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La neutralité proactive de l’Inde

« Cette ère n’est pas celle de la guerre » était mot pour mot la phrase que le Premier ministre Indien Narendra Modi avait déjà adressée à Vladimir Poutine lors d’une rencontre au mois de septembre 2022 à Samarkand, en Ouzbékistan.

 

 

Jusqu’à présent, l’Inde a résisté aux pressions européennes et américaines à ce sujet et n’a repris aucune des sanctions à l’encontre de Moscou. Un appel au pacifisme et à la négociation, mais aucune condamnation ferme de l’invasion de l’Ukraine par la Russie [1]https://www.rts.ch/info/monde/13694673-avec-la-guerre-en-ukraine-linde-reaffirme-son-droit-a-preserver-ses-interets.html . Qu’en est-il de ce positionnement de New Delhi au cœur d’une rivalité mondiale de plus en plus polarisée ?

Une stratégie économique qui marche

Le refus de l’Inde de se joindre aux condamnations internationales de la Russie ne semble pas lui porter préjudice, au contraire. « Depuis le début de l’invasion russe, le pays est courtisé par les États-Unis, la Chine, la Russie et l’Europe, tous désireux d’influencer son positionnement. Cette situation témoigne du rôle stratégique croissant joué par l’Inde. À un moment où le centre de gravité économique, politique et militaire se déplace vers l’Asie, le pays pourrait s’établir comme une puissance pivot susceptible de déterminer l’équilibre des pouvoirs au niveau mondial. Le soutien de New Delhi pourrait, de fait, donner aux États-Unis un avantage dans leur course contre la Chine. Les allégeances de l’Inde varient selon les enjeux. Au lieu de suivre les États-Unis, elle s’inscrit dans la vision d’un monde multipolaire. Sa politique étrangère d’« autonomie stratégique», telle que New Delhi la définit, consiste à cultiver des relations avec des acteurs dignes d’intérêt à ses yeux, sans tenir compte des lignes de polarisation géopolitique ». [2]Politique de sécurité : analyses du CSS-N°305, Juin 2022 : Guerre en Ukraine : l’exercice d’équilibriste de l’Inde.- Boas Lieberherr

Le professeur à l’École d’études internationales de l’université Jawaharlal Nehru de Delhi, Swaran Singh, qualifie la position de l’Inde de « neutralité proactive ». Même si elle ne se positionne pas clairement face au conflit, elle agit quand même sur plusieurs fronts pour défendre ses propres intérêts. Le Brésil et l’Afrique du Sud aussi ont opté pour une telle position.

 

© Terre de Compassion

 

Un exemple très concret concerne le pétrole : « Jusqu’en mars 2022, soit avant le début de l’offensive en Ukraine, la Russie ne représentait que 0,2% des importations de pétrole indiennes. Presque un an plus tard, elles comptent pour plus de 22% du total. Moscou est désormais le fournisseur numéro un de New Dehli. Cerise sur le gâteau, pour accepter d’écouler ce pétrole russe destiné à la base à l’Europe, les Indiens bénéficient de rabais importants, qui peuvent atteindre plus d’un tiers du prix du marché.

Selon Hubert Testard, spécialiste de l’Asie et des enjeux économiques internationaux, « Au cours du premier trimestre 2022, la progression des exportations russes vers l’Inde a été cinq fois plus rapide que celles destinées à la Chine (+244% contre +50%) ».

Interrogé en fin d’année dernière par le New York Times, le ministre Indien des Affaires étrangères Subrahmanyam Jaishankar justifiait sans détour cette stratégie économique. D’après lui, ce pétrole russe bon marché est une aubaine, car il permet de soutenir les 7% de croissance annuel d’un pays de presque 1,4 milliard d’habitants et ainsi de sortir des millions de personnes de la pauvreté ». [3]https://www.rts.ch/info/monde/13694673-avec-la-guerre-en-ukraine-linde-reaffirme-son-droit-a-preserver-ses-interets.html .

Et c’est un fait : face à la réalité de la COVID-19 et l’impact évident sur la croissance de l’économie mondiale, l’Inde connait le taux de croissance le plus élevé du monde. Alors que la Chine aura du mal à atteindre les 5%, que les États-Unis tourneront autour de 3%, et que la zone euro essaie tant bien que mal de maintenir un 1.5%.

Au final, l’Inde de Narendra Modi semble à première vue ne pas déroger à sa règle de pays non-aligné. Elle entend avant tout ne pas choisir de suivre une quelconque grande puissance, pour se concentrer exclusivement sur ses intérêts économiques et sa sécurité nationale et cela lui réussit.

Une vraie stratégie d’équilibriste au bénéfice d’une nation

L’invasion de l’Ukraine oblige le pays à trouver un équilibre délicat entre son partenaire stratégique de longue date, la Russie, et la relation de plus en plus importante qu’elle entretient avec les Etats-Unis. Du point de vue de l’Inde, il n’est pas envisageable de se mettre à dos Moscou, car cela pourrait rapprocher la Russie de la Chine et une Russie affaiblie et isolée complique l’environnement stratégique indien.

Finalement, l’attitude de « New Delhi pourrait s’apparenter davantage à celle d’un équilibriste, voire d’un contorsionniste. C’est par exemple le cas lorsque l’Inde participe en septembre 2022 à un exercice militaire avec la Russie mais également avec le grand rival chinois. Alors même qu’elle fait partie de la coalition Quad (avec les Etats-Unis, le Japon et l’Australie), qui a pour but essentiel d’assurer la liberté de navigation dans la région Indopacifique : en d’autres termes, de contenir la montée en puissance… de Pékin ». [4]https://www.rts.ch/info/monde/13694673-avec-la-guerre-en-ukraine-linde-reaffirme-son-droit-a-preserver-ses-interets.html .

 

© Terre de Compassion

 

Un équilibrisme qui a des limites

New Delhi espère donc que la guerre se terminera au plus vite. D’ici là, le pays continuera à suivre une voie médiane de façon à minimiser ses pertes stratégiques. Les relations Inde-Russie, le non-alignement, mantra de la politique étrangère de l’Inde, et sa relation de longue date avec Moscou expliquent en partie sa position actuelle envers la guerre menée par la Russie en Ukraine. Pour l’Inde, naviguer entre des partenariats et des enjeux contradictoires constitue un véritable défi et implique des compromis. Parce que l’Occident voit dans le pays un contrepoids à la Chine, New Delhi réussit pour l’instant à surmonter la tourmente liée à la guerre russe. « Compte tenu de la reconfiguration majeure des forces qui s’opère actuellement, le positionnement de l’Inde sur divers aspects pourrait jouer un rôle de plus en plus central. Or le pays, premier importateur d’armes au monde, n’a pas encore résolu l’un de ses plus grands problèmes : la faiblesse de son industrie nationale de défense et sa forte dépendance vis-à-vis de ses fournisseurs étrangers. Cette situation limitera de fait sa marge de manœuvre stratégique ». [5]Politique de sécurité : analyses du CSS-N°305, Juin 2022 : Guerre en Ukraine : l’exercice d’équilibriste de l’Inde.- Boas Lieberherr .

References

References
1, 3, 4 https://www.rts.ch/info/monde/13694673-avec-la-guerre-en-ukraine-linde-reaffirme-son-droit-a-preserver-ses-interets.html
2, 5 Politique de sécurité : analyses du CSS-N°305, Juin 2022 : Guerre en Ukraine : l’exercice d’équilibriste de l’Inde.- Boas Lieberherr
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