Beaucoup d’agacement, des clichés à la vie dure, des resurgissements de vieilles rancœurs sur un fond d’admiration béate parfois contre-productive, les relations franco-allemandes ne sont pas au beau fixe, et il semble que les tensions internationales actuelles ne soient pas faites pour les adoucir. Les festivités du 22 janvier dernier, qui réunirent Angela Merkel et François Hollande à Berlin pour les 50 ans du traité de l’Elysée, célébrèrent pourtant avec faste la « profonde amitié » des deux pays. Hypocrisie ? Nous avons profité de l’événement pour revenir un instant sur cette relation si particulière avec notre voisin d’Outre-Rhin.
© Jean-Marie Porté
Le Gendarmenmarkt à Berlin le 22 janvier au soir. La « cathédrale française » et la « cathédrale allemande »,
encadrant le « Konzerthaus », étaient illuminées aux couleurs des deux pays.
Une séance commune au Bundestag suivie d’un dîner rassembla les députés des deux pays, les présidents reçurent deux cents jeunes et se prêtèrent à un exercice de questions-réponses, on échangea des cadeaux, des poignées de main et de belles paroles.
Le tutoiement surgi dans les discours, « cher François, je voudrais te remercier… », ne manquera pas de faire sourire les cyniques. « Qu’est-ce donc que cette amitié qui a besoin d’une familiarité de façade ? », s’enquerront-ils. Ils citeront la baisse de l’apprentissage des langues réciproques dans les deux pays, le refroidissement des relations politiques récentes ou l’angoisse devant la crise des institutions européennes comme autant de raisons cachées auxquelles imputer la chaleur volontariste affichée.
Le discours d’Angela Merkel au Parlement en a été d’autant plus surprenant dans sa contemplation de la relation entre nos deux pays. Nous en reprenons donc quelques points-clefs.
La mémoire d’un miracle
« Comme si cela avait été facile ! »
La Chancelière commence son discours par un long retour sur l’événement du 22 janvier 1963 et son contexte, dans lequel elle souligne l’aspect miraculeux de la réconciliation.
Elle en évoque d’ailleurs deux événements préparatoires : la messe pour la paix célébrée en la cathédrale de Reims, le 8 juillet 1962, en présence de Konrad Adenauer et Charles de Gaulle, dont on peut voir ici un extrait vidéo[1] ; et le discours historique du Général de Gaulle à la jeunesse allemande à Ludwigsburg, le 9 septembre de la même année.
Un grand silence accueillit ses paroles : « Vous êtes les enfants d’un grand peuple. Jawohl !, d’un grand peuple. » Il avait appris son texte par cœur en allemand ! Et d’ajouter : « d’un grand peuple qui parfois au cours de son histoire a causé de grandes fautes et causé de grands malheurs, mais d’un peuple qui d’autre part répandit de par le monde des vagues de pensée, de sciences, d’art et de philosophie… ». Il faut avoir écouté nos grands-parents, et d’autre part touché la fragilité intérieure et le sentiment de culpabilité encore présents, 50 ans après, chez beaucoup de jeunes allemands, pour comprendre la magnanimité de telles paroles et leur dimension libératrice.
La prière
« Même les problèmes les plus graves peuvent être surmontés si nous méditons sur la force de la paix dans la liberté. »
Un événement représente très plastiquement cette remarque. Le 22 juillet 1946 eut lieu à Vézelay le premier pèlerinage pour la paix, initié par le père Doncœur, où 14 délégations nationales devaient se retrouver pour prier, afin de « vaincre les forces de la haine ». L’Allemagne n’avait pas été invitée. Les petits groupes, traversant villes et villages, générèrent un tel enthousiasme que les pèlerins se retrouvèrent à plus de 30.000 à gravir la colline bourguignonne. Saisis par la demande d’un camp de prisonniers allemands voisins, les organisateurs acceptèrent finalement leur participation, et la vision de ces ennemis en loques et amaigris portant leur croix à la suite des autres provoqua une telle commotion que tous se jetèrent à genoux en pleurant.
La croix réalisée par les prisonniers allemands, maintenant dans la Basilique de Vézelay.
Les fruits de la réconciliation
« Nous oublions souvent à quels obstacles les initiateurs politiques de l’amitié franco-allemande ont dû faire face – au sein de leurs partis, de leurs pays, et même d’un monde qui à l’époque était dominé par la confrontation est-ouest. […] Mais nous savons aussi aujourd'hui que l’action de De Gaulle et Adenauer était visionnaire – elle prépara le chemin, nous ouvrit d’incroyables espaces de jeu, qui aujourd'hui nous obligent. »
Un travail à reprendre à chaque génération
« A la réconciliation succéda la curiosité quant au voisin de l’autre côté du Rhin. Cette curiosité doit être maintenue – et telle est aussi notre tâche – ; elle doit être transmise de génération en génération. Car à celui qui n’est pas curieux, nul traité ne pourra imposer de s’intéresser à l’autre. »
Le Chancelier Adenauer, ouvertement opposé aux nazis, chassé de sa ville pour avoir refusé de serrer la main à un membre du parti, compara l’amitié franco-allemande à un arbre planté sur un terrain à travailler, plein de souffrances et de larmes. Quel terreau ! Et quel travail aussi. La curiosité mutuelle n’a rien d’automatique.
Les contacts personnels
« Echanges, jumelages, coopérations économiques, projets dans les médias, coopérations dans le domaine de la science et de la recherche […]. Ce sont seuls ces contacts personnels qui rendent possible la contribution commune de l’Allemagne et de la France à l’Europe. »
Comme l’a souligné la Chancelière, l’amitié franco-allemande se fonde sur une amitié bien réelle, entre Adenauer et De Gaulle. Amitié qui n’avait rien de courue d’avance, comme le montre l’attitude sceptique du Chancelier en 1958, lors de la victoire de De Gaulle aux présidentielles. Il le voyait comme un Hindenburg de plus, un ancien général qui se mêle de politique. Et pourtant, « les deux hommes d’Etat ne scellèrent pas seulement le Traité par leur signature, mais aussi par une embrassade tout à fait spontanée et chaleureuse. »
La venue de très nombreux jeunes français à Berlin ces dernières années peut être en ce sens une grande chance pour cette relation qui fonda l’Europe, si leur curiosité les porte à la rencontre personnelle, toujours exigeante. L’amitié des deux pays a besoin de cela, afin de ne pas devenir une démonstration politique sur commande, qui ne peut qu’écœurer.
Une inspiration pour l’Europe
Le souvenir de ce Traité, avec tout son poids d’amitié, de pardon, de prière commune, de fruits riches et variés, porte une vraie note d’espérance dans le panorama actuel plutôt morose de l’Union Européenne. Ancêtre de notre Europe des 27, il peut contribuer à ce que l’Union se fonde plus sur le génie des peuples qui la composent et l’amitié entre eux que sur le modèle centralisateur et bureaucratique qui semble l’emporter à Bruxelles.
Le discours en vidéo, avec une traduction simultanée, est visible ici : http://www.lcp.fr/emissions/evenements/vod/143957-discours-solennel-de-francois-hollande-et-angela-merkel-au-bundestag. Angela Merkel commence à parler à ce point : 1h53’30’’.
[1] « 17 ans après la fin de la guerre, le Président Charles de GAULLE et le Chancelier Konrad ADENAUER assistaient ensemble à une messe dans la cathédrale de Reims. Après les pages sombres de l'histoire franco-allemande, ils ouvraient un nouveau chapitre. Mieux encore, dans cette cathédrale, ces 2 grands hommes d'Etat ont commencé une nouvelle œuvre. L'œuvre de l'amitié franco-allemande. Profondément touchés par ce moment historique, l'un parlait de miracle, l'autre de don du ciel. Ainsi le Chancelier ADENAUER déclarait dans un discours prononcé le soir du 8 juillet 1962 et je cite : « ce que le ciel a donné à nos peuples, nous devons le cultiver et l'entretenir avec respect et gratitude ». » Angela Merkel, 8 juillet 2012
Après avoir, comme Suissesse, étudié en Bavière avec des Allemands et des Français, mais aussi des Italiens, des Polonais ou des Hongrois, je suis restée convaincue qu'on ne peut constuire l'Europe sans connaissance mutuelle, sans bienveillance et amour pour la culture de l'autre, et que l'amitié en est le meilleur moyen. Des programmes d'échange comme Erasmus (ou Points-Coeur ;-) me semblent donc essentiels.
J'ai fait partie des jeunes Français et Allemands qui se sont rencontrés dans les années 1970 avec l'aide de l'office franco-allemand de la jeunesse, une création due au traité de 1963. Il n'y a pas eu, aprés de Gaulle et Adenauer, de tandem Pompidou-Willy Brandt, l'ancien maire de Berlin etant plus tourné vers l'Est. Mais il y a eu les tandems Giscard-Schmidt, Mitterrand-Kohl, Chirac-Schröder qui ont eté les moteurs de la construction européenne.. L'entente affichée entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel avait un côté un peu forcé, comme le tandem Hollande-Merkel. Probleme de génération ? Ces quinquagénaires sont nés bien aprés la guerre et n'ont pas les mêmes souvenirs que leurs prédécésseurs. Il serait dommage d'oublier trop vite les leçons du passé pour réduire l'entente franco-allemande au business.