Home > Société > Humour ou féminisme ?

de Jean-Marie Porté   20 février 2013
Féminisme, temps de lecture  4 mn

Birgit Kelle, est mère de quatre enfants, elle s'est fait connaître du grand public pour son franc-parler et sa défense d'un "nouveau féminisme, qui soit vraiment féminin, au service de la femme et de sa liberté".

Son article "Boutonne-donc ton corsage" a connu un succès viral immédiat notamment à cause de sa diffusion par le site de démocratie participative "Freiewelt.net" et lui a valu le titre de "phénomène média de l'année".

Eh bien boutonne ton corsage !
Un article de Birgit Kelle paru sur Freiewelt.net

Les femmes se battent pour leur droit d’être sexy – juste pour elles, bien sûr. L’homme n’a pas le droit d’y réagir, sinon gare au prochain scandale.

Suivons donc le fil et voyons ce qu’il en est de ce scandale qui se déploie et s’expose sur le net, selon lequel nous vivons tous dans un pays de sexistes mielleux, dans lequel la femme n’est rien d’autre que ce qu’Alice Schwarzer[3] a toujours dit : une victime de l’homme. Je vis alors dans un autre pays, dans un monde parallèle. Cela m’énerve, m’irrite au plus haut point, justement en tant que femme, que maintenant n’importe quel bon mot, n’importe quelle drague idiote, sifflet, ou regard sur la mauvaise partie du corps au mauvais moment soit immédiatement taxé de sexisme. On ne fait plus de nuances, ce qui tue dans l’œuf toute discussion sérieuse. Cela m’énerve, parce que ce sont justement les victimes réelles d’agressions sexistes qui en sont dégradées, et se retrouvent dans la légion des "victimes" de la drague. Elles disparaissent dans un océan de banalité, qui ne sont rien d’autre que des comportements quotidiens de parade nuptiale entre l’homme et la femme.

Et cela m’irrite surtout parce que nous nous retrouvons encore dans le bon vieux schéma agresseur – victime, où l’on sait très bien dès le départ comment les rôles sont distribués. Homme agresseur. Femme victime.

Les hommes ne sont pas tous des agresseurs

Je ne suis pas une victime. Je suis une femme et j’aime les hommes. Oh oui, comme j’imagine à peu près chaque femme, j’ai eu à faire à des hommes qui ne savent pas se tenir. Et je m’en tire assez bien, au besoin avec une bonne salve. Quatre ans comme serveuse pendant mes études aguerrissent pour toute situation. Il y a de ces hommes qui prennent tout ce qui passe de féminin pour du gibier. Qui considèrent comme une invitation un signe qui n’a même pas été fait. Dans ces situations-là, c’était mes collègues masculins qui me défendaient, oui, les hommes. Sans que j’ai besoin de leur demander, tout naturellement. Parce que tous les hommes ne sont pas comme ça. Et parce que justement tous les hommes ne sont pas des agresseurs, et toutes les femmes des victimes. Venons-en donc à la question centrale, à laquelle j’attends encore une réponse : comment voulons-nous résoudre le dilemme ? Et avant tout : quelle est notre responsabilité en tant que femmes ? Me barricader dans l’attitude de la victime ne me satisfait pas. Au nom de quoi devrait-on nous laisser fouler le tapis des étages directoriaux si nous ne sommes même pas capables d’être au bar sans une police anti-sexisme ?

Même après un autre siècle de féminisme, les hommes n’arriveront jamais à lire dans les pensées. Ils ne nous comprendront pas, nous traiteront et nous parleront de travers. Même de bonne foi. Parce que nous sommes différentes, pensons différemment, avons des attentes différentes. Si donc nous ne voulons pas d’un certain comportement, nous devons le faire savoir. Nous devons nous-mêmes poser les limites et les rendre bien claires. Et il y a autant de limites qu’il y a de femmes.

Nous avons le pouvoir. Le pouvoir sur les hommes, rien ne le montre plus clairement que l’ineffable affaire Brüderle. Nous pouvons ruiner la carrière d’un homme et toute sa personne avec une seule accusation. Nous avons le pouvoir, parce que les hommes réagissent au charme féminin. Parce que grâce à ça, nous les faisons manger dans la paume de notre main bien plus souvent qu’il ne leur est agréable. Et surtout, parce que nous le savons. Pourquoi serait-il normal que la femme utilise sciemment son apparence, mais pas normal que l’homme y réagisse ? Nous avons donc tous les droits pour nous mettre en scène, mais surtout que personne ne nous en parle ? Combien de femmes n’attendent qu’une seule chose, à savoir qu’un homme réagisse ? Mais si ce n’est pas le bon qui répond au signal, alors c’est un sexiste ! Non mesdames, ça ne marche pas comme ça.

J’entends régulièrement l’argument : je ne fais ça que pour moi. Bien sûr, et la terre est plate, aussi. Nous ne nous faisons belles que pour nous. Nous passons des heures au fitness, devant le miroir, chez le coiffeur et l’esthéticienne, juste pour nous, et pas du tout parce que nous aimons avoir belle allure. Pas du tout parce que nous voulons que les hommes nous regardent. Je demande à toutes ces femmes de répondre honnêtement à cette petite question : quand se sont-elles fait pour la dernière fois une soirée télé-chips-coca toutes seules à la maison, maquillées, coiffées et sur leur trente-et-un ? Juste comme ça, juste pour elles ?

Je n’attire pas l’attention, j’affiche mes valeurs !

On se gargarise aujourd’hui de la libération de la femme qui peut vivre sa sexualité comme elle l’entend. Que nous pouvons prendre qui nous voulons quand nous voulons. Oui, une femme qui sait ce qu’elle veut est sexy. Nous défions les hommes, flirtons avec notre sexualité. Mais bien sûr, seulement quand nous le voulons. Nous exigeons le droit seulement pour nous autres les femmes que ne compte pas ce que l’homme a dit, mais comment nous l’avons entendu. Et si les hommes réclamaient la même chose ? L’actrice américaine Megan Fox, qui pose en sous-vêtements en couverture de l’Esquire, affirme en même temps vouloir échapper à son image sexy. Alors ferme ton chemisier, voudrait-on pouvoir lui crier ! Peut-être que quelqu’un te regardera dans les yeux, pour une fois ! On empaquète déjà nos fillettes dans des fringues de Lolita, et on décrie le désir d’intimité comme de la pruderie. On fait des manifs de "Ni Putes ni Soumises" et revendiquons le droit de nous promener dans la rue habillées comme des prostituées. Mais en même temps, on ne veut pas être décrites, et encore moins traitées, comme des prostituées. Nous nous rengorgeons de notre apparence, aimons être appelées le beau sexe, portons les seins hauts à l’Oktoberfest, mais non non, nous ne cherchons pas l’attention, nous ne désirons que manifester nos valeurs personnelles.

Encore maintenant se prostituent des jeunes femmes sur RTL (chaîne privée de télévision en Allemagne, ndt) pour la x-ième édition de Bachelor. Dans une seule émission de Bachelor, on en apprend plus sur les femmes que dans cent bouquins féministes. Les femmes se déshabillent pour Playboy, et ont lutté pour avoir le droit de vendre leur corps. Sûr, l’anatomie féminine est une arme excellente. Lorsque Heidi Klumm raconte la mine réjouie que la première chose qui lui a plu de son mari Seal a été la bosse dans son cycliste, ah alors c’est notre petite Heidi, c’est trop mignon. La même phrase d’un homme quant à la poitrine de sa femme serait du sexisme. Il peut se remballer. Deux poids, deux mesures.

Non, mon Dieu, je ne voudrais pas être un homme, dans un monde où les fillettes de 13 ans vont déjà à l’école avec un push-up. Je n’aimerais pas être un homme dans un monde où je dois réfléchir deux fois avant de boire un café avec une collègue. Et surtout, je ne voudrais pas être une femme dans un monde où je suis vue comme une pauvre victime, et où les hommes n’ouvrent plus le bec de peur de dire quelque chose de travers. Nous avons ce monde en main, nous les femmes, nous avons les hommes en main.

Birgit Kelle préside l'association "Frau2000plus" et est membre du groupe "New Women for Europe" (regroupant 28 organisations de 13 pays européens) qui milite pour cette cause auprès du Parlement et de la Communauté Européenne. 
Cet article est également paru sur TheEuropean.de

 


[1] Chancelier de 1998 à 2005
[2] Ancien ministre du gouvernement Schröder
[3] Figure de proue du MLF

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vous aimerez aussi
Georgia Meloni, féministe ?
Confinements russes
Mort du compositeur Krzysztof Penderecki
De la gratuité de l’amour – en l’honneur de Ferdinand Ulrich

5 Commentaires

    1. Jean-Marie

      No problem. If you mean to publish it, please contact me at berlin(at)offenesherz.de, so that I transmit your request to the publisher.

  1. Ce qui est sûr, c'est qu'il y a un vrai problème sur les codes de seduction en Europe, ce qui engendre de grandes frustrations des deux côtés, et n'est peut être pas étranger non plus au développement de l'homosexualité: même si c'est un sujet tabou, dans les pays jugés "machistes", les codes et le langage corporel rendent les relations beaucoup plus claires entre les hommes et les femmes!

  2. Bruno ANEL

    Merci, Jean-Marie. Les hommes sont ainsi faits qu'ils doivent faire un effort pour ne pas trop montrer leur interet devant un décolleté vertigineux ou ce que laisse voir une mini-jupe bien ajustée. Et il n'est pas rare que nous nous posions la question : mais que veulent-elles au juste

  3. fix de fontenille

    Comme dirait Alex, c'est pas parce que je ne rentre pas dans le restau que j'ai pas le droit de regarder le menu….

    Corollaire: S'il n'y a pas le menu, alors je ne songe même pas à rentrer dans le restau.

    ______________________________________

    Sinon:

    "Couvrez ce sein que je ne saurais voir.
    Par de pareils objets les âmes sont blessées,
    et cela fait venir de coupables pensées"…..

    La pensée de Birgit Kelle résumée en ces qqs vers de Molière :-)

Répondre