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Cahuzac, un coupable expiatoire ?

de Clément R.   3 avril 2013
Temps de lecture 5 mn

A 15h52, le 2 avril 2013, après s’être entretenu avec ses juges, Jérôme Cahuzac publiait sur son blog une lettre[1] dans laquelle il expliquait avoir avoué la vérité sur l’existence d’un compte bancaire suisse dont il est le bénéficiaire. Il est donc désormais mis en examen pour blanchiment de fraude fiscale. Il risque la prison ferme et une amende conséquente[2].


CC BY-NC-SA Parti socialiste

A 17h02 déjà, son profil Wikipédia était mis à jour[3]. Il le sera encore plus de 30 fois avant 20h00. Nul doute qu’au fur et à mesure des déclarations cinglantes, il le sera encore de nombreuses fois.

En effet, dès 17h53, Montebourg dit rester sans voix[4], à 17h59 Pascal Durand, secrétaire national EELV, dénonce un mensonge d’Etat[5] ; à 18h08 le Président de la République estime que Jérôme Cahuzac a commis une impardonnable faute morale[6]. La droite n’est pas en reste mais, étant en réunion de travail, il faut attendre 18h51 pour que Jean-Francois Copé s’exprime et déclare voir dans cette affaire la fin de la gauche morale[7] ;…

La chronologie de cette mise à mort documentée avec délectation par la presse va continuer à faire la « Une » des journaux pendant quelques jours encore. Et après ?

Après, d’autres hommes politiques vont devoir balayer devant leur porte car comme le révélait un banquier suisse, « Tout le monde doit trembler, car une bonne partie de la classe politique française, à droite comme à gauche, connaît très bien les bords du Léman. »[8]

S’il est clair que M. Cahuzac doit rendre compte devant la justice de ce qu’il a fait deux aspects de cette affaire retiennent particulièrement mon attention : la déclaration de M. Cahuzac et les raisons de l’indignation généralisée.

La déclaration

Dans sa lettre il est écrit :

« A Monsieur le Président de la République, au Premier Ministre, à mes anciens collègues du gouvernement, je demande pardon du dommage que je leur ai causé. A mes collègues parlementaires, à mes électeurs, aux Françaises et aux Français j’exprime mes sincères et plus profonds regrets. Je pense aussi à mes collaborateurs, à mes amis et à ma famille que j’ai tant déçus. »

Notez que ces aveux sont purement politiques. Il demande pardon pour les conséquences de son mensonge et non pour son mensonge lui-même, dont il ne fait même pas mention.

Il poursuit par une note plus personnelle dans laquelle il écrit pour la seule et unique fois le terme mensonge. Pourtant cela devrait être le centre de son propos puisque c’est bien de cela qu’il s’agit : un mensonge répété et argumenté pendant quatre mois :

« J’ai mené une lutte intérieure taraudante pour tenter de résoudre le conflit entre le devoir de vérité auquel j’ai manqué et le souci de remplir les missions qui m’ont été confiées et notamment la dernière que je n’ai pu mener à bien. J’ai été pris dans une spirale du mensonge et m’y suis fourvoyé. Je suis dévasté par le remords. »

Même dans cette formule, il tente une version personnelle de « la fin justifie les moyens ».

Au final, cet aveu laisse un goût amer d’ultime tentative de minimisation de son acte.

Les raisons de l’indignation

Dans cette triste histoire, ce qui m’interpelle le plus, ce sont les raisons de l’indignation de la classe politique. M. Mando, porte-parole du groupe PS à l'Assemblée, résume bien l’argument phare : « On est atterrés, c'est gravissime d'avoir menti devant la représentation nationale ».[9] Effectivement, par ce biais il a menti à tous les Français qui ont élu au suffrage universel leurs représentants à l'Assemblée.

En filigrane semble poindre l’idée selon laquelle la parole donnée n’a pas le même poids devant les députés, devant le Président de la République et dans d’autres contextes plus quotidiens.

Je m’oppose vigoureusement à cette idée.

En effet, la parole donnée, l’engagement pris ont pour effet de faire grandir la confiance ou de la détruire à l’échelle personnelle comme à l’échelle nationale. Quelque chose se brise lorsqu’un parent ment à un enfant, lorsqu’un époux en trompe un autre, lorsque je fraude le fisc, lorsque je plagie une thèse, lorsque je mens au Président et aux Français. La confiance grandit lorsque je tiens ma promesse, m’oppose à une injustice au travail, ou tiens mes promesses de campagne…

Il serait trop simple de reléguer cette histoire à une énième question d’affaire politique déconnectée de notre vie quotidienne.

L’affaire Cahuzac et son épilogue doivent nous questionner profondément sur ce que nous attendons de la politique et sur ce que nous faisons pour y contribuer. Nous sommes tous appelés à participer à la vie de la cité d’une manière ou d’une autre, et non pas seulement à la commenter.

S’il est juste d’exiger de nos représentants politiques l’exemplarité dans la conduite et la construction de la nation, sommes-nous prêts à avoir la même exigence  pour nous-mêmes dans le conduite et la construction de nos vies ? Avons-nous conscience que par là aussi nous construisons la nation, cet ensemble des êtres humains vivant dans un même territoire, ayant une communauté d'origine, d'histoire, de culture, de traditions, parfois de langue, et constituant une communauté politique.[10] ?


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10 Commentaires

  1. Henri Dumont

    Un homme présente avec humilité ses excuses mais toute la classe dirigeante parle de faute "inexcusable"… Après Depardieu, Bernard Arnault, Johnny, voici Cahuzac qui est sur l'échafaud. La violence du lynchage médiatique montre que l'on touche à quelque chose qui fait trembler le pouvoir. L'exil fiscal met en lumière l'injustice profonde de notre fiscalité : anti patrimoine, anti entrepreneurs, anti riches, anti, anti, anti … Plutôt que d'oser regarder l'arbitraire de la fiscalité et le désastre économique qu'elle engendre par la fuite des capitaux mais surtout des cerveaux, des créateurs d’emplois, des entreprises, … Mieux vaut faire l’autruche et jeter régulièrement dans l'arène un bouc émissaire, c'est beaucoup plus confortable. 

  2. Bruno ANEL

    Le bon sens populaire mploie une expression : se faire prendre la main dans le sac. Qu'est-ce qui est le plus grave: avoir la main dans le sac ou se faire prendre ? Une conscience éclairée penche pour la première réponse. Atterré d'avoir été pris, le délinquant voit surtout l'opprobre s'abattre sur lui. Le fait d'être pris en flagrant délit de fraude fiscale, alors même qu'il est le ministre chargé de faire rentrer les impôts, ne manque pas de sel, ni de précédents. Cela étant, les temps sont plus cléments qu'autrefois pour les fraudeurs: l'empereur Dioclétien, grand persécuteur de chrétiens, était aussi impitoyable pour les contribuables défaillants: il ordonnait de les plonger dans l'eau bouillante.

  3. Denis

    Le problème est situé dans le dualisme entre agir selon les devoir de la fonction (ce qui d'ailleurs peut aussi servir à légitimer bien des choses sordides), et agir comme homme à qui il est confié une fonction. Ceci dit, si la  fonction s'excuse d'avoir failli à sa tâche, lorsque l'homme dit : "j'ai été pris dans une spirale de mensonge", ce peut être une manière de ne pas opposer autant les choses. Il serait effectivement néfaste de nier que cette tension est celle de toute personne prise dans le drame de l'existence ; de jeter le coupable au dehors comme pour se justifier soi même de n'avoir rien à faire avec le paria ; de rester entre gens bien et sauver l'institution qui vit d'elle même et, Temple Saint, se nourrit de l'immolation de la vertu de ses adulateurs. Mais il serait tout aussi dangereux de ne pas voir la priorité absolu de l'homme, à qui il est confié une fonction, ordonnée au bien de tous, et qu'il menera depuis ce qu'il est, engageant plenement sa liberté. Nous ne nous réduisons pas à au rôle que nous tenons dans la société. Et le fait d'en avoir conscience ne simplifie pas les choses, mais augmente la dramaticité de l'engagement. Pour autant, l'agir moral n'est pas le verni marketing de la politique. Il en est la substance. Pour autant, il est bon que la société réagisse, pourvu qu'elle ne se fasse pas plus mesquine que ce qu'elle est.

  4. Denis

    De fait, lorsque la droite annonce la fin de la "gauche morale", c'est un coup bas. Car quelque soi notre sensibilité politique, personne ne devrait se réjouir de la chute d'un homme. Même si cela sert les desseins d'un parti (ce qui est d'ailleurs assez réciproque) pour M. Cahuzac comme pour la France, c'est à la fois une mauvaise nouvelle et à la fois une occasion de réfléchir sur les raisons profondes de l'engagement.

  5. Denis

    Dans une émition de France Culture, Joëlle Lenoir, chargée de la prévention des conflits d'intérêts, expose son travail. Elle a eu elle même un mandat comme maire. "Je me refuse à hurler avec les loups". "L'affaire touche à l'image que les hommes politiques ont dans la société et à la montée du populisme". "I"la déontologie n'est pas une idée neuve, puisque il y a une responsabilité particulière des élus" l ne faut pas penser : "tous pourris" car la plupart sont dévoués.. "l'électeur n'a pas pour qualité première la gratitude vis à vis de celui qu'ils ont élu quand il est en difficulté, c'est toujours lui qui es responsable", " les élus sont constament sous le regard des médias, c'est une bonne chose, mais c'est très exigent pour eux", Ma fonction consiste à prévenir les conflits d'intérets de sorte que les médias ne puissent  pas laisser les médias détruire une carrière politique autour de simples soupçons". Bref elle souligne aussi combien les hommes politiques sont exposés.

    http://www.franceculture.fr/emission-le-monde-selon-noelle-lenoir-qu-est-ce-que-la-deontologie-en-politique-2013-04-03

     

  6. Claire et Cyril

    Merci Clément pour ce bel article, qui nous met tous face à nos propres responsabilités, à nos propres incohérences, à nos engagements. Vraiment nous sommes tous concernés. 
    Il me semble que nous avons chacun effectivement à nous engager pour être plus justes. Et nous comment placons nous notre argent? Comment l'utilisons nous?  Payons nous chaque fois notre ticket de métro? Nos impots? Sommes nous tenté de voir notre propre intéret ou tendons nous vers des rapports ou chacun gagne? 

  7. Bruno ANEL

    Jérôme Cahuzac a commis indiscutablement une faute. Mais plusieurs questions méritent d'être posées. Premièrement: sa faute-est-elle plus grave que celle d'élus qui ont détourné de l'argent public pour rémunérer des gens qui travaillaient en fait pour leur parti, ou encore pour financer des sondages d'opinion destinés à tester leur propre popularité ? Deuxièmement: Cahuzac demande pardon. C'est peut-être une démarche tactique mais ce n'est pas si fréquent chez les hommes politiques ("N'avouez jamais" disait un  homme d'Etat éminent). Ne faut-il pas l'entendre ? Troisièmement: ses anciens amis sont bien prompts à l'accabler, sans doute pour se protéger : je n'ai entendu qu'un député dire qu'il n'avait pas le droit d'abandonner un ami à terre, qu'il fallait l'aider à se relever. Acculer le fautif au désespoir arrangera-t-il quelque chose ?Quatrièmement: selon ce que nous rapporte Clément, Cahuzac n'est pas le seul homme politique à apprécier le secret bancaire .A qui le tour ?

  8. paulo

    Indépendemment du cas de conscience de Cahuzac, l'affaire a révélé un chiffre: Il y a plus d'argent dans les paradis fiscaux que le pib des Etats Unis et du Japon réunis!

    Que reste t-il du pouvoir de décision des Etats actuellement?

  9. tabitha

    Histoire sans intérêt pour la France car les prédécesseurs de Cahuzac ont tous fait la même chose, à quelque parti qu'ils appartiennent (au sens fort du terme, d'ailleurs, car il sont dans une logique d'appartenance, donc de dépendance la plus servile qui soit et du coup, se trouvent expulsés sans aucun ménagement  en dehors du pachyderme qui les a engendrés : dehors, puisque tu n'as pas été assez intelligent pour ne pas te faire prendre, crétin !)*

    Rappellons-nous que dès le début de la communauté des Apôtres, l'un d'entre eux, surnommé (au choix):

    Judas Cahuzac /  Judas- Juppé / Judas- Giscard d'Estaing / Judas-Michel Noir / Judas-Dumas

    (ad libitum …..) piquait dans la caisse fédérale pour y prendre ce dont il avait besoin …..

    *le Pape François a osé parlé dans un de ses 1ers discours des coprophiles (voir ci-dessus, le résidu du pachyderme dont je parlais ….) c'est-à-dire de ceux que réjouissent ces nouvelles de fond de poubelle et de la coprophagie de ceux qui s'en repaissent …..Dont'acte

     

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