À Milan, vient de se terminer le week-end du 24-25 Juin 2023 une exposition rétrospective sur 40 ans d’œuvres majeures de Bill Viola.
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« J’ai toujours été intéressé par la vision de l’invisible, sans avoir recours aux effets spéciaux. C’est cette tension qui m’a conduit au-delà du monde de l’électronique, vers l’eau avec ses transformations et ses propriétés réfléchissantes, et vers le ralenti. » Bill Viola
Bill Viola, artiste incontournable dans l’art vidéo, attire toujours des milliers de visiteurs à un art pourtant très spirituel, dont les œuvres au ralenti peuvent durer 15 minutes sur la même scène. On pourrait s’étonner qu’un tel art parle à nos contemporains. Et pourtant… Il utilise la réalité, quasiment pas d’effets spéciaux, et le ralenti, le son, la lumière, mettent en valeur ce qui est déjà là, plus comme un révélateur de la réalité que comme un conte. Ses œuvres ont une dimension très intimiste et sont une expérience pour le spectateur. Il faut entrer dans l’expérience pour « voir », « sentir » l’œuvre et par la propriété même de l’expérience, elle touche à l’expérience personnelle du visiteur. Les sources de son art touchent à la culture, aux religions mais aussi aux émotions, aux rêves. Sa compassion l’amène à un point dont notre monde souffre qu’il désire : à la fois une polarité et une unité entre la réalité extérieure et la réalité intérieure de la personne.
L’exposition était de retour en Italie, après celle de Florence en 2017. Le maitre de l’art vidéo, américain, a un lien particulier avec l’Italie.
Dans les œuvres des années 1990 et 2000, il a étudié de manière approfondie, pendant ses années à Florence, le lien très fort avec l’art médiéval et la Renaissance italienne. En particulier, les œuvres d’art sacré sont devenues une source d’inspiration pour un nouveau mode de composition de l’image, plus incarné, presque cinématographique et orienté vers une autre dimension. Des exemples en sont, parmi d’autres œuvres de l’exposition, La salutation (1995) inspirée par la Visitation de Pontormo (1528), et Émergence (2002) inspirée par le Christ dans la pitié de Masolino da Panicale (1424).
Un visage frappant de beaucoup des œuvres exposées est le passage de la mort vers la vie, la quête de la liberté et l’accomplissement.
Émergence: on voit deux femmes éplorées au pied d’un tombeau, affaissées, abattues. Puis le tombeau semble s’agiter, bouger avec de l’eau qui sort et le corps commence à sortir provoquant la stupeur et la joie des femmes, tout particulièrement celle qui est plus âgée et qui se relève à mesure que le corps se relève, avec la joie qui la transfigure et cette manière de recevoir à deux le corps offert, pour l’envelopper avec amour.
Celle de l’Ascension de Tristeu, où l’eau, élément cher à Bill Viola, monte (au lieu de tomber) et finit par emporter le corps de Tristan vers les cieux. Ici le son joue un rôle important, cette pluie inversée semble catalyser toute l’énergie de la scène. La beauté des myriades de gouttelettes d’eau qui deviennent plus fascinantes que le corps déjà mort, le mouvement inspire à une élévation.
L’œuvre intitulée Martyrs (Terre Air Feu Eau) est assez dérangeante. Celle des quatre martyrs avec les quatre éléments. Au début, on les voit comme morts puis l’action reprend, chacun soumis à son martyr par l’un des éléments, qu’ils semblent vivre comme quelque chose de subie jusqu’à la fin avec leur visage illuminé tourné vers le Ciel. Dérangeante à cause de cette espèce de soumission non libre mais aussi fortitude de ceux qui vont au-delà de la matière.
La spiritualité, la vie et la mort, la sacralisation du quotidien (comme dans « La pièce de Catherine ») et la nature sont des thèmes récurrents dans l’œuvre de Viola qui renvoient à son rapprochement avec les philosophies orientales, grâce à ses nombreux voyages sur le continent asiatique. L’artiste crée une relation d’échange entre l’Orient et l’Occident, en mettant également en évidence des symbologies communes, comme celle de l’eau, l’un des éléments fondamentaux de sa poétique.
L’œuvre qui m’a personnellement le plus touchée est Transfigurations. Trois écrans sont installés sur trois tombes, les écrans sont gris et brouillés et on aperçoit au loin des silhouettes. Puis, après un temps d’attente, l’une d’entre elles s’approche, marchant vers le spectateur, et elle va passer au travers d’un mur d’eau dans un processus qui semble douloureux ou étrange. Puis la personne est alors baignée de lumière, le visage serein, comme une joie diffuse. Mais après un temps dans la lumière, soudain, le visage semble comme se refermer puis la personne se retourne et repart sous le mur d’eau et dans la grisaille. J’ai été bouleversé par la lenteur de la vidéo, cette eau qui est à la fois une bénédiction et un passage, comme lorsqu’elle tombe avec force sur la personne et puis la lumière, cette transformation, ce passage de tout l’être, cet étonnement d’être dans la lumière.