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C’est devant une salle d’opéra vide, dans une grande solitude, que Polina Semionova – danseuse étoile du Berliner Staatsballett – interprète l’émouvant solo extrait de Cinque, du chorégraphe italien Mauro Bigonzetti. Le Stabat Mater de Vivaldi prend chair en elle, qui incarne Marie bien humaine, si humaine, livrée à un déchirement intérieur, se laissant disposer à consentir à l’inacceptable. Embrasser la Croix… Ce mouvement introduit la danse et oriente d’emblée le regard vers le but, vers ce qui est déjà, et qui, tout à la fois, doit encore advenir. La Vierge, transpercée par l’épée, semble interroger le Ciel, implorant la Grâce urgente pour dire oui, pour demeurer au pieds de la croix, debout…

 

 

« C’est à présent une prière sans parole qui n’appartient qu’à la peur. C’est de là qu’elle part pour finir dans le Fils. Le Père et le Saint-Esprit lui sont enlevés. Elle voit son Fils suspendu devant elle, et Mère, elle est au bout de sa force, dans une participation qui ne laisse plus rien reconnaître de ce qui était autrefois. […] Elle ne peut rattacher aucune pensée à ce qu’elle vit pour se sauver ou se consoler, chercher un nouveau chemin par-delà ces journées, vers Pâques ; elle se trouve tellement emportée par Dieu et impliquée dans la croix qu’elle ne peut que compatir, rien d’autre. Et sa prière est celle de la compassion, rien d’autre non plus. Non pas qu’elle se jette dans la souffrance, qu’elle rassemble consciemment quelques expériences de souffrance, mais elle est placée dans la souffrance pour y éprouver des sentiments qu’aucun être humain n’a jamais éprouvés. Le tout dans un laisser-faire de la nuit. C’est la nuit, la nuit de son divin Fils ; c’est à sa nuit à lui et non à la sienne qu’elle participe. Elle ne voit aucun fruit. Pendant qu’il meurt, elle ne voit pas qu’il sauve l’humanité. Cette fin, elle ne la voit pas comme quelque chose de fini et de limité, mais comme une fin éternelle. Une fin sans fin. Une fin qui engloutit tout ce qui est avant elle. Le passé aussi et la promesse et l’accomplissement et la signification de son oui et le contenu de sa vie avec le Fils. Oui, a-t-elle dit une fois à un ange qui lui demandait d’être la Mère du Messie, de l’accompagner jusqu’au bout. À ce qui se passe aujourd’hui, elle a dit oui. Oui à toutes ces choses atroces et apparemment oui aussi à cette mort. Son oui lui semble incompréhensible. Il est devant elle comme un mur qui l’entoure, sinistre et sans issue, un mur dont elle savait l’existence et devant lequel elle n’a pas reculé, dans lequel elle ne s’est pas assuré d’issue, de sorte qu’à présent le mur est tout-puissant et l’emprisonne de tous côtés. Elle ne comprend pas que c’est précisément à cela qu’elle a dit oui. Mais on ne la questionne plus non plus. Son oui résonne encore quelque part. Elle connaît ce oui ; mais ne le reconnaît pas. C’est son oui, mais elle ne s’imaginait pas qu’il pourrait devenir ainsi. Et pourtant, à présent, à la croix, c’est comme si elle avait toujours su que tel serait l’effet de son oui. […] Et partout c’est l’angoisse, l’obscurité et l’absence de sens. Et sa prière est comme une violente ouverture de tout son être, comme un oui qui n’est plus volontairement donné, mais qui lui est imposé et qui s’empare d’elle entièrement, corps et âme. Elle la déchire, comme aucune naissance n’a jamais déchiré une femme. Elle l’emporte comme jamais aucune mission n’a emporté quelqu’un. Elle la fait cesser d’être ce qu’elle était, précisément là où elle pensait devoir ou être admise à faire quelque chose. » [1]« Le monde de la prière », Adrienne von Speyr

References

References
1 « Le monde de la prière », Adrienne von Speyr
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