En ce mois de novembre où la liturgie catholique oriente nos cœurs et nos regards vers les réalités de l’au-delà et l’intercession pour nos morts, le père Philippe de Maistre a donné plusieurs conférences à l’occasion de la sortie de son livre « Mourir Vivant » aux éditions « Le Laurier ». Ce beau titre est né de sa méditation sur cette citation du prêtre et théologien suisse, Maurice Zundel, qui disait que la question n’était pas tant pas de savoir si nous serons vivants après la mort que de savoir si nous serons vivants avant la mort.
© Catherine Nhi
Que signifie être pleinement vivant pour nous ? En revenant sur les bases d’anthropologie et de philosophie, il s’agit d’être pleinement éveillé dans son corps, dans son âme et dans son esprit. La conception traditionnelle fait une distinction entre âme et esprit. L’âme est en fait tout ce qui permet d’appréhender le monde intelligible, la capacité de comprendre, l’imagination, la psyché. L’esprit est ce que nous appelons souvent communément « âme » qui est la dimension spirituelle de la personne, cette capacité d’être en relation avec Dieu.
Le drame aujourd’hui dans l’accompagnement aux personnes en fin de vie est que beaucoup vont s’engager auprès de ces personnes, en étant très soucieux du domaine médical : en fin de vie, on veut traiter la douleur, c’est toute la dimension des soins palliatifs. On va également beaucoup accompagner le psychologique, l’affectif. Beaucoup vont oublier la troisième dimension, celle qui va pourtant s’ouvrir le plus en fin de vie, la dimension spirituelle.
La mort, une décision ?
À l’opposé de l’euthanasie, le père Philippe de Maistre explique, à travers des exemples de personnes, qu’il y a un acquiescement nécessaire à la mort. Que les personnes attendent de remettre leur esprit. La mort n’est pas quelque chose de subi, mais il y a un don : je dis oui à un appel. Tout comme le Christ a remis son esprit sut la Croix, en réponse à un appel, la personne en fin de vie doit acquiescer. Il raconte l’exemple d’une personne qui, d’après les médecins, devait être morte mais « ne se décidait pas à mourir ». Cette personne avait deux enfants handicapés. Alors un de ses amis est venu dire à l’oreille du mourant « je vais prendre soin de tes enfants, je serai leur père, tu peux partir », et la personne a expiré. Mourir dans l’inconscience n’est pas une bonne mort dans une conception chrétienne. Que signifie mourir dans la dignité ? Il s’agit de laisser s’exprimer la dimension spirituelle, et non de décider quand mourir.
Dignité, accompagnement, toucher
Il évoque la dignité contenue dans les soins, l’attention faite à la personne, qui accompagne dans un grand respect. Le soignant peut ouvrir une porte, dans sa délicatesse, sa manière de toucher ce corps spirituel. Alors la personne en fin de vie est pleinement vivante car en relation avec la dimension spirituelle. Le père de Maistre parle du toucher : les petits enfants et personnes âgées ont beaucoup ce sens du toucher. Pour nous, adultes indépendants, vivre c’est parler, s’exprimer, on a besoin de se réaliser, on marche beaucoup au niveau de l’intellect, du corps autonome. Pourtant, comme enfant, on est en contact dans la vie avec ce toucher, avec quelque chose d’élémentaire, de profond : le regard, le toucher qui atteint le cœur profond. Comme les personnes âgées. À la fin de la vie, il y a une éclosion de ce qu’il y a de plus profond quand on est proche de la mort.
Temps
Le prêtre évoque la notion du temps : il faut 9 mois de vie dans le sein protecteur de la mère pour naître. Or, cette vie terrestre est comme préparation à cette naissance qu’est la mort, la rencontre avec Dieu. Nous devons accompagner ce passage, permettre à la personne en fin de vie cet enfantement à la vie spirituelle. Il évoque les personnes qui ont fait une expérience aux frontières de la mort et qui insistent après sur l’importance d’un temps « qualitatif ». Ce temps de vie offert est un accomplissement dans l’amour.
Comme tout ce qui est important, il faut du temps pour s’y préparer. Elisabeth Kübler-Ross, pionnière dans le traitement de la douleur (dans les soins palliatifs) parlait de 5 étapes dans le processus du deuil (étapes non obligatoires). Il faut du temps et respecter ce temps. 5 étapes : un choc, un refus d’affrontement, un processus de révolte, de colère (ce temps doit être accompagné : laisse-t-on les personnes exprimer, faire face à cette colère ?), une phase de marchandage (« j’ai des choses à faire »), une phase dépressive, et enfin la phase de paix, où la personne est prête. Honore-t-on ces étapes, laisse-t-on chaque personne les vivre, ou à l’inverse nous les ignorons-nous ?
Au-delà
Il parle, en tant que prêtre, de la nécessité de prêcher sur l’au-delà. Et rappelle que ceux qui ont le plus fait pour cette terre sont ceux qui ont le plus investi sur la vie éternelle : les saints, les moines qui ont modelé l’Europe … Il redit combien la vie après la mort passionne, combien au moment même où toutes les institutions sont remises en question, la soif de Dieu, la soif spirituelle, s’exprime, de plus en plus grande.