Horacio Reyes Paes, vit à Vienne. Compositeur, instrumentiste, cinéaste. Son film, Dance for The Apocalypse vient d’être récompensé par le prix du public 2021 au festival international José Ignacio, lequel représente en Uruguay le Festival de Cannes. Rencontre.
Qu’est-ce qui était premier dans ton projet, la musique, l’image ou la danse?
J’étais en Uruguay, avec un confinement très strict, et je me trouvais, comme beaucoup, dans une grande angoisse. C’était l’époque où on ne savait pas ce qui allait arriver avec ce virus. Parallèlement, il y avait des mouvements sociaux aux USA suite à la mort de Floyd. Le monde était très convulsionné au début de la quarantaine. J’ai senti la nécessité de canaliser cette énergie par la musique, car je ne pouvais pas l’exprimer par les mots. Et un jour, en à peine une heure, j’ai composé la musique sur ma guitare. C’était quelque chose de très puissant qui est venu d’un seul coup. Et tout est venu en même temps, l’idée que je ferai un film sur cette musique et qu’il y aurait de la danse.
Quel était ton intérêt pour la danse ?
J’ai toujours été adepte de la danse contemporaine. Au XXème siècle, la danse s’est transformée. Elle en est venue à exposer un corps qui ne soit pas tant le vecteur d’une idée classique ou de l’identité d’un peuple, mais de l’âme elle-même. Elle est devenue un mode d’expression de nos sentiments profonds. Elle le fait en ne cachant pas les imperfections du corps ou des gestes, comme pour nous montrer que nous sommes des êtres imparfaits.
En tout état de cause, elle représentait une meilleure manière d’exprimer quelque chose d’aussi complexe que les événements que nous avons vécus en 2020 et que nous continuons à vivre jusqu’à aujourd’hui.
Comment as-tu rencontré Olivia ?
J’ai voulu faire intervenir un enfant. Parce qu’un enfant représente le futur de l’humanité et qu’à ce titre il a plus de légitimité qu’un adulte. Avec ses 12 ans, Olivia, est en quelque sorte vraiment un enfant de ce temps.
J’ai donc lancé un casting sur Facebook et sa mère a répondu. Elle faisait parti du cercle de mes proches. Elle avait fait de la danse plutôt classique et musical, mais jamais de la danse contemporaine. En écoutant la musique que j’avais composée, elle a été très émue et a été très motivée pour participer à ce projet. Bénévolement, évidemment, car je n’avais pas de financements ni d’autres moyens que ma caméra dans mon sac et les paysages Uruguayens.
Je lui ai montré Pina Bausch, comme référence de la danse contemporaine, et quelques films actuels pour qu’elle ait une idée de ce que peut être un corps traversé par une angoisse existentielle et qui puisse s’exprimer autrement que par des gestes plus classiques. L’idée l’a enchantée. Ella a surpassé toutes mes attentes par sa compréhension, sa maturité et la qualité de son appréhension d’une réalité si complexe et subtile.
En revoyant le film, j’ai été frappé par une chose. Olivia danse, elle semble seule et pourtant, les traces sur le sable sont très présentes. C’est une solitude accompagnée ?
Chaque fois que je revois ce film, je suis attiré par les traces. Il y a des traces humaines, des traces d’animaux, celles d’une voiture… Il y a beaucoup de traces qui parlent du reste de l’humanité. Mais cette solitude que vit le personnage représente toute l’humanité. Cette solitude est l’image même de l’être humain.
Pourquoi as-tu choisi ce poème de Rudolf Steiner ?
C’est un texte que j’ai connu il y a 12 ans, dans une étape très critique de ma vie. J’avais 21 ans, j’errais dans Buenos Aires avec un sentiment d’angoisse extrême. A l’époque, je m’intéressais à l’œuvre de Rudolf Steiner parce qu’il me semblait qu’il donnait une perspective très contemporaine et actuelle de la réalité spirituelle de l’être humain.
Ce texte m’a beaucoup aidé. Je le répétais en permanence dans la rue, dans le bus. Je le récitais chaque fois que j’avais besoin de retrouver la réalité et de me sentir plus assuré dans cette vie.
Il m’a tellement aidé qu’à ce moment là, je me suis dit qu’un jour, j’en ferai un film.
D’ailleurs tu n’as pas fait un seul film sur ces textes, mais deux. Pendant cette année, tu as réalisée d’autres projets : photographiques, musicaux et filmographiques.
Oui, en effet, j’ai entre autre réalisé une trilogie autour du confinement. Un premier film est de fait basé sur un autre texte de Steiner. Il a gagné la mention spéciale du jury au festival du film de Pirapolis (2020). L’autre a été tourné à Vienne. Il s’intitule « Pillow ». Il se situe entre le documentaire et la fantaisie. Il n’est pas encore accessible car il va concourir dans des festivals.
Le premier film ‘A prayer’, touche aussi un peu ce mystère de la fin du monde. Il m’a semblé qu’il venait nous souffler quelque chose à l’oreille, comme le fait Olivia au début du film. Une parole à la fois dramatique et consolante.
Au début du confinement, nous nous sommes retrouvés bloqués en Uruguay et nous ne pouvions pas retourner à Vienne. J’allais chaque soir m’endormir avec cette idée de devoir faire un film qui soit en même temps une prière.
C’est là que je me suis rappelé que Steiner, philosophe autrichien, avait écrit des prières durant la Première Guerre Mondiale et durant la pandémie de 1918. Je crois que ses textes furent parmi les plus utiles de cette époque terrible. Le texte en question n’est pas tout à fait de lui, mais a surgi comme la conséquence d’une conférence donnée à Berlin en 1910, intitulée : ‘l’essence de la prière’ (GA59).
Comme chez Steiner, il y a donc dans ton travail une dimension spirituelle et aussi comme une volonté de soulager les blessures du temps.
Je n’ai pas tourné ces films pour une satisfaction personnelle ou esthétique. J’ai plutôt essayé de le faire en pensant que le spectateur pourrait sentir comme un soulagement. J’ai essayé d’utiliser l’art à travers sa fonction qui consiste à guérir les cœurs. Or ce n’était pas une fonction uniquement artistique, mais également spirituelle. Josef Boys concevait l’art comme un acte de foi. Il s’agissait pour lui de défendre une dimension spirituelle dans un monde toujours plus matérialiste. Il pensait que seul l’art avait le pouvoir de changer quelque chose dans un monde en ruine.
Et en ce temps si malade, j’ai senti que je devais utiliser cet outil. Car je crois que l’art a le pouvoir de guérir.