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L’euthanasie : mythe d’une bonne mort ?

de Rachel Oberman   3 juillet 2013
Temps de lecture 2 mn

J’ai assisté à une conférence donnée à l’université catholique de New York, sponsorisée par le Crossroads Cultural Center et intitulée "Briser le mythe d’une bonne mort : discussion sur l’euthanasie et la valeur de la souffrance en fin de vie". C’est un sujet pesant mais les intervenants, le docteur Margaret Somerville et le docteur Daniel Sulmasy étaient passionnants et l’ont rendu attirant.


© Aude Guillet

Le docteur Somerville a d'abord fait remarquer que les raisons les plus courantes pour demander l’euthanasie n'étaient pas médicales. En premier lieu figurent la peur de mourir seul et celle d’être un poids pour ses proches. Parce que nous avons perdu, dans notre culture, le sens de la famille et de la communauté, la mort est devenue un événement médical vécu non plus à la maison, entouré par ses proches, mais seul dans un hôpital. La mort est devenue professionnalisée et dépersonnalisée. Une personne mourante peut dès lors se sentir déshumanisée.

Les deux médecins ont parlé du caractère universel de la peur de la mort : en tant qu'être humains, nous l'expérimentons tous. A la lumière de cette peur, l’euthanasie, par sa promesse d’une souffrance réduite et du contrôle de la personne mourante, est attirante.
Le docteur Sulmasy nous a rappelé que le poids que nous attachons à l’autonomie et au contrôle n’était que fiction. Dans les domaines les plus importants de nos vies (la vie, l’amour, la mort) nous n’avons que très peu de contrôle. Nous ne pouvons choisir de naître,  ni qui sont nos parents, nous ne pouvons forcer quelqu’un à nous aimer (si nous le pouvions, ce ne serait pas un amour véritable) et nous ne pouvons choisir de ne pas mourir. Cette idée de contrôle comme base de nos lois et  de nos valeurs est donc un leurre, une tromperie. Toute l’attention portée par notre culture à l’individualisme et au choix nous fait passer à côté du véritable problème. Le fait de tuer intentionnellement un patient, même sur sa demande, est-il un droit pour le médecin ?
Le docteur Somerville a souligné que, en moyenne, une personne demandant l’euthanasie change d’opinion toutes les 12 heures. Le docteur Sulmasy est même allé plus loin en disant que nous ne devrions pas tenir compte d’une demande d’euthanasie mais qu'un patient exprimant le fait que sa vie ne valait pas la peine d’être vécue, devait être contredit par son médecin. J’ai tellement l’habitude de penser que le rôle des professions thérapeutiques et médicales est de confirmer le patient que l’audace du docteur Sulmasy m’a tout d’abord surprise. Mais en réalité, une personne mourante qui a l’impression que sa vie n’a pas de valeur cherche à être contredite. Le suicide est même une tentative de communiquer, de susciter une réponse. La réponse appropriée de la part de la profession médicale devrait être de dire : "Votre vie vaut la peine d’être vécue. Vous avez de la valeur, vous êtes aimé".
J’espère vraiment avoir un médecin comme lui à mon chevet. Car si un médecin me disait ces mots en réponse à ma souffrance, cela me soulagerait bien plus que s’il me rappelait mon droit à l’euthanasie.

La manière d’accompagner les mourants n’est pas si différente de celle d’accompagner les vivants : être une présence aimante pour les malades, les personnes tristes, seules afin que la mort devienne une expérience partagée et non une entreprise solitaire.

Le docteur Somerville a terminé sa présentation avec 3 questions importantes : la légalisation de l’euthanasie nous aiderait-elle ou ferait-elle au contraire obstacle à notre quête d’un sens à nos vies ? Comment voulons-nous que nos petits-enfants et arrières petits-enfants meurent ? Enfin, s'agissant de la mort, quelles sortes de valeurs et de culture voulons-nous transmettre ?

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2 Commentaires

  1. Coulon Marie

    C'est exactement cela. Nous ne savons plus accompagner les mourants car la mort est devenue un tabou, "sale, pas belle à voir, traumatisante pour les enfants".. (je cite les paroles de proches). Pourquoi? 

    1) La médecine ayant cru qu'elle pourrait repousser les limites de la mort au point que, peut être, nous ne mourrions plus, (l'homme immortel, on en parle tout le temps), elle a alors inventé l'acharnement thérapeutique et son cortège d'horreurs qui OBJECTIVENT les patients,devenus "objets" de.. soins qui n'en sont pas.. Le mourir est alors devenue " techniqué " et la mort, empêchée. Du coup, des situations affreuses sont nées, qui ont rendu la mort d'autant plus irreprésentable psychiquement que la médecine avait abouti à ce que nous nous rêvions tout-puissants, immortels, sans faiblesse…Aussi avons-nous à présent "honte de mourir" car c'est comme une capitulation obscène de notre part, une faute. La revendication de l'ADMD doit se lire, ici ,comme une volonté folle de l'individu de "garder le contrôle sur sa vie" en supprimant..le mourir, jugé "dégradant, indigne". L'individu effrayé découvre qu'il ne peut pas empêcher cette mort et ce qui la précède souvent: le déclin des capacités ; alors, en passant directement à la case "mort" et en le décidant lui-même, l'individu se pense héroïque et libre! Sauf qu'il est à ce moment-même esclave d'une vision de l'homme qui a exclu la mort du champ de ses réflexions, de sa philosophie..

    2) La honte du mourir et la revendication d'euthanasie se lisent aussi comme une perte de confiance dans les liens humains, qui ne sont plus "fiables" parce que la société a cessé de  défendre  l'importance du lien .Au contraire, elle en précipite la dé-liaison. On a, à juste titre, peur de se retrouver seuls,  alors on préfère déguiser cette solitude (socialement fabriquée par une société de la déliaison ) en geste "héroïque" du "moi" qui décide jusqu'au bout..Ainsi, parallèlement au progrès d'une médecine qui promouvait la toute-puissance, la société toute entière a-telle détruit les liens qui étaient si importants lors des décès: il n'y a plus de veillées, on n'est plus là lors de la mort…Beaucoup de familles sont éclatées, éloignées dans l'espace ou "divorcées", ce qui fait que bien des personnes meurent seules…et que la mort n'est plus accompagnée, ritualisée, parlée, sociabilisée, partagée..Elle se cache.On ne va pas aux enterements. Le deuil lui-même doit aller vite. Après 15 jours de chagrin, on vous envoie chez le psy: "ce n'est pas normal, le chagrin, c'est pathologique…Ce n'est pas compréhensible, le chagrin. il faut des experts"…A évacuer, le chagrin. "Soleil vert" pour tout le monde, solidarité dans le chagrin pour personne..

    3) Et puis notre société s'est construite sur la destruction des valeurs d'intériorité, de spiritualité,  d'espérance, de dépendance mutuelle et de solidarité . A la place, elle a élevé la performance, l'autonomie !  Elle a progressivement considéré que la dignité c'était" quelque chose qui se perdait", qui "dépendait de ce que l'on était capable ou pas de faire", "de l'autonomie que l'on avait ou pas". Elle a considéré que la dépendance était une abomination et que l'individu devait refuser de dépendre…des autres. Cela s'est fait en plusieurs temps.

    Elle a d'abord nié le LIEN qui fait que nous dépendons tous les uns des autres. (Quand je suis amoureuse, je dépends de toi que j'aime. Quand j'ai un enfant, il est dépendant de moi. Et  se tisse un lien de dépendances réciproques avec lui, sa mère et son père, sinon, rien d'humain n'est possible. Je vous laisse trouver mille autres exemples).

    La société de consommation  a ensuite nié que l'individu et la société DOIVENT prendre en charge les malades, les anciens: elle a insisté sur" le coût de la dépendance", sur le fait que les personnes dépendantes" pèsent sur les autres et leurs proches"….Poids qu'elle n'accepte d'allèger que fort peu et moyennant beaucoup d'argent, si l'on en juge par les maisons de retraite qui sont souvent des lieux d'abandon, par ailleurs.

    Alors oui aux soins palliatifs pour supprimer la souffrance physique et accompagner la souffrance morale, la mort etc. mais les soins palliatifs ne suffisent pas. C'est vers un  "prendre soin de tout homme, de tout l'homme" qu'il faut aller.  Oui, vous avez raison de dire ce que vous dites. En 4 ans d'accompagnement des malades et des mourants, je n'ai JAMAIS vu une demande d'euthanasie se poursuivre lorsqu'il y avait une parole qui disait :"votre vie m'importe, elle importe à votre famille, votre histoire contient des pépites d'or qu'il faut transmettre, nous sommes là pour vivre ce moment avec vous" etc .
    En n'oubliant pas que la condition humaine est tragique parce que mortelle et que vouloir évacuer ce tragique au nom de la "compassion " ( voir "der Gnatentod", mot allemand de sinistre mémoire) et de la "dignité" comme le fait l'ADMD , c'est vouloir évacuer l'essence même de la condition humaine: elle pense, elle aime,elle a peur, elle fantasme, elle a besoin toujours des autres et elle est faible,vulnérable,mortelle. D'où sa beauté.

  2. Cependant, quand on voit le cas de Nelson Mandela: j'aurais envi de dire comme les sud-africains: laissez-le partir en paix! Sans choisir la mort, le fait de l'accepter en la regardant en face m'a toujours paru un acte de sagesse et de courage.

    Où mettre une limite entre euthanasie et acharnement thérapeutique?

     

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