Dans le contexte actuel de beaucoup de nouvelles catastrophiques et angoissantes, il est éclairant de relire ces mots que le père Schmemann donnait lors d’une conférence en Mai 1982, nous remettant devant les yeux l’une des vérités les plus fondamentales de notre vie, le don et la joie du Royaume de Dieu.
La ronde des élus – Fra angelico
Nous devons retourner à la dichotomie chrétienne de base, qui se situe entre l’ancien et le nouveau : « Voici, je fais toutes choses nouvelles » [1]Ap 21, 5 . Notez que le Christ ne dit pas : « Je crée de nouvelles choses », mais « toutes choses nouvelles ». Telle est la vision eschatologique qui devrait marquer notre célébration eucharistique le Jour du Seigneur. De nos jours, nous considérons le Jour du Seigneur comme le septième jour, le Sabbat. Pour les Pères, c’était le huitième jour, le premier jour de la création nouvelle, le jour où l’Église ne se souvient pas seulement du passé, mais elle se souvient du futur, elle entre véritablement dans le futur, le dernier et grand jour. C’est le jour où l’Église se rassemble, ferme les portes et s’élève à un point tel qu’il devient possible de dire : « Saint, saint, saint, le Seigneur Sabaoth, le ciel et la terre sont remplis de ta gloire ». Dites-moi, quel droit avons-nous de dire cela ? Aujourd’hui, je lis le London Times – un changement heureux qui remplace le New York Times – mais quel que soit celui que nous lisons, nous fait-il dire : « Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire » ? Le monde qu’ils nous montrent n’est certainement pas rempli de la gloire de Dieu. Si nous affirmons cela dans la Liturgie, ce n’est pas simplement l’expression d’un optimisme chrétien (« En avant, soldats chrétiens »), mais simplement et seulement parce que nous nous sommes élevés à un point où pareille déclaration est vraie, de sorte que la seule chose qui nous reste à faire est de rendre grâce à Dieu. Et dans cette action de grâces nous sommes en lui et avec lui dans son Royaume, parce que maintenant il ne reste rien d’autre, parce que c’est là où notre ascension nous a déjà conduits.
Créé, tombé, racheté
C’est ici, dans l’expérience et le témoignage liturgiques qui nous permettent de chanter : « Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire », c’est ici que nous restaurons – ou nous en avons du moins la possibilité –, la vision chrétienne essentielle du monde et par conséquent un programme pour la théologie. Dans cette vision ou programme, il y a trois éléments, trois acclamations fondamentales de foi que nous devons garder ensemble dans l’unité.
D’abord, Dieu a créé le monde, nous sommes ses créatures. Dire ceci ne signifie pas nous impliquer dans des questions concernant Darwin et les histoires bibliques de la création, controverse encore très vivante dans l’Amérique contemporain. Ceci n’est pas l’essentiel. Affirmer que nous appartenons à la création de Dieu, c’est affirmer que la voix de Dieu parle constamment en nous et nous dit : « Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et voici, cela était très bon » [2]Gn 1, 31 . Les Pères déclarent que même le diable est bon de nature et mauvais seulement par le mauvais usage de sa liberté.
Il y a ensuite un deuxième élément, inséparable du premier : ce monde est tombé – tombé dans sa totalité ; il est devenu le royaume du prince de ce monde. La vision puritaine du monde, tellement prédominante dans la société américaine dans laquelle je vis, accepte que le jus de tomate soit bon et que l’alcool soit toujours mauvais ; en effet, le jus de tomate n’appartient donc pas au domaine de la chute. De même, la télévision nous dit que « le lait est naturel » ; en d’autres mots, il n’appartient pas non plus au domaine de la chute. Mais en réalité, le jus de tomate et le lait font également partie du monde de la chute avec tout le reste.
Tout a été créé bon et a succombé ; et finalement – ceci est notre troisième « affirmation fondamentale » – tout est racheté. Racheté par l’incarnation, la croix, la résurrection et l’ascension du Christ et par le don de l’Esprit à la Pentecôte. Telle est la triune intuition que nous recevons de Dieu avec gratitude et joie : notre vision du monde comme créé, tombé et racheté. Voici notre programme théologique, notre clé aux problèmes qui tourmentent le monde aujourd’hui.
La joie du Royaume
Nous ne pouvons pas résoudre les problèmes du monde en adoptant une attitude soit de capitulation soit de fuite. Nous pouvons seulement répondre aux problèmes d’aujourd’hui en les transformant, en les comprenant dans une perspective différente. Nous devons retourner à cette source d’énergie, au sens le plus profond du mot, que l’Église possédait quand elle partait à la conquête du monde. Ce que l’Église a introduit dans le monde n’étaient pas certaines idées applicables simplement aux besoins humains, mais tout d’abord la vérité, la droiture, la joie du Royaume de Dieu.
La joie du Royaume : je m’inquiète toujours que dans les immenses tomes de systèmes de théologie dogmatique dont nous avons hérité presque chaque terme est expliqué et soumis à discussion, sauf le seul mot par lequel l’Évangile commence et se termine : « Rassurez-vous, voici je vous annonce une grande joie » [3]Lc 2, 10 – l’Évangile commence donc avec le message des anges. « Et ils l’adorèrent et revinrent à Jérusalem en grande joie » [4]Lc 24, 52 – ainsi se termine l’Évangile. De fait, il n’y a pas de définition théologique de la joie. Car nous ne pouvons pas définir ce sens de la joie que personne ne peut nous enlever et ici toutes les définitions se taisent. Ce n’est que si cette expérience de la joie du Royaume dans toute sa plénitude est placée au centre de la théologie qu’il devient possible pour la théologie de s’occuper à nouveau de la création dans sa véritable dimension cosmique, de s’occuper de la réalité historique de la lutte entre le Royaume de Dieu et le royaume du prince de ce monde, et finalement de la rédemption comme la plénitude, la victoire et la présence de Dieu, qui devient tout en toutes choses.
Il ne faut pas davantage de piété liturgique. Au contraire, un des plus grands ennemis de la Liturgie est la piété liturgique. Nous ne pouvons pas considérer la Liturgie comme une expérience esthétique, ni comme un traitement thérapeutique. Sa seule et unique fonction est de nous révéler le Royaume de Dieu. C’est cela que nous commémorons éternellement. Le souvenir, l’anamnèse du Royaume est la source de tout le reste dans l’Église. C’est cela que la théologie s’efforce d’introduire dans le monde. Et cela advient même dans un monde « postchrétien » comme don de guérison, de rédemption et de joie.
Alexander Schmemann, Liturgy and Life (extrait)
Theological Reflections of Alexander Schmemann
St Vladimir’s Seminary Press, Crestwood NY, 1990.
Traduction : Valère De Pryck
Ah ! Quel bonheur de lire Schmemann capable de nous ramener à la vraie Joie alors qu’il a affronté tant de difficultés dans son exil américain !!!!
Dans le contexte actuel où nous voyons clairement que le Démon est à la manœuvre pour aliéner de façon radicale la liberté des Hommes, il est bon d’entendre une telle proclamation de la Joie que personne ne pourra nous enlever si , et seulement si, nous sommes fidèles !
Alors résister comme nous le pouvons , de toutes nos forces, contre le délire covidien,, aimer notre prochain le plus proche , donc nos familles avant tout, remercier Abba pour sa bonté à notre égard , Lui quj nous veut avec Lui , voilà qui doit nous guider dans la joie, vers la joie, avec Marie comme Etoile. !
Merci à toi , Alexandre qui , du haut du Ciel où tu résides sûrement, nous envoie ces messages de Joie!!!!