Le Père Schmemann écrivait dans son journal en 1981 : « Hier soir, à la télévision, discours d’adieu du président Carter, discours plein de retenue, de hauteur de vue – sur les idéaux de l’Amérique : “Ce n’est pas l’Amérique qui a créé les human rights, ce sont les droits de l’homme qui ont créé l’Amérique.” Bien sûr, c’est de la rhétorique, mais il y a du vrai. Et quoi qu’on en ait, la clé reste toujours la même : la personne. Si on ne la place pas à la clé de voûte, tout est peine perdue. »
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Pour ne pas devenir un simple concept abstrait, les droits de l’homme doivent reposer sur la personne humaine. Quelques lignes de Jean-Paul II nous éclairent en ce sens : « L'homme est réduit à un ensemble de relations sociales, et c'est alors que disparaît le concept de personne comme sujet autonome de décision morale qui construit l'ordre social par cette décision. De cette conception erronée de la personne découlent la déformation du droit qui définit la sphère d'exercice de la liberté, ainsi que le refus de la propriété privée. En effet, l'homme dépossédé de ce qu'il pourrait dire “sien” et de la possibilité de gagner sa vie par ses initiatives en vient à dépendre de la machine sociale et de ceux qui la contrôlent ; cela lui rend beaucoup plus difficile la reconnaissance de sa propre dignité de personne et entrave la progression vers la constitution d'une authentique communauté humaine.
Au contraire, de la conception chrétienne de la personne résulte nécessairement une vision juste de la société. Selon Rerum novarum et toute la doctrine sociale de l'Eglise, le caractère social de l'homme ne s'épuise pas dans l'Etat, mais il se réalise dans divers groupes intermédiaires, de la famille aux groupes économiques, sociaux, politiques et culturels qui, découlant de la même nature humaine, ont — toujours à l'intérieur du bien commun — leur autonomie propre. C'est ce que j'ai appelé la “personnalité” de la société qui, avec la personnalité de l'individu, a été éliminée par le “socialisme réel”.
Si on se demande ensuite d'où naît cette conception erronée de la nature de la personne humaine et de la personnalité de la société, il faut répondre que la première cause en est l'athéisme. C'est par sa réponse à l'appel de Dieu contenu dans l'être des choses que l'homme prend conscience de sa dignité transcendante. Tout homme doit donner cette réponse, car en elle il atteint le sommet de son humanité, et aucun mécanisme social ou sujet collectif ne peut se substituer à lui. La négation de Dieu prive la personne de ses racines et, en conséquence, incite à réorganiser l'ordre social sans tenir compte de la dignité et de la responsabilité de la personne.
L'athéisme dont on parle est, du reste, étroitement lié au rationalisme de la philosophie des lumières, qui conçoit la réalité humaine et sociale d'une manière mécaniste. On nie ainsi l'intuition ultime de la vraie grandeur de l'homme, sa transcendance par rapport au monde des choses, la contradiction qu'il ressent dans son cœur entre le désir d'une plénitude de bien et son impuissance à l'obtenir et, surtout, le besoin de salut qui en dérive. »
Cette négation de la personne a pour corollaire une mauvaise compréhension de ce qu’est l’égalité, comme le souligne le Père Schmemann dans son Journal : « On n’obtient jamais rien par la comparaison, elle est source du mal, c’est-à-dire de jalousie, (pourquoi je ne suis pas comme lui), puis de méchanceté, et enfin de révolte et de division. A chacun des stades de ce développement il n’y a le moindre point positif, tout est négatif du début à la fin. (…) Notre culture (…) repose sur la comparaison. Et comme la comparaison débouche mathématiquement toujours sur l’expérience, sur la prise de conscience de l’inégalité, elle conduit inéluctablement à la protestation. L’égalité s’affirme comme une interdiction absolue des différences : mais dans la mesure où ces différences sont présentes, elle appelle à la lutte contre ces dernières, à une égalisation sans merci et, pire encore, à leur négation en tant qu’essence même de l’existence. La "personne", homme ou femme peu importe, qui aspire à l’égalité est déjà, au fond, vidée de son être : elle est "impersonnelle", car l’élément "personnel" en elle constituait justement ce qui la différenciait d’autrui et qui n’était pas inféodé à la loi absurde de "l’égalité".
Au principe de "l’égalité", le christianisme oppose l’amour, dont l’essence est justement dans l’absence totale de comparaison. C’est pour cette raison qu’il n’y a pas et ne peut pas y avoir au monde d’égalité, car le monde est engendré par l’amour et non par des principes. Aussi a-t-il soif d’amour et non d’égalité. Rien, nous le savons, n’anéantit autant l’amour, ne lui substitue autant de haine que, précisément, cette égalité, constamment imposée au monde, comme but et comme “valeur”.
Or, c’est dans l’amour, et dans lui seul, qu’est enracinée la dualité de l’être, en tant qu’homme et femme. Ce n’est pas une erreur, un préjudice, un accident, que l’humanité corrigera par “l’égalité” – c’est l’expression primordiale, ontologique de l’essence même de la vie. C’est l’accomplissement de la personne, qui se réalise dans le don de soi, c’est la “loi” qui est transcendée, c’est là que prend fin l’auto-affirmation de l’homme en tant qu’homme et de la femme en tant que femme, etc.
Tout cela signifie donc qu’il n’existe aucune égalité, mais qu’il y a une différence ontologique, qui rend possible l’amour, c’est-à-dire l’unité et non “l’égalité”. L’égalité présuppose la multiplicité “d’égaux”, et cette multiplicité n’est jamais transmuable en unité, car tout le fondement de l’égalité réside dans la protection zélée qui lui est accordée. Dans l’unité, la différence n’est pas anéantie mais devient elle-même unité, vie, acte créateur…
Les “principes” masculin et féminin sont co-naturels au monde, mais seul l’homme les transmue en famille. La culture nourrit de la haine envers la famille, parce que celle-ci démasque le mal induit par “l’égalité”. »
Enfin une réflexion sérieuse et convaincante sur les droits de l'homme, merci de nous offrir ce beau cadeau pour le 14 juillet – date qui par ailleurs constitue un des symboles les plus falsifiés de notre Histoire… La réduction à des principes mène forcément au mensonge.