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Jeanne d’Arc, « révolution temporelle pour le Salut éternel » ( II )

Voici la deuxième partie de l’article Jeanne d’Arc, révolution pour le Salut éternel (I) déjà publié sur Terre de Compassion.

 

 

Les intellectuels ou poison de l’âme

L’historienne Florence Maquet démystifie, non sans raison a priori, la dimension mystique de la mission de Jeanne. Si le commandement divin fut si explicite qu’elle doive bouter les Anglais hors du Royaume de France, et que de son vivant, les anglais n’en seront pas chassés, c’est donc que le commandement divin n’atteint pas son objectif. Par conséquent, conclut-elle, la dimension mystique de la mission de Jeanne perd toute crédibilité.

Mais Péguy va plus loin et son jugement n’est pas fondé sur les victoires ou défaites de Jeanne du seul point de vue militaire. Au contraire, ses échecs sont un témoignage plus éloquent encore qu’elle a bien reçu une mission divine qui dépasse largement la seule grille de lecture victoire-défaite de ce jeune chef de guerre. Certes le Royaume de France est divisé. Bourguignons et Anglais pillent villes et villages en répandant la terreur. Toutefois l’Eglise est pareillement divisée vivant le grand schisme d’occident. Divisions cristallisées dans ce rapport confus entre l’Eglise triomphante et l’Eglise militante comme en témoigne les actes du procès, gangréné par des enjeux politiques. Pour aller plus avant encore, il faut comprendre le rôle que joue la toute puissante Université de Paris celle ci deviendra d’ailleurs par la suite l’Université de la Sorbonne à l’époque de Péguy et contre laquelle il n’aura de cesse de monter au front dénonçant l’uniformisation du savoir détaché du réel et de l’absence d’amour pour la vérité et la justice. Jeanne comme Péguy est toute seule devant ses juges. Les universitaires du haut de leurs chaires et bardés de diplômes mélangent ou écartèlent la politique et la mystique au gré des circonstances et des perspectives politiques. L’empire du « on » impersonnel et mesquin. Face à Jeanne ou à Péguy, les universitaires sont virulents et n’hésitent pas à entreprendre toute forme de manipulations pour rendre leurs témoignages peu crédibles à partir de critères théologiques purement conceptuels, sans prise ni avec la terre ni avec les Cieux. En d’autres termes, c’est dans une confusion généralisée que Jeanne d’Arc est choisie par Dieu pour une mission à la fois et d’abord mystique seule issue pour sortir de cette scabreuse impasse politique nationale et ecclésiale. Elle, qui ne sait ni A ni B, ni monter à cheval, ni manier une épée et n’ayant aucune expérience des arts de la guerre, ne sépare pas la mystique et la politique mais ne les confond pas non plus. Mystique et politique sont des réalités distinctes pour Jeanne. L’une nourrit l’autre certes, mais elle ne va pas plus loin. L’illusion d’une solution purement humaine, historique et sociale n’occupe pas son esprit : « Il nous faut suivre ce que me disent mes Voix ». La « révolution » de Jeanne est bien plus large et de fait traversera les siècles, « une révolution temporelle pour le salut éternel » [1]Charles Péguy, Notre Jeunesse, https://fr.wikisource.org/wiki/Notre_Jeunesse, 1910, p.242 . Expression adéquate à ce que fut la vie et la mission de Jeanne d’Arc. Et déjà sur terre, elle fait goûter de manière si naturelle son expérience spirituelle. De par les échanges qu’elle entretient avec le monde surnaturel, celui ci nous devient accessible. Petites gens, artisans et paysans ne s’y trompent guère en vouant à Jeanne toute leur admiration et reconnaissance.

 

Frédéric Eymeri – Dévoilement (Source)

 

Le point culminant du combat par Jeanne n’est pas finalement sur le champ de bataille mais devant ses juges. Jeanne est peu à peu amenée au cœur de ce qui divise le Royaume de France et de l’Eglise. Elle semble être projetée comme un venin au cœur du dragon. En effet, les intellectuels et les théologiens de l’Université de Paris sont le nœud du problème politique de la France et de l’Eglise.

Entre le pouvoir anglais et l’Université de Paris il y a collusion, provoquant un détournement de la finalité de l’institution universitaire à des fins politiques. Ses juges essaient par tous les moyens d’amener Jeanne sur le terrain politique. Elle résiste. Ses voix l’encouragent : « réponds hardiment ». Le combat semble être mené entre des réalités supérieures. Les juges, canonistes, théologiens et religieux de l’Université de Paris se révèlent être les plus dangereux à la Monarchie, comme ceux de la Sorbonne pour la République. « Vous êtes mon ennemi capital » [2]Robert Brasillach, Le procès de Jeanne d’Arc, Editions de Paris, Paris, 1998 p.128 lance Jeanne à Monseigneur Cauchon. Il ne s’agit pas là d’une simple affaire personnelle. Pour l’historienne Régine Pernoud, il y a en effet une manipulation insidieuse et contraire à l’Evangile: « La théorie de la « double monarchie », sur laquelle se fondait le fameux traité de Troyes de 1420, était une élaboration de l’université de Paris : tout un édifice intellectuel par lequel France et Angleterre devaient désormais dépendre d’une même autorité dont l’Université serait devenue la tête pensante ; c’était l’œuvre des docteurs de la Loi habilités désormais à régir une chrétienté dans laquelle des assemblées régulières assumeraient le fonctionnement de l’Eglise ; ce qui éliminait pour l’avenir le péril de revoir deux papes, l’un soutenu par le roi de France, et l’autre par le roi d’Angleterre. Selon l’expression du père Bro : « L’Evangile était confisqué par le pouvoir temporel » [3]Régine Pernoud, Jeanne et Thérèse, Seuil, Paris, 1984, p.23 . Notre petite paysanne de Lorraine se trouve projeté au cœur de l’édifice intellectuel et c’est là que sera mené le combat le plus virulent.

L’intelligentsia s’imagine être très habile face à cette Jeanne qu’ils font passer pour illuminée, sorcière… Or pour Péguy c’est tout l’inverse. Eux sont des illuminés illuministes, prémisses du rationalisme, alors que Jeanne a permis au Royaume de France de retrouver le chemin de sa souveraineté, en partant constamment du réel : ses Voix et la France. L’histoire le confirmera alors que l’Université de Paris deviendra le berceau des Lumières. Charles Péguy pour parler des intellectuels et des politiques intellectualisés écrira : « C’est nous qui amassons et c’est eux qui pillent. C’est nous qui bâtissons, c’est nous qui fondons, et c’est eux qui démolissent. C’est nous qui nourrissons et c’est eux qui parasitent. C’est nous qui faisons les œuvres et les hommes, les peuples et les races. Et c’est eux qui ruinent. Les hommes qui se taisent, les seuls qui importent, les silencieux, les seuls qui comptent, les tacites, les seuls qui compteront, tous les mystiques sont restés invariables, infléchissables. Ceux qui se taisent, les seuls dont la parole compte. » [4]Charles Péguy, Notre Jeunesse, https://fr.wikisource.org/wiki/Notre_Jeunesse, 1910, p.64 .

 

Frédéric Eymeri – Alone (Source)

 

L’impuissance de Jeanne comme canal de la grâce

Lorsqu’elle reçoit la visite de Saint Michel, Jeanne résiste à cet appel se sentant bien incapable, comme Abraham reculant devant les commandements de Dieu en invoquant les limites de sa nature pour une mission qu’il juge disproportionnée.
De la même manière que la carrière de Jean Jaurès ne verra qu’un effondrement de la politique socialiste qui engendrera les plus absurdes totalitarismes du XXème siècle, les ennemis de Jeanne disparaîtront sans les honneurs normalement rendus à un chef de guerre ou à un prince de l’Eglise diplômé de l’Université de Paris. Péguy et Jeanne en revanche offriront à l’Eglise et au monde aussi bien athée que chrétien le témoignage d’un héroïsme dans la faiblesse, une toute puissance de Dieu dans sa toute impuissance exprimés dans la vie de Jeanne et Péguy, du maître et de son disciple. La Gloire de Dieu se manifeste non seulement dans l’étonnante vie mystique de Jeanne mais également dans sa déréliction. Qui a lu le procès de Jeanne ne peut demeurer insensible à sa sagesse tel le Christ au Temple dès l’âge de 12 ans entourés des docteurs de la loi. C’est dans la déréliction que Jeanne recevra la récompense d’une couronne de lauriers qui ne flétrit pas pour avoir redonner au Royaume de France : son Roi, ses frontières, sa souveraineté, et sa dignité au peuples de pauvres et des miséreux qui auront perçu la mission de la Pucelle comme une compassion de Dieu. Le peuple ne cria-t-il pas « Noël ! Noël ! » alors qu’elle traversait victorieuse Orléans libéré ? Tels les bergers, les intouchables, les exclus premiers témoins de l’incarnation du Verbe.

En bref…

Définitivement, le rapport entre mystique et politique chez Péguy est une alchimie précise qui ne pardonne pas les faux semblants et les prétentions où les titres et l’appât du gain assombrissent l’intelligence de ceux qui ne voient chez Jeanne qu’une hérétique, schismatique, relaps. Elle meurt comme une damnée prenant sur elle la condition de ceux pour qui elle aura tout donné, généreusement alors qu’elle aurait pu rester gentiment à filer la laine dans la maison de ses parents sur les bords de la Meuse. Par cette harmonie mystique et politique, Jeanne est également un témoignage qui redonne à la politique le sens de l’honneur, de la parole donnée, du respect de l’autre en recherchant avant tout son bien. Vertus pratiquement inexistantes chez nombre d’hommes et de femmes politique actuels de tous bords (même catholiques) qui ont prostitué la mystique avec la politique, se servant d’elle pour défendre des thèses.

En contemplant Jeanne d’Arc, Charles Péguy redonne toute la lutte intérieure qui habite le cœur de la jeune fille. Rien n’est laissé de côté. L’amour de sa terre, de ses Voix, l’amour pour ses amis, et pour ses ennemis, la solitude de sa mission. Dans cet univers mouvementé de passion et de duplicité Jeanne demeure éveillée, attentive. Sa vie mystique est la source première de son cœur et de son intelligence mais également le terme de son passage sur terre (comme le lui confirment Sainte Marguerite et Sainte Catherine). Elle accepte d’offrir son idéal au service de son peuple. Péguy, le socialiste, perçoit chez Jeanne d’Arc l’expression de l’héroïsme et de la sainteté qui se bat au nom de plus petits, les premiers à souffrir le préjudice d’une situation politique et ecclésiale dramatique. Un tel héroïsme, sur lequel nous pourrions nous pencher par le biais du positivisme moderne en continuant de scruter et débattre chaque aspect parcellaire de la vie de Jeanne, cela n’intéressera jamais Péguy. Cette jeune fille qui est elle ? Qu’elle est la source qui l’anime ? D’où vient un tel feu ? Le contemplatif orléanais finira progressivement pas le découvrir un beau matin de l’année 1908, en prenant conscience que son idéal a prit progressivement les mêmes nuances et profondeurs de celle qu’il suit depuis ses 22 ans. « Je ne t’ai pas tout dit… J’ai retrouvé ma foi… Je suis catholique. » [5]http://charlespeguy.fr/La-dent-du-dieu-qui-mord écrit-il à son ami Joseph Lotte. « C’est pour cela, que notre socialisme n’était pas si bête, et qu’il était profondément chrétien ». [6]Charles Péguy, Notre Jeunesse, https://fr.wikisource.org/wiki/Notre_Jeunesse, 1910, p.142 .

Lorsqu’est constamment scandé de manière impérative et catégorique que les chrétiens doivent s’engager en politique, nous retiendrons ce jugement de Péguy à l’école de Jeanne d’Arc : « Il est aisé d’être ensemble bon chrétien et bon citoyen, tant qu’on ne fait pas de la politique. » [7]Charles Péguy, Notre Jeunesse, https://fr.wikisource.org/wiki/Notre_Jeunesse, 1910, p.49 Ne serait ce pas un appel à retrouver la mystique de Jeanne, de Péguy c’est à dire la source même de toute vie authentiquement féconde et laisser là nos bavardages politiques qui ennuient Dieu ? Si nous imaginons améliorer le sort de la France et de la chrétienté à coup de projections politiques, alors « autant vouloir améliorer le pôle Nord » [8]Hans Urs von Balthasar, la Gloire et la Croix. p.355

 

Frédéric Eymeri – Peinture du Temps Présent – Attraction (Source)

References

References
1 Charles Péguy, Notre Jeunesse, https://fr.wikisource.org/wiki/Notre_Jeunesse, 1910, p.242
2 Robert Brasillach, Le procès de Jeanne d’Arc, Editions de Paris, Paris, 1998 p.128
3 Régine Pernoud, Jeanne et Thérèse, Seuil, Paris, 1984, p.23
4 Charles Péguy, Notre Jeunesse, https://fr.wikisource.org/wiki/Notre_Jeunesse, 1910, p.64
5 http://charlespeguy.fr/La-dent-du-dieu-qui-mord
6 Charles Péguy, Notre Jeunesse, https://fr.wikisource.org/wiki/Notre_Jeunesse, 1910, p.142
7 Charles Péguy, Notre Jeunesse, https://fr.wikisource.org/wiki/Notre_Jeunesse, 1910, p.49
8 Hans Urs von Balthasar, la Gloire et la Croix. p.355
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