d'Alexandre Morard 9 mai 2011
Le 28 avril dernier, l’alpiniste et guide suisse Erhard Loretan nous a quitté accidentellement. Il a fait une chute mortelle lors de l’ascension d’une arête “pas bien compliquée“ du Grünhorn[1].
Erhard était surtout connu pour avoir été le troisième homme à gravir les quatorze plus hauts sommets de la planète. C’était son “étiquette“ comme il le disait lui-même. Son premier 8000, il le réalisera à l’âge de vingt-trsois ans : c’est le début de la consécration. Il va révolutionner l’hymalayisme en en modifiant profondément l’approche technique et “philosophique". Ses maîtres mots sont rapidité, aller-retour non-stop, légèreté, pas de campements intermédiaires et respect de la montagne, pas de bouteilles d’oxygène. Ainsi sont réduits les risques d’accident arrivant surtout lors du repos dans les camps intermédiaires mais également l’apport de matériel et donc de pollution.
Ses exploits vont bien au-delà de ces quatorze sommets : “les 8000 c’est techniquement facile. Tout marche au physique et au mental. Ça a fait partie de certains de mes projets mais j’ai fait des trucs qui à mes yeux sont plus importants“. Quatre autres réalisations marquantes sont à relever. En février 1986, sur l’invitation de son ami André Georges[2], il enchaînera les 140 km d’arêtes de la “Couronne Impériale[3]“ en dix-neuf jours. En 1989, toujours avec André, 13 faces nord en 13 jours dont la célèbre trilogie Eiger-Mönch-Jungfrau. Mais il aimera aussi vivre la montagne seul, “de l’intérieur" pour éviter de la “démystifier“ et lui garder un “profond respect“. C’est en solo qu’il ouvrira deux itinéraires majeurs en Antarctique : les faces sud ouest, en 1994 au Mont Eperly et, en 1995, au “Pic de la Bonté“.
Homme d’exploit, Erhard était avant tout une personne d’une grande humanité. Il a su rester simple et humble, gardant une distance avec la montagne et l’exploit. “J’ai toujours eu de la marge sans jamais aller dans la folie". “Il faut écouter la montagne, c’est elle qui décide".
A la question du renoncement il répondait : "Si t’as pas l’humilité de renoncer, au risque de t’en prendre plein la figure au retour, t’es foutu… C’est dur de renoncer, parfois ça te prend des heures mais si tu le fais pas t’es mort". Son but n’était pas le sommet mais le retour.
La montagne était le lieu où il “s’exprimait“ : “pour satisfaire tes besoins, tu as envie, tu as besoin de créer, de dessiner quelque chose“. “Ces projets c’est le moteur, ça te fait vivre. Sans moteur tu vivotes, tu meurs.“
Erhard n’avait pas besoin d’être à 8000 pour être heureux. Sa joie était de communiquer sa passion pour la montagne : “je veux partager cette passion avec d’autres gens qui rêvent d’y aller. Si je peux aider les gens à vivre la montagne… c’est une belle part".
C’est un magnifique témoignage de vie qu’Erhard nous a laissé. Il a suivit sa passion pour découvrir et exprimer qui il était profondément. Cette dernière phrase donnée lors du Festival du film de montagne à Trente en 2010 résume toute son attitude : “En premier lieu je veux remercier la montagne. Depuis quarante ans que j’y monte et descend elle m’a toujours laissé passer. Je suis un privilégié de vivre avec la montagne. Elle m’a rendu heureux et je la remercie pour ça".
Lecture : Erhard Loretan, les 8000 rugissants, édition La Sarine, 1996
Reportage "Ecume les cîmes" sur la chaîne suisse TSR cliquer sur l'image:
[3] Enchainement de quinze sommets entre 3300 et 4500 mètres situé dans les Alpes Valaisannes.
Photo des montagnes CC Fiesch