Le 16 décembre 1770, Ludwig van Beethoven, l’un des plus grands génies de la tradition musicale occidentale, naissait à Bonn. Aujourd’hui, 250 ans se sont écoulés depuis la naissance de ce grand musicien. Ce dernier a été très tourmenté à cause de sa surdité, qui l’a affligé dans les dernières années de sa vie (il est mort en 1827 à Vienne) et qui a naturellement été pour lui une authentique tragédie, l’empêchant d’écouter les œuvres qu’il créait. Il était aussi probablement malheureux dans sa vie privée, ce qui fait de lui l’un des exemples typiques du musicien tourmenté, génial et intempérant. Une image vraisemblablement peu précise, mais qui se nourrit aussi d’une certaine histoire et d’un certain marketing.
Ludwig van Beethoven est l’une des marques les plus reconnaissables de la musique classique occidentale. Parti de la tradition de la période classique, il l’a faite entrer dans la période romantique en développant des formes et des compositions d’interprétation pour essayer de donner vie à ses visions musicales qui commençaient à se sentir contraintes par les régularités du siècle des Lumières. En lui se déplaçait une espèce de force brutale qui essayait de forcer les conceptions formelles qui avaient bien fonctionné pour les musiciens avant lui mais qui semblaient maintenant insuffisantes pour exprimer son monde intérieur titanesque.
Ludwig van Beethoven. Source (Wikipedia)
Massimo Mila, dans Breve storia della musica, a écrit : « L’harmonie était le champ dans lequel le besoin de liberté se faisait le plus sentir. Beethoven y a apposé une marque vigoureuse, avec un manque de scrupules qui, un demi-siècle plus tard, laissera encore perplexe un ardent romantique comme Berlioz. De véritables batailles seront livrées sur l’utilisation de certains accords et de certaines successions d’accords, et il va sans dire que souvent les phrases « interdites » seront recherchées sans réelle nécessité, utilisées simplement comme une profession de foi combative. Les artistes qui, au XIXe siècle, ont conservé intacts la pureté harmonique et le respect des règles classiques ont été détestés avec fureur par les innovateurs, comme symbole d’un obscurantisme rétrograde. Ce fut le cas de Cherubini [1]cf. ch. XVII, § 2 , artiste digne du plus grand respect, auteur d’une musique sacrée et instrumentale extraordinairement bien faite, et dont la justesse formelle et lexicale ne manque pas d’un souffle de vie intérieure intense, mais qui eut pour seul défaut de survivre trop longtemps à ses meilleures années, dans une position qui se prêtait trop à le faire apparaître comme le tyran de la vie musicale française (il fut directeur du Conservatoire de Paris de 1822 à 1842) ».
Beethoven était catholique, mais probablement pas très pratiquant. À un moment de sa vie, en 1818, pour la consécration épiscopale de l’archiduc Rodolphe de Habsbourg, il écrit une Missa solemnis pour solistes, chœur, orgue et orchestre [2]op. 128 en ré majeur qu’il termine en 1823. Dans Civiltà Cattolica, le père Giandomenico Mucci a déclaré à propos de cette œuvre : « (La) Missa solemnis est exposée à deux interprétations opposées. Il y a ceux qui, comme Vincent d’Indy et tous ceux qui sont sensibles au pur texte liturgique, pensent que cette œuvre suprême exprime la foi catholique et que Beethoven y a démontré son attachement à la doctrine de l’Église romaine. Et il y a ceux qui pensent que l’artiste était un catholique sui generis, intimement fidèle au déisme des Lumières du XVIIIe siècle, avec un penchant évident pour le panthéisme. Le jugement le plus équilibré est peut-être celui d’Eduard Herriot, selon lequel la Missa solemnis a son propre accent religieux, quelle que soit la religion. Un jugement qui peut être entièrement partagé. Quiconque écoute le Kyrie, le Sanctus et le Benedictus de cette messe fait une expérience religieuse qui l’élève au seuil du divin inexprimable ».
En effet, ce double jugement est compréhensible, car cette messe laisse sans voix. C’est parce qu’il s’agit véritablement d’un monument symphonique choral, sans trop se soucier évidemment de l’observation des convenances liturgiques. Nous savons que Beethoven avait en tous cas étudié le grégorien et la tradition musicale de l’Église catholique avant de composer cette messe. Mais à l’heure où nous écrivons, il nous semble que son titanisme intérieur a pris le dessus. Dans le Kyrie on remarque ce ton solennel voire obséquieux de contrepoint qui renvoie à la Renaissance réinterprétée dans le Gradus ad Parnassum de Johann Joseph Fux. Le Gloria semble faire écho à la mémoire de Georg Friderich Händel, le musicien que Beethoven préférait. Et ici, le ton devient encore plus monumental et solennel, presque une statue sonore à la gloire de Dieu. Jusqu’à l’apothéose finale.
Ne pensez pas que dans cette messe il n’y a que des tons grandioses, il y a aussi des moments d’intense inspiration spirituelle. Le spirituel est présent aussi dans les moments de grande jubilation sonore, c’est le compositeur qui essaie de construire un monument fait de sons à cette divinité avec laquelle il a peut-être eu une petite querelle dans la vie. Ensuite, s’il est vrai que la forme puissante de la musique semble presque forcer les conventions liturgiques, il faut aussi dire que l’auteur s’efforce de les respecter même dans leur expansion due à la nature de la composition.
En bref, il faut dire que cette messe est certainement un sommet de la musique symphonique-chorale, une composition extraordinaire dans laquelle l’auteur pousse un cri tantôt désespéré, tantôt jubilatoire à ce Dieu qui lui avait tant donné mais lui avait aussi tant pris.
Article écrit par Aurelio Porfiri et paru sur le Journal La Nuova Bussola Quotidiana le 16-12-2020