Pendant la période de la pandémie, les écoles de tous niveaux ont fait l’objet de reportages dans les journaux, à la télévision et sur Internet. Un nombre important de débats a été assorti d’une grande pauvreté de contenu. Surtout, le thème de l’éducation des enfants et des jeunes, qui a été central à tout moment, mais particulièrement en cette période de reprise, a été très important.
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Rappelons-nous un peu ces semaines. Soudainement, les écoles ont été fermées. Les enfants, les adolescents et les jeunes étaient confinés chez eux, où ils devaient tout à coup réinventer leur journée et leur rapport avec l’apprentissage scolaire. Les familles n’avaient pas toutes assez d’ordinateurs pour permettre aux parents de travailler pour le smart working et aux enfants d’étudier à distance ; toutes n’avaient pas de pièces assez grandes pour ne pas se gêner les uns les autres, ou d’adultes capables d’apprendre aux enfants de quatre ou cinq ans l’utilisation de la technologie pour se connecter avec leurs éducateurs préscolaires.
Soudain, nos enfants et petits-enfants se sont retrouvés sans rapport physique avec leurs professeurs, alors que la grande boîte de publicité des médias prétendait invariablement que de grands bienfaits découleraient de cette nouvelle approche de l’étude. Ils auraient certainement vendu plus d’ordinateurs, en oubliant que, dans une partie du pays, le réseau est absent, et que dans une autre, il est très faible.
L’enseignant en est donc venu à assumer une nouvelle fonction : il devait suggérer aux enfants ce qu’ils devaient faire, présupposant en eux une capacité d’obéissance et de créativité difficiles à trouver. Par conséquent, même pour les adultes, la période de confinement a été stressante.
Presque sans s’en rendre compte, la fonction de l’enseignant, sa relation avec les élèves, et, finalement, la finalité même de l’école ont changé. On peut donc dire que le lockdown a avantageusement catalysé certaines questions qui manquaient depuis longtemps à l’horizon de la réalité éducative de notre pays : quelle est la fonction de l’école ? Comment s’inscrit-elle dans la mission plus globale de la famille et des autres communautés éducatives ? En particulier, quelle est la fonction des enseignants ? Quelle est la place des livres, des questions, des notes, de la recherche, de l’expérimentation et de la technologie dans tout cela ?
Un éléphant qui ne bouge pas
Avant de répondre à ces questions, je voudrais souligner que l’école italienne est considérée par les familles et les opérateurs culturels de notre pays comme gravement malade. Mais le pire, c’est qu’il s’agit d’un malade pour lequel beaucoup trop de médecins se sont déplacés au cours des cinquante dernières années, avec des diagnostics et des thérapies contradictoires, souvent interrompus brusquement pour être remplacés par d’autres, ce qui entraîne une paralysie ou une aggravation de la situation clinique du patient. Par métaphore, j’ai évoqué ici les tentatives de réforme des institutions éducatives qui se sont succédées avec une rapidité vertigineuse et autant d’impasses dans un laps de temps qui aurait dû enregistrer, précisément en raison des changements soudains et profonds de la société, des plans de réforme cohérents et des voies suivies depuis longtemps.
L’école italienne est aux mains d’une énorme bureaucratie, puissante et imperméable à tout changement, comme un énorme éléphant qui se débat pour se déplacer et se repenser, alors qu’il lui faudrait de l’agilité et de la capillarité. Chaque année, les mêmes problèmes semblent réapparaître : le manque d’enseignants ; les concours qui se succèdent, sans jamais voir un achèvement satisfaisant du personnel ; les bâtiments scolaires qui restent à l’abandon et ne reviennent comme un problème urgent et inévitable qu’en cas de tremblement de terre ou de catastrophe ; les enseignants sous-payés, souvent démotivés, et profondément marqués par une crise radicale dans les relations avec les familles, ainsi qu’une perte d’autorité.
De plus, les programmes scolaires sont souvent modifiés en raison du courant culturel dominant du moment : ainsi, l’histoire ou la philosophie, le grec ou le latin, la science ou l’art … sont de temps en temps mis en valeur ou dégradés dans le nombre d’heures d’enseignement, sans qu’un plan précis corresponde à ces choix et en révèle le sens. D’autres thèmes sont à retenir ici : surtout la relation entre l’enseignement au secondaire, le travail et l’université.
Un autre thème fondamental est l’autonomie des différentes unités d’enseignement, leur capacité et leur possibilité de générer, dans le cadre plus large établi par l’État, des programmes et des parcours plus adaptés aux étudiants dans les différentes régions ou localités ; l’autonomie administrative et la valorisation des écoles nées de l’initiative passionnée de particuliers, religieux et laïcs, qui sont un atout essentiel, même d’un point de vue quantitatif, pour l’ensemble du pays. Cette école que l’on s’obstine encore aujourd’hui à qualifier de « privée », avec un mépris pas tellement déguisé, et qui au contraire est à toutes fins utiles, « publique » pour le service qu’elle rend, même s’il n’émane pas de l’initiative de l’État.
Le sens et la passion
Mais je voudrais me concentrer sur les questions essentielles, sans lesquelles toute nouvelle tentative de réforme sera dépourvue d’avenir. Les deux questions fondamentales qui sont à la base d’une véritable réforme de l’école peuvent être résumées comme suit : l’école est-elle seulement un lieu de formation ou est-elle aussi un lieu d’éducation ? Quelle est la tâche de l’enseignant et de la famille dans ce contexte ? Traitons-les maintenant séparément.
Le long malentendu qui a traversé les dernières décennies du siècle dernier de l’école publique a été généré par la théorie dominante de l’ « école neutre ». En d’autres termes, on voulait faire croire qu’il était possible de transmettre des connaissances, sans qu’avec celles-ci il fut nécessaire de communiquer un sens à la vie et une passion pour l’existence. Ce sens, cette passion qui devrait animer l’étudiant, on ne sait plus quelle communauté de référence est à même de l’offrir. La connaissance en réalité, ne peut jamais être séparée d’une passion qui la motive, de questions qui la font désirer, d’une inexorable attractivité vers le bien et la beauté qui en sont le fondement.
Chez l’homme, et donc aussi et surtout chez les jeunes, le chemin vers la réalité, vers l’histoire, la géographie, l’apprentissage d’une langue, la recherche scientifique, la connaissance du passé, la projection dans l’avenir … naît toujours de quelque chose de plus large et de plus profond. C’est le désir de répondre à la question : qui suis-je ? Quelle est ma place dans le monde ? Quelle contribution puis-je et pourrai-je apporter à la croissance de la société dans son ensemble, en mettant à disposition mes dons et les qualités qui distinguent ma personnalité ?
S’il est juste de reconnaître la particularité de chaque savoir et de chaque méthode d’apprentissage liés aux différentes expressions de l’être humain, il est impossible de séparer le rapport avec un texte, une œuvre d’art, une hypothèse historiographique, une formule mathématique, une loi de physique et de chimie … d’une intuition globale de l’existence, toujours perfectible mais nécessaire, qui constitue l’horizon dans lequel chaque pas de l’homme est placé pour se comprendre lui-même et comprendre le monde. Affirmer cela, ce n’est pas se méprendre naïvement sur le risque de l’idéologie. Le jeune garçon ne doit pas être endoctriné, ni se voir imposer discrètement, par l’autorité d’un professeur, avec la bête noire d’un vote négatif, des lectures du monde et des choses proposées comme vérité, sans qu’il ait à vivre et à découvrir la valeur essentielle de la raison et de l’affection, c’est-à-dire la relation entre la vérité, le bien et le beau.
L’enseignant et la famille
C’est là, dans cette aventure permanente de découverte et de questionnement, que réside le côté le plus fascinant de tout apprentissage, où la proposition de l’enseignant et l’accueil critique de l’élève sont appelés à se côtoyer, ou plutôt à se soutenir mutuellement, dans la découverte passionnante de la croissance de la personne vers la maturité. Les enseignants dont nous nous souviendrons le plus ne seront pas ceux qui se sont cachés derrière leur sujet, mais ceux qui, à travers lui, nous ont montré la passion de leur vie.
Comme il est épuisant et en même temps excitant pour un jeune garçon de pouvoir rentrer chez lui et de se dire : « Aujourd’hui je vois mieux qu’hier, j’ai compris quelque chose que je ne savais pas. Je peux mieux écouter la musique, mieux comprendre un poème, mieux regarder cette peinture, me défendre avec de meilleures armes face à l’intrusion des nouvelles et des images, mieux comprendre comment va le monde, mais surtout quelle contribution je suis le seul à pouvoir apporter ».
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Il est certain que nous n’avons pas besoin de penser à une vision angélique de l’école. Chacun, dès son plus jeune âge, porte en lui des questions sans réponse, des drames, des échecs, des contradictions, des pulsions fortes qui semblent rendre tout banal et insignifiant. C’est précisément à ce niveau que se situe la contribution que personne d’autre ne peut apporter au même titre que l’école : une communauté de personnes qui vivent ensemble dans le désarroi et les luttes, sous la direction d’enseignants qui ont autorité, motivation et patience, et qui essaient de trouver des moyens de s’améliorer.
On peut donc s’ouvrir à la deuxième question : quelle est la place de l’enseignant et de la famille ? Que nous le reconnaissions ou non, l’enseignement n’est pas seulement une profession : c’est une véritable vocation. En fait, c’est à ce niveau de la relation interpersonnelle qu’elle ne peut jamais être réduite à une simple fonction. De fait, un enseignant n’est pas celui qui télécharge sur ses élèves un ensemble de connaissances qu’ils doivent apprendre par coeur pour obtenir une note positive. C’est bien plus que cela. C’est une personne qui se place au centre de la croissance de toute une société, d’une nation, pour encourager, dans la transition générationnelle, la remise en question critique d’une tradition, en aidant les jeunes à découvrir ce qui est tombé en elle, ce qui doit être accueilli, repensé, reformulé, vers une nouvelle synthèse.
Il ne peut y avoir une réforme efficace de l’école sans une nouvelle prise en compte, dans le pays, de la préciosité du travail des enseignants, mais aussi une redécouverte par ceux-ci du niveau stratégique de leur tâche, qui est essentiellement confiée à la capacité de relation entre l’enseignant et l’élève.
Le cœur de l’aventure
La crise du principe d’autorité a conduit de nombreux enseignants à dévaloriser leur image face à eux-mêmes. Les énormes problèmes que la crise de l’institution familiale a fait surgir dans l’école ont souvent engendré chez eux un sentiment d’impuissance insurmontable. Si nous ne repartons pas d’une alliance famille-enseignant, en particulier dans les écoles maternelles, primaires et secondaires, la fonction positive de l’institution scolaire ne renaîtra pas.
Si la famille fait en sorte que le garçon considère l’enseignant comme un adversaire, voire un ennemi, les heures d’école deviendront un tourment à éviter, même si les votes ne seront plus exprimés en nombre mais en jugements. Tout changement restera superficiel si la relation entre l’enseignant et son élève, qui est au cœur de l’aventure scolaire, ne change pas. Comment les enseignants peuvent-ils avoir une autorité sur leurs enfants si, parfois, ils sont les premiers à cesser de croire en la bonté de l’adulte, au chemin de la maturité affective et cognitive ?
Je pense que nous devrions repartir de là : des communautés familiales et des communautés d’enseignants qui se soutiennent mutuellement dans un travail extraordinaire qui ne peut être sous-traité à personne d’autre.
Article écrit par Mgr Massimo Camisasca, publié le 17 septembre 2020 sur Tempi et traduit de l’italien par CM