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J’ai toujours aimé les moines, leur vie me donne l’impression d’être plus authentique que celle d’un youtuber. C’est pourquoi je me suis toujours demandé s’il est possible de vivre de cette façon dans la ville.

 

Photo : © Natalia Satsyk

 

Je craque l’allumette et j’aspire la fumée, ah. Cela sent le village de mes grands-parents en hiver. Je la craque pour allumer la bougie qui est à côté de l’icône. Je fais ça depuis un an, tous les jours. A l’heure de la sieste, quand mes enfants regardent la télé dans le salon, je ferme la porte et m’assieds sur mon petit banc de bois. Les circonstances qui sont les miennes ne sont pas les plus propices, évidemment: je veux parler de six jeunes enfants dans un appartement de cent mètres carrés. Mais il y a toujours du temps pour se taire. Pour cette raison, je ne crois pas ceux qui disent qu’ils n’en ont pas pour lire ou méditer. Quand quelqu’un désire quelque chose, il ferait l’impossible.  Avant, lorsque les parents n’étaient pas des amis, on inventait mille stratagèmes pour voir sa fiancée ou tromper la vigilance de son père qui était tellement strict. Prier n’est pas autre chose: c’est voir son bien-aimé, donc il n’y a pas d’excuse qui tienne.

Je ne pourrais pas vivre sans cette demi-heure, je le dis sérieusement. Ce moment de silence soutient ma vie actuelle. Maintenant je comprends ce qui m’est arrivé dans une salle de cinéma, en regardant Le grand silence. J’ai senti que la vie des chartreux était ma vie, et cela m’a laissé perplexe. Je suis marié, moi, mon Dieu, ai-je pensé. Comment puis-je me sentir identifié à ces religieux?  Ce que j’expérimentais alors, je l’ai compris des années plus tard, c’était un appel à la contemplation. J’ai toujours aimé les moines, leur vie me donne l’impression d’être plus authentique que celle d’un youtuber. C’est pourquoi je me suis toujours demandé s’il est possible de vivre de cette façon dans la ville, avec une famille, assiégé par les dangers de ce monde plein de sensualité.

Maintenant, je réponds que oui bien sûr. Chacun de nous est appelé à être un moine sans avoir besoin d’avoir la tête rasée ou un long chapelet qui pend sur le côté. Cette intensité que l’on perçoit dans le regard du moine, le calme avec lequel il vit, nous attirent parce que nous sommes appelés à la même vie, même si les circonstances sont différentes. La vie contemplative, c’est vivre la même chose que tout le monde mais en étant attentifs, rien de plus.

Le moine, affirme Thomas Merton, est une personne qui adopte une attitude critique face au monde et à ses structures. Un homme ou une femme qui désire être éveillé, vivre conscient, ne pas se laisser entraîner par ce que nous appelons l’ennui. Qui, plus qu’être protagoniste de son temps, préfère s’éloigner, se mettre de côté et regarder ce qui se passe sans prétendre le manipuler. Le moine est celui qui consacre sa vie à s’unifier, dit Pablo d’Ors. Ce qui veut dire réunir ce qui est dispersé. De là vient le mot méditer: mettre au milieu, centrer. Ce qui fait que le moine peut être un homme marié et qui a six jeunes enfants, parce que c’est une manière de vivre dans laquelle l’éternité est mélangée avec des questions aussi terre à terre que l’est un distributeur automatique. Mon désert est le monde qui est le mien, ce siècle des iPhones et des youtubers. La grotte où je me recueille, une maison pleine d’enfants. La communauté, une femme qui ne m’adule pas, avec qui les frictions m’humilient.

Persévère

J’éteins la bougie en soufflant dessus, après une demi-heure de silence. Je range mon petit banc et j’ouvre la porte. En entrant dans ma chambre, mon fils aîné me dit que ça sent le bois, et j’acquiesce en souriant. Je voudrais que cet arôme imprègne la totalité de mon existence. Que mon dernier jour sur terre soit cette odeur pour les autres. Celle d’un feu un jour de grand froid. Que ça sente la maison, la cheminée, le parfum de l’intimité.

Mon fils —voudrais-je lui dire, bien que je n’ouvre pas les lèvres—, si dans une vingtaine d’années tu es un homme capable d’allumer une bougie dans ce siècle des ordinateurs, je serai plus que fier de toi. Parce que tu auras la foi. La foi signifie parler dans le secret avec ton véritable Père. Si tu fermes la porte de ta chambre et tu te tais, tu répètes la prière du cœur une fois après l’autre, attentif à ta respiration, sans te préoccuper pour tes limites. Que ta précarité ne t’effraie pas. Persévère.  Craque une allumette après l’autre, tous les jours de ta vie, jusqu’au jour où toi aussi tu brûleras.

 

Article de Jesús Montiel publié le 17 janvier 2021 sur le Journal El Debate de Hoy.
Traduit de l’espagnol par AB

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