Le National Arab Orchestra offre un hommage à la Sitt Oum Koultoum, la Diva Égyptienne qui a marqué par la beauté de sa voix, la vie de beaucoup de générations et continue encore aujourd’hui, après sa mort, à marquer notre génération en 2020. La preuve en est, ce magnifique hommage de 15mn de cet orchestre fondé aux Etats-Unis par un jeune américain d’origine syrienne, jouant une introduction de la chanson « Fakkarouni » [1]Ils m’ont rappelé d’Oum Koultoum.
Dans un article précédent sur Terre de Compassion, nous avons présenté la vie et certaines des chansons de la Sitt [2]Dame en arabe. En Egypte, Oum Koultoum était appelé la Sitt, en signe de respect et d’affection Oum Koultoum. Dans le présent article, nous laisserons place à certaines anecdotes sur sa vie, aux amitiés qui l’ont accompagnée…
El Haj Saiid el Tahan : « Comme s’il n’y avait que moi qui existe dans la salle… »
« Aazama ala Aazama ala Azama ala Aazama ya Sitt ! » [3]« Vous êtes grandiose, grandiose, mais plus que grandiose chère Sitt ! » , un cri qui est entendu systématiquement dans tous les enregistrements des spectacles d’Oum Koultoum. Mais de qui est cette voix ? Qui est cette personne qui crie? Même ceux qui écoutent encore aujourd’hui les enregistrements des chansons d’Oum Koultoum, attendent avec grande joie l’élan du cœur de ce cri, qui rappelle la grandeur de la Sitt, et de son art. Ce cri si fidèle du cœur est celui d’El Haj Saiid el Tahan qui était présent, systématiquement, « au premier rang » dans « tous » les spectacles d’Oum Koultoum, en Egypte comme à l’étranger. Et à chaque fois que la Sitt chantait, il était si pris par le mouvement du chant et la beauté de la voix d’Oum Koultoum, qu’il lui lançait de tout son cœur ce cri.
El Haj Saiid el Tahan pendant le spectacle d’Oum Koultoum
Et quand on lui a demandé un jour le secret de sa présence à tous les spectacles, et au premier rang, devant le microphone d’Oum Koultoum, il répond : « Oum Koultoum est grandiose, en l’écoutant chanter, je sens qu’elle chante rien que pour moi, personnellement, qu’elle s’adresse uniquement à moi dans ses chants, comme s’il n’y avait que moi qui existe dans la salle ». Dans une salle qui compte des milliers de personnes, El Haj Saiid se sentait rejoint personnellement, dans une rencontre personnelle à travers la Beauté du chant.
Sauf que Said el Tahan commence à perdre tout son argent, et ses terrains à cause de tous les voyages qu’il fait pour se payer « tous » les spectacles d’Oum Koulthoum, n’en ratant aucun, et toujours au premier rang, tellement il était attiré par la voix de la Sitt ! Une fois, pendant l’un des spectacles, Oum Koultoum ne voit pas el Haj Saiid à sa place habituelle, n’entend pas son cri « Aazama aala Aazama… », cri auquel la Sitt répondait par un don plus grand encore d’elle-même sur scène. Elle demande alors à certains musiciens de son orchestre de mener une enquête pour savoir la raison de l’absence du Haj Saiid. Elle découvre alors qu’il est tombé malade et qu’il a fait faillite à cause des frais (voyages, billets…), de sa fidélité des années durant à tous les spectacles de la Sitt, la suivant partout où elle allait dans le monde. Elle décide alors de lui rendre visite à l’hôpital, de l’aider à récupérer son terrain qu’il avait vendu pour acheter les billets de ses spectacles, et lui a offert en cadeau une place d’honneur permanente et gratuite à tous ses spectacles. Cette récompense et cette amitié qui est née entre la Sitt et Haj Saiid, révèlent le pouvoir de la musique et de l’art à faire se rencontrer les cœurs, les unissant, les attirant vers le Beau, dans une rencontre personnelle même au milieu d’une salle remplie de 4000 personnes !
El Haj Saiid el Tahan pendant le spectacle d’Oum Koultoum
Une journée de silence avant chaque spectacle
Chaque spectacle d’Oum Koultoum est composé en général de 2 à 3 chansons, puisque chacune d’elles dure entre une quarantaine de minutes et une heure et demie. Et cela dépend de son inspiration, de son désir d’improvisation, et des exigences du public qui lui demande souvent de répéter telle phrase ou tel couplet. Cette communion entre la Sitt et son public autour du Beau est une des caractéristiques de tous les spectacles d’Oum Koultoum. Ses chansons sont connues par leurs longues introductions musicales d’une beauté exceptionnelle, et qui durent en général une quinzaine de minutes à elles seules !
Mais que se passe-t-il avant chaque spectacle ? Quelles sont les habitudes d’Oum Koultoum avant de monter sur scène ? Comment faisait-elle pour gérer le trac avant le concert ? Tous les premiers jeudis du mois, la Sitt était au rendez-vous avec tout le peuple Egyptien pour son concert habituel, et le rituel qu’elle a suivi rigoureusement toute sa vie, le jour J de chaque concert était le suivant : réveil à 10h (les jours sans concert elle se lève à midi), elle buvait du thé à l’anis avec un fruit léger et passait toute sa journée en silence, ne parlait absolument à personne, dans la solitude de sa chambre, comme pour se recueillir. Et si jamais elle avait besoin de quelque chose d’urgent, elle sonnait la cloche, écrivait sur un bout de papier sa demande, et les autres lui répondaient par écrit aussi. A midi elle mangeait un fruit léger et faisait une petite sieste, et en fin d’après-midi, elle testait sa voix, avant de recevoir son coiffeur vers 19h pour se préparer à la rencontre de son cher public. Mais tous ces préparatifs, elle les faisait en gardant toujours le silence jusqu’à la dernière minute avant son concert, comme si son chant était offert aussi comme fruit de son silence et de son recueillement, de cette communion personnelle qu’elle cherche à garder précieusement avec son Créateur. Cette communion silencieuse devient le centre et la source d tous ces chants. Elle ne court pas sans cesse vers les répétitions de ses propres chants, ou vers des préparations extérieures, mais se recueille, en silence.
Et avant qu’elle n’entre sur scène, un homme vêtu en habit traditionnel des villages égyptiens, tenant en main un encensoir, encensait au-dessus de la tête de la Sitt, signe de la bénédiction de Dieu. C’est un geste traditionnel des villages Égyptiens. Pendant plus de 30 ans de vie artistique, Oum Koultoum a été fidèle à ce rythme avant chacun de ses concerts. Et le lendemain de ses spectacles, elle dormait toute la journée, tellement elle était épuisée d’avoir tout donné d’elle-même ! Par exemple lors d’un de ses spectacles au Cinéma Riveli, en 1964, où la Sitt chantait devant 4000 personnes, elle se trouve confrontée à une panne de micro, l’orchestre commence à s’arrêter petit à petit de jouer, et au bout de quelques secondes, Oum Koultoum pousse de sa main le micro, reprend ses forces, et chante de tout son cœur, sans micro, avec sa voix toute puissante qui remplit tout le Cinéma et le public lui montre sa reconnaissance en l’applaudissant pendant quelques minutes sans arrêts… Elle était âgée de 66 ans quand elle a continué tout son concert sans micro !
Sayed Salem, l’ami : figure de fidélité
En 1966, alors qu’Oum Koultoum chantait une de ses chansons les plus connues « Biid Aannak » [4]« Loin de toi », titre de la chanson Sayed Salem, membre de son orchestre, l’accompagnait en jouant le Nay (flute orientale), et il était tellement pris par la chanson et par la voix d’Oum Koultoum, qu’il s’est permis une improvisation, changeant les notes de la partition de son instrument, offrant ainsi une petite nouveauté dans la chanson. Oum Koultoum, surprise, lance un « Eh Dah ?! » [5]« C’est quoi ca ?! » mais à l’instant, le public a commencé à applaudir fortement Sayed Salem, de ces mêmes applaudissements interminables qu’il offre normalement seulement à Oum Koultoum. Cette scène a été nommée par le public par « la rébellion du Nay contre la Sitt », vu tous les applaudissements provoqués par le Nay de Sayed Salem. Seul un ami et un vrai connaisseur de la voix de la Sitt oserait se permettre une telle improvisation en plein spectacle.
Lors d’un autre spectacle aussi, alors qu’Oum Koultoum chantait « Inta Oomri » [6]Tu es toute ma vie . La Sitt oublie quelques paroles de sa chanson (sachant que la durée de chaque chanson d’Oum Koulthoum est entre 45 minutes et 1 heure). Sayed Salem est le premier à laisser son Nay, pour souffler les paroles à Oum Koultoum, discrètement, mais très jalousement, en ayant à cœur tout le trésor artistique des chansons d’Oum Koultoum, et les détails de ses paroles…
Ces deux anecdotes montrent la grande fidélité de Sayed Salem, son amitié envers la Sitt tout le long de sa vie. Il n’était pas simplement un membre de son orchestre, mais un ami. Le jour de l’enterrement d’Oum Koultoum, la presse égyptienne a évoqué Sayed Salem, assis tout seul sur une chaise, ému et pleurant de tout son cœur sa Sitt.
Le secret des lunettes noires et du foulard toujours à la main
Dans toutes les photos d’Oum Koultoum, il est impossible de la voir sans ses lunettes noires lors des interviews ou un foulard à la main sur scène. Quel est le secret de ce foulard et de ces lunettes ? Dans l’un des rares interviews avec la Sitt, elle se révèle humblement et parle en toute simplicité de sa pauvreté racontant le secret de ce foulard qui l’accompagne tout le long de ses spectacles. Ce foulard, dit-elle, ne fait pas partie de la décoration ni des habits, mais c’est qu’elle a tellement le trac sur scène, et qu’elle sent une telle angoisse avant de commencer à chanter, une telle responsabilité en voyant l’attente du public, l’amour qu’il lui porte, qu’elle sent une disproportion entre l’attente du public, entre ce qu’elle porte en elle, et ce qu’elle donne. Souvent cela l’angoissait beaucoup et pour sécher ses mains moites causées par le trac, elle se servait du foulard. A travers ce foulard, elle se dévoile humblement, elle, la Sitt, devant ceux qu’elle aime.
Quant aux lunettes noires qu’elle portait souvent dans tous ses interviews : à l’âge de 50 ans, elle a été atteinte d’une maladie de la Thyroïde, qui lui a causé une exophtalmie des yeux. Une chirurgie était risquée pouvant avoir des répercussions sur ses cordes vocales. Comme il n’y avait pas d’autres solutions, elle gardait toujours ses lunettes noires qui lui permettaient de cacher sa maladie des yeux. A un seul endroit elle tenait à enlever absolument ses lunettes : sur scène, afin qu’il n’y ait aucune barrière entre elle et le public, même si ce n’est qu’une paire de lunettes !
Et pour conclure, comment ne pas penser au magnifique récit autobiographique de Joseph Fadelle paru en mars 2010 « Le prix à payer », où il évoque, au cœur de l’expérience de sa conversion de l’Islam au Christianisme, cette communion avec Oum Koultoum, et le rôle qu’elle a eu dans sa vie de foi. À chaque fois qu’il écoutait la chanson de la Sitt « Aghadan Alkak », il l’écoutait comme une prière, l’adressant au Christ pour exprimer le grand désir qui habitait son cœur, cette impatiente attente qu’il devra vivre pour accéder à la communion sacramentelle entre le temps d’une messe et d’une autre. Cette attente prenait la forme de cette question d’Oum Koultoum : « Vais-je te retrouver demain ?! ». Cette âme qui, à peine avoir quitté son Dieu, se trouve déjà impatiente pour le rechercher et l’heure de le retrouver de nouveau. Comment ne pas voir dans ce témoignage de Joseph tout le sens religieux des chansons d’Oum Koultoum, rejoignant profondément l’expérience du cœur de l’Homme avec son Créateur.
La chanson d’Oum Koultoum: « Vais-je te retrouver demain?«
« Vais-je te retrouver demain ? / Comme mon cœur craint ce lendemain / Le désir de nos retrouvailles me consume.
A quel point je crains ce lendemain et en même temps combien j’attends impatiemment qu’il se rapproche / Je voulais m’en rapprocher de plus en plus mais à présent j’en ai peur. Pourquoi en ai-je si peur ? / Mais voilà que le bonheur m’a envahi quand il a accepté (de venir à ma rencontre) / C’est ainsi que j’arrive à supporter ma vie avec son lot de bonheur et de souffrances. / Une âme pure et une passion si forte ont fait fondre mon cœur brûlant d’amour.
Alors vais-je enfin te retrouver demain ? Ô toi, le paradis de mon amour, de ma nostalgie et de ma folie / Ô toi, le destin de mon âme, de mon envol et de ma douleur / Demain, vas-tu faire briller de ta lumière, l’obscurité de mes yeux dans la nuit ? / Ah du bonheur de mes rêves et de la peur de mes doutes!
Combien de fois t’ai-je appelé ? et dans ma mélodie nostalgie et prière / Ô toi mon espérance, combien j’ai souffert d’attendre ta rencontre / Sans toi, je n’aurais pas pu prendre conscience de ce qui est entré et ce qui est sorti dans ma vie… / Je vis pour l’espérance, pour cette attente de notre rencontre, / Alors, viens. Ou ne viens pas / Ou alors fais de mon cœur ce que tu veux.
Alors vais-je enfin te retrouver demain ? / Cette vie est un livre dont tu es la pensée / Cette vie, ce sont les nuits, et tu en es la durée. / Cette vie, ce sont des yeux, et tu en es la vue. / Cette vie est un Ciel, et tu en es la lune. / Sois donc miséricordieux et aie pitié du cœur qui se rapproche de toi / Parce que demain, tu l’auras entre tes mains, tu règneras sur lui / Et demain, le paradis sera fait d’ombres et de rivières. / Et demain nous oublierons et nous ne regretterons jamais ce passé que nous avons vécu / Et demain il n’y aura plus de place pour l’inconnu, nous ne vivrons que pour ce présent heureux / Si l’inconnu peut être plaisant, le présent est bien meilleur / Alors, vais-je te retrouver demain? » [7]traduit de l’arabe par Ghada Khabbaz
Regarder ici le précédent article publié sur Oum Koultoum
References
↑1 | Ils m’ont rappelé |
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↑2 | Dame en arabe. En Egypte, Oum Koultoum était appelé la Sitt, en signe de respect et d’affection |
↑3 | « Vous êtes grandiose, grandiose, mais plus que grandiose chère Sitt ! » |
↑4 | « Loin de toi », titre de la chanson |
↑5 | « C’est quoi ca ?! » |
↑6 | Tu es toute ma vie |
↑7 | traduit de l’arabe par Ghada Khabbaz |