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Les chrétiens cachés du Japon

Sylvie Morishita, docteur en théologie de l’Université de Strasbourg et spécialiste de l’histoire du catholicisme au Japon, a publié les Lettres de Nagasaki [1]Sylvie Morishita Lettres de Nagasaki- Cerf 2024 dans lesquelles les missionnaires français des Missions étrangères de Paris racontent leur rencontre avec des descendants des chrétiens japonais convertis au XVIIe siècle.

 

Bernard Petitjean (1829-84)

 

En 1865, le Père Bernard Petitjean, prêtre des Missions étrangères de Paris, est arrivé au Japon depuis deux ans en compagnie d’un confrère. Sous la pression des Américains et des Européens, l’empire du Soleil Levant s’est ouvert aux étrangers à partir de 1850. Le missionnaire achève la construction de son église sur une colline de Nagasaki. Jusqu’à présent, elle n’est fréquentée que par des étrangers, commerçants principalement, qui ne sont autorisés à se déplacer que dans une zone restreinte. Il donne des cours de français.

Le 17 mars 1865, il voit venir à lui un groupe de Japonais conduit par des femmes. Il s’empresse d’ouvrir l’église et prie pour trouver les mots d’accueil qui conviendront. C’est inutile : des femmes s’agenouillent à côté de lui et lui déclarent ; « Notre cœur est le même que le vôtre ». Elles demandent à voir la statue de santa Maria no gozo wa doko portant l’enfant Jésus. Elles lui disent qu’elles sont dans « le temps de la tristesse ». Il s’agit du carême, pense le missionnaire.

Bernard Petitjean comprend qu’il a devant lui des descendants des chrétiens japonais convertis par les jésuites au XVIIe siècle avant les persécutions. Ce n’est pas l’église qui les a attirés, mais la croix qu’ils ont reconnue. Ils sont venus malgré les persécutions toujours vivaces contre les chrétiens. Le missionnaire écrit une lettre enthousiaste au supérieur des MEP pour lui raconter l’évènement.

 

L’église des « 26 martyrs » de Nagasaki au début du XXe siècle

 

Dans les semaines suivantes, d’autres chrétiens se font connaitre au Père Petitjean. Ce sont principalement des paysans et des pécheurs vivant dans les villages et les îles situées autour de Nagasaki, certains assez éloignés. Ces chrétiens, dont Petitjean évaluera le nombre autour de 30 000, ont conservé intacte la foi de leurs ancêtres : ils ont gardé des grains de chapelet donnés autrefois par les jésuites, caché des croix sous leurs vêtements ; ils connaissent les principales prières, en latin ou en japonais. Ils vivent cachés, par peur de la police et des bonzes qui redoutent cette concurrence. Mais ils sont organisés. Ils se réunissent autour d’un chef de communauté. Des « baptiseurs » ont conservé intactes les formules du baptême et les transmettent à des successeurs qu’ils forment. Des rudiments de catéchisme et les principales prières (Credo, Pater, Ave Maria…) sont enseignés aux enfants, qui ont souvent un prénom chrétien caché dérivé de l’espagnol ou du portugais. Les principales fêtes sont célébrées. Un remarquable « Traité de la contrition » laissé par les missionnaires jésuites a été conservé et « a dû sauver beaucoup d’âmes », note Petitjean. Certains le connaissent par cœur.

La foi des chrétiens cachés du Japon a donc survécu pendant 250 ans, sans prêtres et malgré les persécutions, avec le seul baptême pour sacrement. Certes, l’attachement des Japonais à ce qui a été transmis par les ancêtres y est pour beaucoup mais les missionnaires reconnaissent l’authenticité de la foi de leurs « chers chrétiens ».

Petitjean devra parfois batailler avec sa propre congrégation pour obtenir des renforts et des catéchismes adaptés au Japon. Plus familiers de la Chine, les MEP mettront du temps à comprendre les spécificités de la langue et de la culture japonaises. En 1866, Pie IX nomme Bernard Petitjean évêque et administrateur apostolique du Japon. Quand il meurt en 1884, le pays compte deux évêques, cinquante-trois missionnaires européens (surtout français), trois prêtres japonais, deux séminaires avec soixante-dix-neuf élèves et soixante-cinq écoles avec 3 331 élèves.

References

References
1 Sylvie Morishita Lettres de Nagasaki- Cerf 2024
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