À l’époque du coronavirus, alors que tout est urgence et alarme et que des mots martiaux tels que « couvre-feu » résonnent, Monseigneur Massimo Camisasca, à travers une lettre écrite aux prêtres et différentes interviews données aux journaux italiens, se soucie de la vie des gens et pas seulement de leur santé. Dans ces interventions – dont nous publions ci-dessous des extraits – , Monseigneur Camisasca invite les personnes à vivre avec prudence, mais aussi avec sérénité, confiance en Dieu et capacité de relations.
Don Massimo Camisasca
Sa lettre adressée aux prêtres dernièrement traduit parfaitement l’inquiétude d’un pasteur qui voit son troupeau « courir le risque d’entrer dans une vision paranoïaque de la réalité » et finir par se convaincre que « le seul critère est de s’enfermer là-dedans » . Au lieu de cela, Camisasca écrit : « sans renoncer à toute l’attention qui nous est due, nous devons continuer à vivre ». Cela – aider à vivre même au milieu des difficultés – est la tâche de l’Église et l’apport du christianisme : « Jamais auparavant il n’est apparu clairement que les raisons de la foi sont les raisons de la vie », a écrit l’évêque.
Extraits des interviews de Monseigneur Camisasca [1]Interviews publiés sur Tempi le 22 octobre 2020 et sur Cavevisioni le 23 octobre 2020 . Traduits de l’italien par CM
Monseigneur Camisasca, pourquoi avez-vous ressenti le besoin d’écrire cette lettre ?
Cette lettre découle de la perception que j’ai reçue lors de mes rencontres régulières avec les gens : la perception d’un état d’anxiété et d’agitation généralisé plus grand que ce qui serait raisonnable. Un véritable climat de peur est créé dans la société, qui au lieu de l’aider à faire face aux difficultés, finit par la paralyser.
Il s’agit donc de rencontres avec les fidèles.
Certainement. Et j’ai écrit aux prêtres parce qu’ils sont les précurseurs pour les fidèles dans cette éducation de l’esprit à une prudence raisonnable. Et parce que je vois, non seulement chez eux mais chez beaucoup de gens, une anxiété exagérée. Non pas parce qu’il n’y a pas de raison de s’inquiéter. Mais parce que les gens doivent toujours être mûs par quelque chose de plus grand. Pour les chrétiens, c’est la foi. La foi nous enseigne que Dieu n’abandonne jamais son peuple. Il l’accompagne et le guide, en lui apprenant à vivre les circonstances du moment présent.
Comment expliquer qu’un document pastoral soit devenu viral sur les sites et chats des fidèles ?
Parce que les fidèles ont soif de paroles d’encouragement. Au lieu de cela, ils sont trop soumis à une pluie de mots déprimants, en contraste les uns avec les autres.
Dans la lettre, il est question des « insécurités de la politique » ainsi que de celles des gens ordinaires. Cela fait-il référence au gouvernement ?
J’ai l’impression que les journaux et les politiciens, outre le fait qu’ils ont le mérite de traiter de cette situation, contribuent à créer un climat de peur parmi les gens. On écoute les interventions des politiciens comme autrefois les bulletins de guerre. Cela me semble avoir un effet dépressif sur les gens. Après le confinement, j’ai vu des gens très marqués par la détresse psychologique, plus encore que par la maladie et la pauvreté. Dans certains cas, il y avait donc aussi des problèmes relationnels, peut-être déjà présents, parce qu’ils n’étaient pas traités avec le calme et la rationalité nécessaires. Mais dans la lettre, il y a un autre message adressé à tous les croyants.
Quel message ?
Une invitation à ce que notre foi ne soit pas abstraite. Si notre foi est vraie, elle est toujours une lumière et une force dans les difficultés du moment. Nous ne devons jamais oublier que Dieu ne nous lâche pas la main. Dieu permet les difficultés parce que nous devons redécouvrir le caractère concret de sa présence et la nécessité de notre conversion.
Vous n’avez pas peur des critiques ? De passer pour « négationniste » ?
Mais je ne suis pas un négationniste ! Dans la lettre, j’ai écrit clairement que nous ne devons pas renoncer à des attentions telles que le masque, l’hygiène des mains et la distanciation.
Oui, mais il en faut peu désormais pour être accuse de négationnisme
Eh bien, je veux absolument sortir de la logique des contrastes, donc si on dit que quelque chose est noir, on est accusé de nier que le blanc existe. Non : nous devons aider les gens à comprendre tous les facteurs qui sont en jeu dans la réalité.
Fin février, dans un autre interview, vous avez déclaré au Times que les gens avaient plus peur de l’indétermination et de leur propre impuissance que du coronavirus. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?
Oui, c’est toujours le cas.
Vous avez également dit : nous nous en sortirons, même si cela prend du temps.
Bien sûr, nous nous en sortirons dans la mesure de notre foi. C’est-à-dire, dans la mesure où nous ne nous retournerons pas sur nous-mêmes, dans la mesure où nous ne penserons pas que seule la confiance en nos propres forces peut résoudre les situations, dans la mesure où nous maintiendrons des relations de véritable communion avec Dieu et avec les autres.
Photo : © Paul Anel
Donc, quand vous dites « nous allons nous en sortir », vous ne parlez pas de soins de santé.
Nous ne savons pas si ce virus sera éradiqué ou s’il restera parmi nous. Le fait est que, à l’exception de la variole, tous les virus sont restés sous une forme ou une autre. Mais nous savons que nous nous en sortirons : du point de vue médical, nous trouverons aussi des vaccins et des outils pour nous protéger, mais nous nous en sortirons surtout si nous ne nous laissons pas abattre par notre regard sur la vie.
Toujours dans l’interview de février, vous nous avez invités à considérer la pandémie comme une occasion de « redécouvrir le poids de la prière et de la parole de Dieu dans nos vies », car dans cette urgence « le Seigneur nous rappelle à une vie moins superficielle, il nous invite à trouver ce qui est éternel dans ce qui passe, à une considération plus apaisée de l’existence ». Pensez-vous que l’invitation a été acceptée ?
Elle a été acueillie par quelques uns. Pour l’approfondir, il faut un très long travail, qui coïncide essentiellement avec la reprise de la vie dans notre société. Aujourd’hui, nos communautés sont minées par l’individualisme, mais la personne doit trouver un contexte communautaire afin de ressusciter. Sinon, si elle croit qu’elle ne peut compter que sur ses propres énergies psychiques, morales ou spirituelles, elle ne réussira pas.
Et elle finira par « s’enfermer », comme vous avez écrit dans la lettre.
C’est exact. Nous devons plutôt redécouvrir l’objectivité du sacrement de l’Église.
Un défi ambitieux.
Oui.
Dans la lettre, vous mentionnez ensuite la sécurité des églises du diocèse. Pourquoi ?
Je vais faire une blague. Si vous ne voulez pas être contaminé par le Covid, venez à l’église. C’est une blague, précisément, mais en réalité nous avons mis en place un tel réseau de sécurité qu’il n’y a vraiment aucun endroit plus protégé du virus que nos églises.
Et pourtant, la fréquentation a été réduite. Nous l’avons constaté même après la réouverture des églises.
Il est vrai que la fréquentation a été très réduite, et à mon avis pour deux raisons : la première est que pour certaines personnes, la messe n’était qu’un rituel et qu’en tant que tel, lorsqu’elle a été remise en cause par une difficulté, elle a perdu son importance ; la seconde est précisément la peur du virus. Ce dernier n’existe pas dans nos églises, il n’y a pas de raison d’avoir peur.
« Exagérer le danger du Covid-19, cause des visions paranoïaques » que voulez-vous dire par une expression aussi forte ?
Aujourd’hui, en plus de graves problèmes de santé et de graves problèmes économiques – je pense à la perte d’emploi de dizaines de milliers de personnes – nous sommes confrontés à de très graves problèmes psychologiques. Le confinement a été un moment déstabilisant. Nous devons donc aider les gens à sortir de l’angoisse générée par l’hypothèse de la réapparition d’une situation que nous avons déjà vue. Je comprends qu’il n’est pas facile de combiner attention et liberté, mais je préfère me soucier de la maturité des personnes.
Vous parlez d’une « croissance de l’inquiétude et de l’incertitude, également favorisée par les médias et les insécurités de la politique ». Êtes-vous critique à l’égard de la vision actuelle ?
Dans les journaux, qui rendent également un service fondamental que je ne veux pas oublier, je vois un accent excessivement apocalyptique. Et donc aussi dans les annonces qui viennent de la politique : je ne vois pas la capacité de transmettre le courage avec des indications de prudence.
Photo : Source
Vous dites que la paranoïa est une vision « détachée des vraies dimensions du danger » : n’avez-vous pas peur de l’accusation de déni ?
Non, le danger est bien présent devant mes yeux. Certains de mes amis sont morts et beaucoup ont traversé la très dure épreuve du Covid. Mais ce n’est pas en amplifiant le danger que l’on donne aux gens les armes pour y faire face.
Vous parlez de « peurs exagérées » qui peuvent nuire à la « santé mentale et émotionnelle ». Avez-vous déjà trouvé des preuves de cette corrosion ?
Malheureusement, j’en ai trouvé beaucoup. Surtout dans les relations difficiles que l’anormalité des relations a fait exploser. Des situations de dépression; également des états d’anxiété et une diminution de la lucidité dans la lecture des événements.
Que signifie le fait d’écrire que « les raisons de la vie sont les raisons de la foi » ?
Je veux dire ceci : quel est l’antidote à la peur ? Nombreux sont ceux qui répondraient : le courage mais, comme l’a dit Don Abbondio, le courage ne peut pas nous être donné. On ne sort pas de la peur avec sa propre force. Nous devons reconnaître que quelqu’un nous prend par la main et nous enseigne comment traverser l’obscurité pour aller vers la lumière. Dans le livre Les fiancés, lorsque Renzo, dans le labyrinthe, cherche Lucia, à un moment donné, il entend cette voix : « Nous avons traversé bien plus qu’une tempête. Celui qui nous a gardés jusqu’à présent nous gardera aussi dans l’avenir ». C’est le sens de ma phrase« .
Beaucoup observent qu’il est normal que dans une telle situation, les paroles des scientifiques comptent plus qu’avant, tandis que d’autres se plaignent que la science devient une nouvelle religion : qui a raison ?
Je dois tout d’abord remercier les scientifiques qui, au cours des derniers mois, mais aussi dans le passé, ont travaillé pour nous aider dans les problèmes les plus graves liés à notre santé. À ces remerciements, je dois toutefois ajouter que nous avons assisté l’année dernière à un désaccord très profond entre eux. Ce ne serait pas une mauvaise chose, bien sûr, car la science n’est pas un dogme. Mais malheureusement, j’ai entendu certains scientifiques parler comme s’ils révélaient des dogmes.
La santé risque-t-elle de devenir une nouvelle idole ?
Elle risque de devenir une nouvelle idole dans la mesure où on ne croit plus à la vie au-delà de la mort. Si tout se termine par la mort, la santé devient une divinité.
Dans les journaux, on parle beaucoup d’éthique civile et dans les décrets gouvernementaux, on demande aux citoyens d’être vertueux. Y a-t-il aussi une nouvelle vague de moralisme au-delà de celle du virus ?
Bien sûr. L’éthique civile ne tient la route que lorsque les raisons de la fraternité sont reconnues. Sinon, l’invitation tombe dans l’oreille d’un sourd. Le moralisme est une morale sans racines adéquates et aujourd’hui, plus qu’une averse de moralisme, nous sommes témoins d’un ouragan.
Vous écrivez que « nous ne pouvons pas nous permettre que le seul critère soit de s’enfermer chez soi » : les virologistes et les médecins désapprouveront ce document.
Qui, cependant, ne veut pas être en contradiction avec ce qui pourrait être décidé à l’avenir. Au contraire, c’est une invitation aux scientifiques à garder à l’esprit que dans la santé de la personne, le besoin de relations doit être pris en compte.
Comment avez-vous vécu l’interruption des célébrations pendant la première période de confinement ?
Mal. Ne pas pouvoir célébrer avec les gens est certainement une grande épreuve. Cela ne veut pas dire que ma foi a été ébranlée. Chaque jour, j’ai célébré pour tous et j’ai amené tout mon peuple à chaque Sainte Messe. En même temps, je n’approuvais pas ceux qui disaient : « Les messes sont si belles en streaming, continuons comme ça« . La présence physique fait partie de l’événement chrétien parce que le Verbe s’est fait chair. La communauté chrétienne n’est pas seulement une communion spirituelle, mais passe aussi par des relations charnelles.
References
↑1 | Interviews publiés sur Tempi le 22 octobre 2020 et sur Cavevisioni le 23 octobre 2020 . Traduits de l’italien par CM |
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