Pour la première française du film Tarkovski, « Le cinéma comme prière », Andreï Andreïevitch Tarkovski, le fils du réalisateur et réalisateur du film, était présent. Ce fut l’occasion de quelques questions qui ont aussi bien éclairé la recherche du père que la sienne propre.
Andreï Tarkovski fils avait 16 ans quand son père est décédé. Il nous confiait simplement : « je n’ai pas pu atteindre l’âge où je pouvais parler à mon père d’adulte à adulte ».
Questionné sur les souvenirs qu’il garde de son père, il évoque des promenades avec lui. Son père partait alors dans de longs monologues au cours desquels il questionnait le sens de la vie, réfléchissait à voix haute comme on peut le voir dans de nombreuses interviews. « Il parlait toujours aux enfants comme s’ils étaient des adultes, il aimait dire : ‘Si vous ne le comprenez pas maintenant, vous le comprendrez plus tard’. (…) il vous parle d’égal à égal, ce qui place la barre très haut et vous apprend à être un vrai homme. » [1]https://fr.rbth.com/art/84002-andrei-tarkovski-fils-interview
Dans une interview, il lui est fait cette remarque : « Votre père vous a dédié son dernier film ‘Le Sacrifice’. Dans le film, le protagoniste principal, Alexander, enseigne à son fils un rituel consistant à irriguer un arbre mort, jusqu’à ce qu’un jour des racines poussent » .
Le père et le fils plantent un arbre au début du film «Le sacrifice».
A. Tarkovksi : « Mon père croyait aux rituels. Lorsque j’étais enfant, il insistait pour que nous parcourions ensemble les pages d’un livre – par exemple, les peintures de Brueghel – chaque jour. Il lui était important que je vois de mes propres yeux tout ce qu’il avait aimé. Mis à part ces moments, il écrivait et lisait chaque jour. Il a écrit le dernier chapitre de son livre ‘Le Temps scellé’ durant les dernières semaines de sa vie. Il a développé l’idée selon laquelle un véritable artiste ne devient prophète que durant les derniers jours de sa vie. Il parlait, parlait, et parlait encore à mesure que s’approchait la fin : à ses amis, à d’autres scénaristes et, non des moindres, à moi. Dans ‘Le Sacrifice’, Alexander lui aussi adresse des monologues sans fin à son fils. Ce n’est pas une coïncidence. C’était mon père qui me parlait. » [2]https://www.electronicbeats.net/this-is-not-a-coincidence-max-dax-talks-to-andrey-a-tarkovsky/ « Et moi j’écoutais » nous dit-il avec un grand sourire, « Ces paroles sont restées en moi, et avec le temps, elles ont pris du sens, j’ai compris ».
Andreï Tarkovski
Au fil de ses réponses lors de la première, nous comprenons que ce film a été pour lui le moyen d’aller au bout de la « promenade ». Quant à la forme, il expliqua avoir retrouvé quantité d’enregistrements audios de son père dans les archives familiales. Alors, plutôt que de faire un film sur sa vie, : « Pourquoi ne pas tout simplement montrer ce qu’il voulait dire ? », le laisser nous parler de lui ?
Si ce film est pour nous une rencontre avec Tarkovsky père, il est entre les lignes une rencontre du fils avec son père, une rencontre qu’il nous partage. Nous sommes invités à entrer dans le regard du fils sur son père, à nous laisser guider par ses choix des enregistrements, des images, des éléments qu’il a reconnu essentiels dans la vie de son père. Et après visionnage de son œuvre, il semble manifestement qu’il l’ait fait à l’image de ses réponses aux questions de la salle, avec beaucoup de simplicité.
Outre le fait d’avoir symboliquement réalisé ce film à 54 ans, âge qu’avait son père à sa mort, il plonge dans la figure de son père et nous montre l’unité entre sa vie et ses films durant une heure et demie, tout ceci rythmé en huit chapitres : « Ses films étaient sa vie, et sa vie, c’était ses films. Ces huit chapitres sont donc le miroir de ses huit films / de sa vie. À leur sortie, ses films étaient toujours un événement. Ses conflits avec les autorités soviétiques ont, par exemple, débuté à la sortie de ‘Andreï Roublev’. Il a tenté d’éviter les mêmes réactions d’oppression pour ‘Solaris’, mais celui-ci a été jugé trop religieux. Tous ces films sont en outre extrêmement autobiographiques, et je ne parle pas uniquement du ‘Miroir’, reconnu comme son œuvre la plus personnelle, mais aussi de ‘Stalker’, de ‘Nostalghia’ et du ‘Sacrifice’. Mais ce n’était pas intentionnel. Le héros du ‘Sacrifice’ souffrait d’un cancer dans la première version du film. Ensuite mon père est lui aussi tombé malade et il a déclaré : ‘Il faut que j’arrête de faire ce genre de films, car ils finissent toujours par devenir réalité’. En effet, une fois terminés, ils influençaient toujours sa destinée. » [3]https://cineuropa.org/fr/interview/376939/
Son témoignage nous donne également de ne pas oublier ce que la Russie a de grand, en dépit des conflits actuels. S’il a suivi l’exil de son père en Italie, il reste très clair : « Un Russe reste à jamais Russe. […] Voyez-vous, la vision du monde d’un Russe, notre essence spirituelle, est si particulière et si forte qu’elle peut difficilement être changée même si une personne vit dans un autre pays. […] pour les Russes, ce qui compte, ce sont les vérités spirituelles. Et l’art est essentiel pour eux, comme l’air ». [4]https://fr.rbth.com/art/84002-andrei-tarkovski-fils-interview