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« Lucis Potentia » ou l’image visible d’une vérité invisible

Six ans après avoir crée les vitraux du chœur de l’église Saint-Laurent, l’artiste peintre Fabienne Verdier est revenue à Nogent sur Seine (Aube) pour une exposition inédite. Le 2 Juillet se tenait au musée Camille Claudel une table ronde, où l’artiste et le maitre-verrier Flavie Vincent-Petit ont évoqué l’itinéraire de leur création et nous ont partagé des moments de contemplation d’une grande beauté. Dans la salle d’exposition avec une vue à presque 360°C , les vitraux sont exposés, tout un jeu de lumière, de vie, de plein et de vide, de voilé et de dévoilé. « Tout être existant dans le monde est à la fois image visible et vérité invisible » telle fut la citation choisie par Fabienne Verdier pour cette exposition-rencontre. 

 

 

Quelques touches de cette journée et de ces échanges [1]Les citations ci-dessous sont tirées de la conférence de Fabienne Verdier le 2 juillet :

Désir

Au cœur du musée Camille Claudel, sont plusieurs créations inspirées de la Valse de Camille Claudel. Fabienne a perçu le désir, élément essentiel de la vie, qui pousse vers l’autre, qui donne tout et qui reçoit tout de l’autre, dans ce mouvement continuel, comme happé, ascendant vers le haut. La magnifique sculpture de Camille Claudel fut inspirée de son histoire d’amour impossible avec Rodin. Fabienne en a capté le souffle dans ces créations, qui reprennent ce vortex, cette forme de perpétuel mouvement qui se retrouve partout, nous entrainant dans ce grand désir, qui dans l’amour élève irrésistiblement, dépasse et surpasse.

« Je suis moi-même un peu dépassée par les évènements : écoutant des structures musicales (Mozart), des voix humaines, je tombe sur cette forme de vortex. Et puis ensuite, par exemple si on s’intéresse à l’astrophysique on se rend compte que c’est une forme archétypale du monde qui est très importante et que nous sommes tous emportés dans un immense vortex, que l’univers est un immense vortex, une force tourbillonnaire.

 

vitraux Forces tourbillonnaires inspirés par la sculpture de la valse de Camille Claudel

 

Et puis quand on creuse un petit peu, nous voyons que l’ADN a aussi cette forme de vortex, le mouvement entre les neurones aussi … donc il y a quelque chose de l’esprit de la vie qui comme me happe dans ce grand tourbillon. Et peut-être que c’est le fait que je travaille et que je joue souvent avec la gravité, tout le temps connectée avec cet axe fondateur qui est la gravité, donc je le sens peut être plus fort que quiconque cet ancrage. Ce n’est pas une peinture traditionnelle de touche de peinture, mais c’est une peinture de l’écoulement dans ce grand flux dont Héraclite parlait.

Mais là, ce qui me dépasse c’est que nous sommes en train de travailler un flux immatériel qui est la lumière. La lumière n’existe pas en tant que matière : elle est ‘là’ mais à la fois ‘pas là’. Et pourtant dans ce ‘là’ et ‘pas là’, il y a des structures qui surgissent et qui continuent à nous transporter avec les mêmes lois. Depuis 40 ans, je tourne autour de plusieurs sujets ou structures de la nature, je retrouve toujours les mêmes lois qui nous donnent toujours ces mêmes formes archétypales qui reviennent, et que j’ai abordé à force d’observer la nature et je les retrouve souvent, même quand je change de matière ou que je suis dans une expression immatérielle des choses, et tout cela reste pour moi un grand mystère que je ne comprends pas toujours et qui m’échappe sans cesse.»

Lumière

Les 2 artistes ont évoqué leur rencontre et leur travail commun. D’après Fabienne, c’est une nouvelle étape de création, où chacune doit écouter l’autre et surtout faire une grande confiance. Le peintre est habituellement maître de son tableau, de là où il commence, de là où il choisit de s’arrêter, là où il crée et met de la matière. Mais dans la confection de ces vitraux, il y avait une part de travail de création où le résultat n’apparait pas, où il fallait une grande confiance en l’intuition intérieure et en Flavie qui fera apparaitre ensuite le résultat. Flavie hésitait aussi sur le choix du matériau, pensait ne jamais y arriver. Ce fut une quête commune, pleine d’aventures, d’humilité et source de vie :

 

« Peindre sur du verre était une grande révolution pour moi car ça m’a poussée à apprendre à peindre en aveugle, c’est-à-dire à avoir une vision interne beaucoup plus puissante de celle que j’avais l’habitude de voir sous mes pieds en train de surgir dans la spontanéité du geste. En peignant sur du verre je ne voyais rien surgir que de la terre et il fallait que j’arrive, dans la retenu, dans une immense concentration à transmettre cette énergie de la terre à la matière, en m’imaginant ce que le feu allait en faire : c’est-à-dire une grande confiance entre nos deux ateliers avec Flavie.

 

Maitre-verrier Flavie Vincent-Petit et Fabienne Verdier

 

D’habitude un peintre dessine tout seul dans son atelier, s’arrêtant là où il faut, dessinant là où il faut, choisissant où faire ses vernis de finition… il décide de tout concernant son tableau. Mais là, avec une grande humilité il m’a fallu remettre ces verres habités de pinceaux en terre et voir ce qui va se passer… une expérience de grande confiance entre les deux ateliers, il nous a fallu apprendre à travailler comme ça.

 

 

Je dois reconnaitre qu’imaginer que du trait, que de la terre surgit la lumière, cela m’a fait beaucoup réfléchir : Comment est-ce possible que la terre nous enseigne la lumière. Cette lumière qui n’existe pas en soi, puisque ce sont juste les spectres de la lumière blanche qui n’apparaissent qu’à travers des gouttes d’eau comme quand on voit l’expérience de l’arc-en-ciel par exemple. Donc là on a une expérience de lumière, une présence vibratoire immatérielle qui arrive… une expérience très forte, qui me bouleverse à chaque fois !

Par exemple, sur les vitraux que j’ai peints dans l’église, cet esprit de souffle que j’ai inscrit sur du verre, va comme se décrocher de son support, selon la provenance du soleil, et va vivre dans l’espace et aura sa vie propre qui dépassera complètement le peintre. Tout d’un coup, on voit des formes calligraphiques, une écriture de la vie qui se balade dans l’espace et vient nous faire chanter et a sa vie propre. Et là j’ai beaucoup appris sur l’essence même de la vie, qui est la lumière, ce grand mystère !  Cet art qui nous aide à nous reconnecter à nos origines qui est : nous sommes des enfants de la lumière. Tout cela a été une grande révolution pour moi, car cela a comme remis en cause toute ma manière de peindre pour essayer d’aller saisir ce spectre de lumière blanche (aura).»

Intuition profonde

Toutes les deux se sont passionnées pour le jaune d’argent. Le jaune d’argent apparu en Occident au début du XIV siècle avait révolutionné la technique du vitrail. Sa couleur peut aller du jaune très clair au brun orange foncé. Fabienne avait été fascinée par un tableau de « la Résurrection » de Grünewald, où le Christ irradie de lumière depuis l’intérieur (aura). Elle a choisi d’utiliser cette couleur et ce matériau. Seulement le jaune d’argent est traditionnellement utilisé serti par un autre matériau, car seul, au four, sa couleur se répand et ne tient pas. Cela a donné beaucoup de sueurs froides à Flavie mais ensemble elles sont parvenues à un procédé (qui restera secret!) leur permettant d’utiliser ce jaune d’argent. Le résultat est bouleversant : grisaille qui constitue le fond du jaune d’argent, révélation du jaune par le fond opalisant de la grisaille. L’idée était aussi de travailler sur le vide et le plein : voir surgir ces énergies de la vie à partir du néant.

 

 

«Il faut faire confiance à vos intuitions les plus profondes. Il y a un moment où on est habité par le sujet, et en toute confiance on essaie de saisir cette chose et de la transmettre à la vie de la matière. ‘Ce n’est pas dans la connaissance qu’est le fruit, c’est dans l’acte de saisir’ [2]phrase de Saint Bernard de Clairvaux, citée par Fabienne . »  

Humilité

Dans tout ce travail, notamment dans les vitraux du chœur de l’Eglise Saint Laurent, se perçoit une grande humilité. Une vraie humilité, « humus » de la terre qui se reconnait terre et matière, les vitraux enveloppent le chœur mais n’écrasent pas, ils laissent passer la lumière mais ne la retiennent pas, ils sont magnifiques mais ils laissent percevoir le plus beau, la présence du Saint Sacrement.

 

Vitraux du chœur de l’Eglise Saint Laurent

 

« Il fallait trouver quelque chose qui réunifiait toutes les époques et faire chanter le chœur tout en gardant une forme d’humilité. Je voulais essayer de trouver une écriture d’humilité, puisqu’on parle de lumière, on parle de souffle du vivant, donc de chose d’immatériel qui ne peut se percevoir ou se vivre ou s’incarner que dans quelque chose d’éphémère, de passage qui nous chante l’impermanence, une sorte de méandre de la vie. »

Mouvement et forme

Fabienne confesse qu’elle est touchée que ses œuvres parlent au cœur de chacun. En allant la remercier pour la conférence et surtout pour ses œuvres, elle partage la rencontre avec une personne handicapée moteur, qui avait du mal à s’exprimer et qui lui dit « ces vitraux, c’est un peu notre humanité, non ? » et elle d’être bouleversée et de dire « et on dit que c’est elle qui est handicapée ! ». Ces vitraux remettent en chemin, ils remettent en douceur devant l’immense beauté de la vie, mais surtout devant cet amour personnel qui vient et entraine.

 

 

« Nous créons à partir de ce que nous sommes, et nous sommes une puissance d’énergie que je dois apprendre à la capter, à me connecter à l’énergie du monde, et c’est cette coïncidence extraordinaire quand tout écoule dans une immense concentration, curieusement, une sorte d’oubli de soi – on met son ego de côté, et on essaie dans cet acte de peindre à faire rencontrer cette énergie en nous avec celle du monde et tracer cette dynamique qui surgit de l’imaginaire certes, mais de cet imaginaire qui a été longuement travaillé, longuement muri, longuement ressourcé par une réflexion et une observation de la nature.

Depuis toute petite, j’allais en Bretagne, tout le temps assise sur un caillou en regardant les mouvements, les marées, la formation des rochers… j’ai toujours été fascinée par ces lois qui régissent les formes. Ces formes que je dessine ont pour but de suggérer dans l’imaginaire de ceux qui les regardent ces formes qu’ils ont toujours vu dans la nature avec les turbulences de l’eau, la formation des nuages… Mais plutôt que de m’intéresser à une figuration fixe, je m’intéresse à l’énergie en mouvement qui fait « être » la forme. Les neuroscientifiques ont découvert l’endroit dans le cerveau qui quand il lit une énergie, une forme en mouvement, il se rappelle la propre forme qu’il a lui-même vécu avec son propre corps, donc le fait de regarder un mouvement, remet la personne qui regarde elle-même en mouvement. »

 

 

 

References

References
1 Les citations ci-dessous sont tirées de la conférence de Fabienne Verdier le 2 juillet
2 phrase de Saint Bernard de Clairvaux, citée par Fabienne
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