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Dossier Saint François de Sales : l’amour est l’instrument du salut

Nous fêtons cette année les 400 ans de la mort de Saint François de Sales (1567-1622) et les 450 ans de la naissance de Sainte Jeanne de Chantal (1672-1641). Notre dossier veut retracer les grandes intuitions de ces deux saints et leur actualité pour notre monde d’aujourd’hui. L’amitié si belle entre François de Sales et Jeanne de Chantal est le cœur de leur mission ecclésiale. En effet, le charisme de Saint François de Sales est l’amitié comme forme de la vie et de la mission. Son œuvre principale, le Traité de l’amour de Dieu est une exégèse du Cantique des Cantiques qui indique l’amour comme le cœur de la révélation, comme l’instrument du salut et la forme de toutes les vertus.

 

Saint François de Sales

 

1. La vocation de Saint François de Sales

Le vœu de sa mère

François de Sales est né le 21 août 1567 dans une famille de la noblesse savoyarde catholique, au château de Sales près de Thorens-Glières, à une vingtaine de kilomètres au nord d’Annecy, dans le duché de Savoie.
Ses parents appartenaient à de vieilles familles nobles de Savoie. Le futur saint était l’aîné de six frères et sœurs et se devait honorer sa responsabilité d’ainé de famille. A sa naissance, son père a plus de 40 ans et la mère en a 15, elle doit attendre quelques mois après le mariage avant de tomber enceinte et fait un pèlerinage à Turin devant le Saint Suaire où elle fait le vœu de consacrer son premier enfant au Seigneur, si une descendance lui est accordée. Son vœu est doublement exaucé !

À son baptême, le 28 août 1567, il reçoit le prénom de « François » en hommage à François d’Assise. À onze ans, vers 1578, il demande déjà à devenir prêtre, mais son père, qui le destine à la magistrature, l’envoie étudier le droit en France à Paris. Il apprend alors le français et poursuit ses études au collège jésuite, sous la direction de son précepteur, Jean Déage, en compagnie de trois de ses cousins. Il étudie la rhétorique, mais aussi le latin, le grec, l’hébreu, la philosophie et la théologie, savoir qui lui permet ainsi d’« apprendre les exercices de la noblesse ».

 

François de Sales à 12 ans étudiant à Paris (Illustration de fantaisie, vers 1900). Source

 

La crise de la prédestination

En dehors de ses cours, François étudie assidument la théologie des saints Augustin d’Hippone et Thomas d’Aquin, en se penchant particulièrement sur la question débattue à l’époque en raison du développement du protestantisme de la grâce et la prédestination. Quelques décennies plus tôt, Calvin a cherché à justifier une théologie de la prédestination. Calvin, pour défendre la toute-puissance de Dieu, résout la question du ciel et de l’enfer en affirmant que Dieu prédestine arbitrairement les uns au salut et les autres à la damnation. Cela introduit l’image d’un Dieu cruel, mais aussi la division entre la foi qui seule donne le salut et l’amour qui est la réponse gratuite de l’homme au don de la foi. Le calvinisme divise aussi l’amour et l’espérance du ciel. Le don du ciel est déterminé par avance, cela conduira à la réaction opposée du jansénisme qui met l’espérance du ciel uniquement dans l’effort, la souffrance et la force de l’homme. Dieu doit répondre en justice au droit d’être sauvé que l’homme acquiert par ses mérites. Du côté de Calvin, le salut est une loterie, du côté janséniste c’est un droit acquis en justice par l’effort. Ces questions concernent évidemment la valeur de la liberté et de la grâce et le rapport entre les deux. Alors que ces diatribes intellectuelles font rage autour de lui sur ces sujets, François tombe dans une profonde dépression intérieure. Pour lui la théologie n’est pas une question de concepts intellectuels et de discussions académiques abstraites mais d’une contemplation amoureuse du Bien-Aimé. Il ne peut supporter l’image de Dieu et de la vie humaine qui émerge de ces débats. Il ne peut pas non plus parler du salut à la légère, pour les autres, comme un spectateur curieux et distant, indifférent. Son angoisse qui le cloue au lit plusieurs semaines et le porte aux bords de la mort, vient du fait qu’il ne peut pas envisager l’enfer pour les autres, et qu’il se voit lui personnellement voué à l’enfer.

Du fond de son désespoir, il prie devant une statue de la Vierge Marie dans l’église Saint-Étienne-des-Grès, et fait cette magnifique prière :

« Quoi qu’il arrive, Seigneur, vous qui tenez tout dans votre main, et dont toutes les voies sont justice et vérité ; quoi que vous ayez arrêté à mon égard au sujet de cet éternel secret de prédestination et de réprobation ; vous dont les jugements sont un profond abîme, vous qui êtes toujours juste juge et Père miséricordieux, je vous aimerai, Seigneur, au moins en cette vie, s’il ne m’est pas donné de vous aimer dans la vie éternelle ; au moins je vous aimerai ici, ô mon Dieu, et j’espèrerai en votre miséricorde, et toujours je répéterai toute votre louange, malgré tout ce que l’ange de Satan ne cesse de m’inspirer là-contre. Ô Seigneur Jésus, vous serez toujours mon espérance et mon salut dans la terre des vivants. Si, parce que je le mérite nécessairement, je dois être maudit parmi les maudits qui ne verront pas votre très doux visage, accordez-moi au moins de n’être pas de ceux qui maudiront votre saint nom ». [1]Recueilli par le P. de Quoex, Œuvres XXI, pp. 19-20

 

François de Sales priant la Vierge qui le délivrera de ses angoisses (vitrail de la chapelle de Saint-Thomas-de-Villeneuve, Neuilly-sur-Seine)

 

Cette crise est une expérience du Saint, de l’abandon par Dieu, de la possibilité mystérieuse d’être coupé de la source de mon être, de mon bonheur, de tout ce qui existe. Cette crise pousse Saint François à faire des pas décisifs dans l’espérance. Il contemple comment la Providence met tout en place pour faire grandir la liberté de l’homme dans l’amour et pour conduire chacun vers son salut. La tentation du désespoir vient du doute concernant le don absolu, inconditionnel et gratuit de Dieu.

Libéré par une grâce particulière, il reprend ses études, il passe sa licence et sa maîtrise au printemps 1588. Paris est très troublée politiquement par le conflit entre les trois Henri : Le roi Henri III est incompétent et très mal vu par la population, en face de lui Henri de Guise dirige la Ligue catholique contre le protestant Henri de Navarre, qui deviendra le futur Henri IV. La famille de François l’envoie donc poursuivre ses études.

La situation politique est paisible mais la vie morale des étudiants est très dissolue et marquée par la violence des duels. Cherchant conseil et aide, il se met sous la direction spirituelle du Père jésuite Antoine Possevin, qui lui fait faire les Exercices spirituels. Comme il confie un jour à un ami : « J’ai étudié le Droit pour plaire à mon père et la théologie pour me plaire à moi-même ». A nouveau troublé par la question de l’enfer et de la prédestination, il tombe gravement malade et, croyant mourir, demande même que l’on donne son corps à la science : « Qu’au moins, je servirai de quelque chose au public puisque je n’ai servi de rien en ma vie ». Il guérit cependant une nouvelle fois et termine son doctorat en droit civil et en droit canonique.

La vocation sacerdotale

Quand il revient en Savoie en 1592, son père lui offre la seigneurie de Villaroger et lui présente une fiancée très belle et très chrétienne, mais François décline le projet de fiançailles. Le père est âgé de 70 ans et la famille a des soucis financiers car le château de Thorens a été plusieurs fois saccagé par les protestants. Gallois, le petit frère, a à peine 16 ans, François est vraiment tout désigné pour reprendre en charge la famille. Son père est très fier de lui et le considère comme le sauveur qui va restaurer le patrimoine familial et assurer l’avenir du nom par une brillante carrière de magistrat et de politicien. A la stupéfaction de son père, François de Sales, réaffirme sa volonté d’être prêtre. Le 14 octobre 1592, au décès de du prévôt du chapitre de Genève, certains cherchent à faire nommer François comme chapelain à Rome, mais son père lui demande de s’inscrire comme avocat au barreau de Chambéry, vœu auquel il répond le 24 novembre 1592, car à l’époque, ce n’était pas incompatible avec la prêtrise.

Saint François ne sait pas comment convaincre son père qu’il ne souhaite pas entrer dans la carrière toute tracée qui s’ouvre à lui. Dans le bois de Sionat, près d’Annecy, alors qu’il est en promenade, le cheval de François le fait tomber et l’épée et le fourreau forment une croix sur le sol. Pour St François, c’est le signe qui confirme qu’il doit rester ferme dans son projet vocationnel. Son ami Antoine Favre, président du sénat, obtient du duc de Savoie une place de sénateur pour François, le père exulte, mais François refuse. La situation devient intenable entre le père qui remet son fils devant les besoins de la famille et François qui s’obstine dans son désir de vocation. Seule la mère de François soutient sa vocation et met tout son génie pour infléchir son mari. Après bien des pleurs, le père finit par accepter ce qui restera pour lui une grande désillusion et un échec, surtout lorsque François partira pour le Chablais, loin des positions cléricales honorifiques et rentables.

Claude de Granier, évêque de Genève exilé à Annecy à la suite de l’introduction de la Réforme à Genève, obtient pour François la position de prévôt du chapitre d’Annecy. François de Sales revêt la soutane le 10 mai 1593 et le jour suivant, devient chanoine d’Annecy ; le 13 mai, il renonce à son droit d’aînesse, ainsi qu’à son titre de seigneur de Villaroger. Il se retire alors au château de Sales jusqu’au 7 juin 1593, en lutte contre ses doutes et tentations, car la place de sénateur lui tend les bras et ses amis continuent d’insister pour qu’il accepte puisqu’à l’époque une carrière politique n’était pas incompatible avec le sacerdoce. Il reçoit le diaconat le 11 juin 1593 et commence ses visites des malades et des prisonniers. Le 18 décembre 1593, il devient prêtre et prévôt de Genève.

 

Ordination sacerdotale de Saint François de Sales (Source)

 

En 1602, Claude de Granier envoie François de Sales en mission diplomatique à Paris auprès du roi Henri IV pour demander que les biens confisqués par les protestants lors de la guerre de Savoie soient rendus à l’Eglise pour que les paroisses puissent réouvrir. François passe neuf mois à Paris et ne rate pas une occasion de prêcher. Il accroît alors sa réputation par les sermons qu’il prononce devant la cour, notamment le 27 avril en la Cathédrale Notre-Dame de Paris, lorsqu’il est chargé de prononcer l’oraison funèbre de Philippe-Emmanuel de Lorraine, frère de la défunte reine de France et héros de la guerre contre les Turcs. Le roi de France lui demande même de devenir évêque de Paris, et lui propose une brillante carrière et le titre de cardinal, François refuse tout cela car il sent que sa vocation est en Savoie. Saint François rencontre la mystique Barbe Acarie (future bienheureuse Marie de l’incarnation), et l’aide dans sa mission d’introduire en France l’Ordre du Carmel. À son retour en Savoie, il apprend la mort de l’évêque de Genève, Claude de Granier.

References

References
1 Recueilli par le P. de Quoex, Œuvres XXI, pp. 19-20