que le peuple n’a pas de mémoire. Macri a perdu car il a mal fait l’économie, il y a eu l’inflation. Et Fernandez ? Il a gagné parce que cela nous convient, car pour moi c’est plus facile de ne rien faire que de travailler. Les gens voient ce que Macri a mal fait et non pas ce qu’a mal fait Cristina ».

Magda, secrétaire

« Macri a perdu parce que les argentins sont versatiles. Ils ne valorisent pas l’homme qui a fait du bien au pays. C’est une erreur. Ils nous punissent et ils se punissent. C’est un retour en arrière, on ne peut pas regarder toujours du côté de notre portefeuille. L’Argentine c’est cela, on change de chemise et on ne s’en rend pas compte. Ils ont voté pour le pire : des assassins, des délinquants, des voleurs… Vont être libérés ceux qui sont en prison ».

Carolina, artiste plastique et professeur

« Macri a perdu car il n’a pas réussi avec l’économie. Fernandez a gagné parce que nous, les Argentins, on se fiche de la corruption. On se sert même de la corruption pour améliorer notre vie. Je le dis avec tristesse. Je ne voterai jamais pour les Fernandez, en raison de la corruption, parce qu’ils ont politisé l’éducation, tué un juge. C’est une terrible déception ».

Ivan, chauffeur de taxi

« Macri a perdu, je pense pour plusieurs raisons. D’abord en raison de l’économie. Il a donné la priorité à des chantiers publics, il a dépensé beaucoup d’argent en constructions pour faire un grand changement et il n’a pas porté assez son attention sur l’économie et la classe moyenne. Il a pensé que les personnes auraient plus de patience, que les gens n’allaient pas voter de nouveau pour Alberto Fernandez, pour Cristina. Malheureusement l’Argentine est un pays qui a la mémoire courte. Comme elle avait une très mauvaise image, les péronistes ont bien joué en la mettant vice-présidente et lui président. Et puis, c’est dommage, mais il y a plein de gens qui ne sont pas contents de Macri. Et les choses se sont tellement polarisés ici que c’était soit Macri, soit une autre personne. Et donc beaucoup de personnes n’ont pas voté pour Fernandez mais ont voté contre Macri. Comme cela avait été le cas avant : ils avaient voté Macri contre Cristina. En 2015 le vote fut anti-Cristina, en 2019 il fut anti-Macri ».

Pedro, prêtre

« En première lecture, je vois que Macri perd en raison de la très mauvaise situation économique. Il n’a pas réussi à redresser l’héritage calamiteux de Cristina Kirchner. Je pense qu’il y a eu un certain orgueil de la part de son parti et qu’il n’a pas su mieux communiquer au sujet de la gravité de la situation. En seconde lecture, Fernandez gagne parce qu’une bonne partie de la population ne regarde pas plus loin que l’aspect économique. Et cela à un tel point qu’elle oublie la scandaleuse corruption et accepte, dans beaucoup de cas, le clientélisme électoral. Le péronisme porte une responsabilité terrible dans le fait qu’il n’exige pas un minimum de bon comportement de ses candidats. A ceci s’ajoute la force d’un discours nationaliste de style anti-marché, qui attire les secteurs proches de la gauche. Dans le grand Buenos Aires se trouve les gros bastions du vote péroniste, là où il y a de la pauvreté et un socle ferme de péronistes qui vivent au jour le jour… »

 

Macri et Alberto. Photo : Internet

 

Juliana, femme de ménage

« Je dis que Macri a perdu en raison de la situation économique actuelle, en raison du manque de travail, de la chute du peso, je pense que c’est à cause de cela. Maintenant, j’espère que la situation va s’arranger avec le nouveau président que nous allons avoir ».

Carlos, agent de sécurité

« Pour moi il a perdu d’abord en raison de l’inflation. Notre monnaie a perdu 300% de sa valeur et les prix ont monté. Les salaires par contre sont restés bas et, pour faire simple, on ne boucle pas le mois. Autre chose : il n’a pas écouté la voix des citoyens. Il a regardé le peuple de haut, du haut de sa haute classe. La situation sociale est très délicate, des gens et des enfants ont faim. Il a perdu la confiance de beaucoup de gens. Comme constructeur, il a fait beaucoup de choses pour la ville : des ponts, gares, arrêts de bus…mais les hôpitaux manquent de tout. Je pense qu’il n’a pas été à la hauteur de sa tâche, il lui a manqué l’expérience du peuple, de savoir ce que le peuple vit. Et puis il y a aussi le taux de chômage. Chez moi une usine a fermé et a laissé 600 personnes sans travail. Fernandez a gagné car il a présenté un projet de retour à la démocratie, avec la promesse de donner une voix à tout le monde. Il a convaincu comme cela. Et il a eu l’appui de Cristina qui a le bras long, des conseils, de l’expérience, il a reçu le soutien de beaucoup de ses amis.  Les gens veulent du changement, une autre perspective. »

Florencia, analyste en laboratoire

« Macri n’a pas gagné car il a dû prendre des mesures économiques en raison de l’héritage de l’ancien gouvernement et cela a affecté la vie des personnes les plus vulnérables ou qui ont peu de ressources. Et ce sont ces gens en majorité qui ont élu Alberto Fernandez. »

Adrien, kinésithérapeute

« Avec deux millions de voix d’écart entre les deux c’est une défaite sévère pour Macri. Une des raisons pour moi c’est l’ignorance de la pensée réelle idéologique, culturelle et sociale de Cristina (proche de Cuba et du Venezuela) ainsi que de ses délits personnels. Ensuite, c’est un échec réel de la politique de Macri en faveur de la classe moyenne et des petits revenus. Et enfin Macri a fait de mauvaises alliances alors que les péronistes sont apparus unis. »

Maria, directrice d’école

« Pour moi, la campagne actuelle de Fernandez a été un énorme « négoce de sentiments » avec la sacralisation de l’appartenance à un parti, la croyance ferme dans des idéologies. L’exacerbation du « ce que je sens » nous a fait perdre le sens commun et les valeurs humaines si nécessaires. D’un autre côté, je vois aussi que Macri n’est pas la représentant des 40% qu’il a eu, mais ce chiffre reflète plus le fait que des personnes croient en certaines valeurs. Fernandez a gagné car il a fédéré tous les péronistes, Macri a perdu quand il a arrêté de visiter le pays et de voir la réalité en face. Pour moi ces 40% de Macri, c’est le noyau d’un pays héritier d’un passé de travail, d’efforts de nos grands-parents qui sont arrivés ici en recherchant un lieu de paix ».

Quelles premières conclusions tirer de ces témoignages ? Sur la défaite électorale de Mauricio Macri il semble indéniable qu’elle soit due à son bilan économique. Les recettes promises n’ont pas fonctionné et pire, le pays s’est enfoncé dans une nouvelle crise. Il reste que pour beaucoup d’Argentins Macri est vu comme différent de ses prédécesseurs en ce qui concerne la corruption. Le vote semble donc beaucoup plus un vote sanction contre sa politique plutôt que contre sa personne. En ce qui concerne le vote en faveur d’Alberto Fernandez, il ne semble pas que cela soit un vote d’adhésion à sa personne mais plus à des promesses de redistribution rapide et équitable de richesse. Cela semble l’avoir emporté sur les peurs de revoir des personnes largement corrompues au pouvoir.

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