Le directeur spirituel de Magdeleine Hutin lut attentivement le papier que le médecin avait écrit. Il ne pouvait pas être plus clair : elle ne pouvait pas vivre ailleurs que dans le désert, car sa maladie s’aggravait et il était nécessaire qu’elle vive dans une région où il ne tombe pas une goutte de pluie. Il ne pouvait pas le croire, lui qui avait demandé avec insistance ce diagnostic à Magdeleine devait maintenant répondre à cet appel non seulement pour elle, mais aussi pour lui, à qui le Seigneur montrait le chemin à suivre par cette femme qui, après tant d’années à attendre ce moment, le regardait fixement.
Petite sœur Magdeleine et petite sœur Annie
Que faire ? Ne lui avait-il pas demandé d’attendre parce que sa santé n’était pas bonne ? Ne lui avait-il pas dit que la vocation à laquelle elle se sentait appelée était une aventure à laquelle peu de personnes pouvaient répondre ? Ne lui avait-elle pas dit de se rapprocher de sa mère, veuve et presque sans enfant : son mari était mort des conséquences d’un geste de charité en Tunisie, lorsqu’il avait marché 50 kilomètres pour sauver un enfant malade de la dissidence ? Ne lui avait-il pas proposé d’autres communautés plus en accord avec sa santé délicate ?
Non, il semble que le Seigneur n’ait tenu compte d’aucune de ses appréhensions, mais lui ait demandé un saut dans le vide : un vide rempli d’une présence. Il la regarda dans les yeux et elle était là : petite et menue, un visage toujours souriant mais marqué par la souffrance de la mort d’abord de son père, puis de deux frères très jeunes dans la grande guerre, et pourtant des yeux illuminés par un désir : aller à la rencontre des plus oubliés, de ceux qui n’avaient jamais entendu parler du Seigneur qui, à ce moment précis, ouvrait les portes d’une mission qui semblait à jamais fermée.
Il ne savait pas quoi lui dire, car tout ce qu’il avait dit auparavant avait disparu face à la mission qu’il lisait : Magdeleine Hutin ne peut vivre que dans le « désert du Sahara » où il n’y a pas une goutte d’eau et pas un millimètre d’humidité. Il préféra donc se montrer tel qu’il était et a prononcé ces mots qui étaient, pour ainsi dire, l’envoi en mission: “Retenez bien toujours ceci: c’est parce qu’humainement vous n’êtes plus capable de rien que je vous dis avec tant d’assurance qu’il vous faut partir parce qu’au moins, si jamais vous faites quelque chose, ce sera bien le bon Dieu qui aura tout fait car, sans lui, vous ne pourriez rien faire, absolument rien”. [1]Du Sahara au Monde Entier– Petite Sœur Magdeleine de Jesus, p.18
C’est ainsi qu’est née une histoire incroyable, l’histoire de la foi et de l’abandon d’une femme qui, en 1935, a quitté le sol français pour répondre à un appel du Seigneur si fort qu’elle n’a pas eu peur de se battre contre toutes les difficultés qui se présentaient et qui semblaient entraver le chemin qu’elle était appelée à prendre, un chemin qui n’était jamais facile mais que, comme elle le disait elle-même, elle pouvait prendre parce qu’elle était avec « Jésus, le Maître de l’impossible ».
Ce maître de l’impossible, elle l’avait déjà trouvé dans sa famille : un frère novice jésuite (mort pendant la première guerre mondiale) et une sœur novice dans une communauté italienne (morte des suites de la grippe espagnole) étaient les fruits de l’amour de cette famille qui, bien que de noble naissance, vivait dans une grande pauvreté. Mais ceci n’était pas une justification pour oublier le Seigneur.
Le père de Magdeleine, après son expérience de la guerre, se sentait proche de ce peuple et c’est avec joie qu’il fit lire à sa fille cadette la biographie de Charles de Foucauld écrite par René Bazin en 1921. C’est là, dans ces pages écrites sur cet homme qui – de Paris et de son école militaire – se retrouve dans le silence du désert pour adorer le Maître de l’impossible. C’est dans le silence d’El Golea qu’elle trouve sa vocation, son appel à vivre au service de ces gens qui ne connaissent pas le Christ. Un appel qui sera d’abord repoussé par les différents deuils familiaux, puis par sa propre santé : jusqu’à ce que le médecin lui ordonne de vivre dans le désert.
Avec Anne Cadoret, une amie rencontrée à Marseille pendant les années d’attente et qui ressent le même appel qu’elle, Magdeleine part à l’aventure. Celui qui voit ce groupe arriver le 6 octobre 1936 à Alger peut dire que c’est un drôle de groupe pour répondre à l’appel et à la vocation de Charles de Foucauld, mais elles n’ont peur de rien et à peine une semaine plus tard elles sont installées à Boghari où certains jours, elles tiennent un dispensaire et d’autres, elles partent visiter les familles et les enfants qui vivent à proximité, souvent à pied et rarement à cheval.
Une mission qui est toujours présentée comme un don total, mais qui, au fil du temps, ne répond pas à l’appel initial. C’est pourquoi, près de deux ans après leur arrivée en terre musulmane, elles décident, avec Anne, de se rendre en pèlerinage sur la tombe de Charles de Jésus où elles rencontrent non seulement le Père Voillaume, fondateur des Petits Frères de Jésus, mais aussi le préfet apostolique du Sahara qui leur ouvre les portes à toutes les deux, après une période de formation dans un couvent de religieuses.
Ainsi, après une année de silence au noviciat des Sœurs Blanches, une nouvelle congrégation religieuse voit le jour, inspirée par la spiritualité de Charles de Foucauld : le 8 septembre 1939, les Petites Sœurs de Jésus naissent, à 600 kilomètres d’Alger, à Touggourt, au milieu des nomades qui vivent quelques mois de l’année près des puits d’eau de la région.
Une nouvelle aventure commence pour la « petite sœur Madeleine de Jésus » car ces « sœurs nomades » attirent l’attention de tant de jeunes femmes animées du même désir : le premier noviciat est né. Elle qui voulait être au Sahara avec ses amis, doit rentrer en France pour accompagner et faire connaître la mission en terre d’Islam, ainsi qu’accomplir une tournée pour aider financièrement la construction de la mission à Alger et la maison du » Tubet » où les jeunes femmes suivent le noviciat.
C’est à cette époque, alors que les petites sœurs commencent à arriver, qu’elle vit une expérience qui la marquera à jamais, une expérience dont elle ne parlera qu’à son directeur spirituel. Le Père Voillaume ne la dira aux sœurs que quand elles ressentiront la douleur de la mort de Sœur Madeleine de Jésus. Une rencontre entre elle, la Vierge et le Christ, qu’elle a été considérée comme un tournant, car c’était un appel à répondre à toute douleur, à toute solitude, un appel à avoir un cœur universel :“Je revois tout comme si cela s’était passé hier. Devant moi, marchaient deux ou trois saintes personnes, que je ne connaissais pas- et, dans le fond à droite, se trouvait la Sainte Vierge, tenant dans ses bras l’Enfant Jésus – un Enfant Jésus comme jamais de ma vie je n’aurais pu le réaliser parce que cela dépassait toute vision humaine – je ne puis même pas le décrire parce que je ne trouve pas de mots autres que ceux de “lumière, douceur et surtout amour”. Et la Sainte Vierge se préparait à le donner. Quel supplice ! J’étais bien sûre que ce n’était pas à moi qu’elle le donnerait, car je n’avais ni le coeur ni l’âme assez purs pour une pareille faveur et je restais dans le fond, pleurant plus que jamais mon indignité. Je n’osais pas regarder – et cependant attirée malgré moi, je fus de plus en plus stupéfaite de voir passer la première puis la deuxième puis la troisième personne devant la Sainte Vierge et ne s’ apercevoir de rien, elles étaient si pieusement recueillies, mais j’aurais voulu leur crier de regarder. Alors je me suis trouvée toute seule devant cette vision et c’est à moi que la Sainte Vierge a donné son petit Jésus dans les bras. Je n’ai alors plus pensé à mes péchés, mais à cette joie que je ne puis pas non plus exprimer avec des mots humaines”. [2]Petite Soeur Magdeleine de Jesus- Petite Soeur Annie de Jesus, p.23
De cette expérience, dont elle n’a jamais parlé à ses sœurs, est née la certitude que les Petites Sœurs de Jésus sont appelées à tous et à chacun en particulier. Un appel qui résonne encore aujourd’hui. À partir de ce moment, elle a commencé à être présente dans tous les endroits où la solitude se fait sentir, où quelqu’un crie parce qu’il se sent seul et oublié. Des pygmées aux travailleurs de cirque et aux gitans. Des indigènes de la jungle équatorienne et des chrétiens derrière le « rideau de fer », Magdeleine est proche de chacun, et comme signe de cette présence, elle laisse une petite communauté de sœurs qui peuvent être une présence tangible de cet amour. Par l’expérience de 1949, elle sait que c’est dans les bras de la Mère du Maître de l’impossible que chacun viendra chercher réconfort et miséricorde : Au Calvaire Jésus avait proclamé Marie « Mère du genre humain »… Elle entendit sa voix si chère lui confier un autre fils et, par lui, le genre humain. Et depuis ce jour, tous ceux qui peinent, tous ceux qui souffrent peuvent venir pleurer à ses pieds comme les tout-petits qui viennent à chaque gros chagrin pleurer auprès de leur maman. » [3]Lettres lll p.141
Mais le chemin ne sera pas toujours facile : répondre à tant de cris, chercher les personnes les plus abandonnées, répondre à tous n’est pas toujours compris et souvent ces bras ouverts qu’elle voit en la Vierge, qu’elle appelle affectueusement » du monde entier « , ne sont pas ouverts pour elle, pour ses petites sœurs, pour le Christ. Ce sont des temps difficiles de visites canoniques et de critiques de la spiritualité des Petites Sœurs, mais en 1985, Jean-Paul II, en visite à la communauté, dira: « Je veux confirmer votre vocation dans l’Église et vous dire qu’elle est authentique, nécessaire et en phase avec notre époque. »
Magdeleine a dû abandonner ses responsabilités pour répondre à d’autres appels, à d’autres voyages qui l’emmèneront avec la fameuse « étoile filante », un mobile-home comprenant une chapelle, sur les terres de pays souffrant de la domination communiste et qui voient en cette femme un réconfort et une aide.
C’est à Tre Fontane, sur le terrain donné aux petites sœurs par l’abbaye cistercienne sur le lieu du martyre de St Paul, qu’elle a terminé son pèlerinage terrestre le 6 novembre 1989, entourée de ses petites sœurs et de Sr Jeanne qui l’a accompagnée jusqu’à son dernier souffle. C’est dans cette même ville que, le 13 octobre de cette année, le Saint-Père a déclaré vénérable la Servante de Dieu Madeleine de Jésus, exemple pour tous de confiance et d’abandon au Maître de l’impossible: « Il vaut mieux avoir trop confiance que pas assez, car si on se trompe, on n’aura pas manqué à la charité.” [4]Lettres VIII p. 424
Un ottimo esempio di fiducioso abbandono all’apparente inconsistenza della proposta provvidenziale. Il gettarsi tra le braccia del Maestro dell’impossibile, l’insistenza nel chiamare dello stesso Maestro, evidenzia la bellezza e il calore paterno (il dulcis amor) che Dio destina a ciascuna delle sue creature, col fine misterioso di modellarle e renderle al servizio del fratello ultimo, del dimenticato, del ‘non degno di sguardo’.
Un bellissimo modello di vita donata e prossima!
Merci pour ce bel article.
Voici la prière proposée pour demander des grâces via l’intercession de petite sœur Magdeleine.
Prière :
« Seigneur Jésus, Toi qui nous a dit dans ton Evangile :
N’ayez pas peur… Je suis avec vous jusqu’à la fin des siècles,
je te demande une foi à transporter les montagnes et à déraciner les rochers,
une foi reposant sur ta puissance et sur ton amour,
une foi humble qui touche ton cœur,
une foi qui découle d’une vraie connaissance de moi-même.
Avec cette foi, je te redis encore et encore et sans cesse :
Je ne suis rien mais tu es tout,
je n’ai rien mais tu possèdes tout,
je ne puis rien mais tu peux tout.
Ce que je te demande aujourd’hui,
c’est …………………………………..
et ceci est autrement plus facile pour toi que de transporter une montagne,
et tu as promis de l’accorder en récompense
à une foi grosse comme un grain de sénevé ».
Le texte de cette prière est celui qui nous a été proposé en 2012 par les petites sœurs de Syrie, et qui se base sur les paroles de petite sœur Magdeleine dans sa lettre du 1er septembre 1949.