de Paul Anel 30 juillet 2013
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Une chose est certaine, on ne peut accuser le Pape François de ne pas avoir le sens des réalités, ni d’ignorer les faiblesses de son Eglise. Il l’a clairement manifesté ces derniers jours lors de son voyage apostolique au Brésil, et en particulier dans son allocution aux évêques brésiliens. Répondant à une profonde inquiétude de l’Eglise catholique brésilienne, qui depuis des années voit ses effectifs diminuer de façon dramatique, le Pape François médite sur l’évangile des disciples d’Emmaüs et réfléchit sur les causes de ces défections et de la déception qui en est à l’origine.
CC BY Semilla Luz
« Peut-être l’Église est-elle apparue trop faible, peut-être trop éloignée de leurs besoins, peut-être trop pauvre pour répondre à leurs inquiétudes, peut-être trop froide dans ses contacts, peut-être trop autoréférentielle, peut-être prisonnière de ses langages rigides, peut-être le monde semble avoir fait de l’Église comme une survivance du passé, insuffisante pour les questions nouvelles ; peut-être l’Église avait-elle des réponses pour l’enfance de l’homme mais non pour son âge adulte. »[1] Si le Pape François invite les évêques, s’il nous invite tous à écouter ces critiques « avec courage », ce n’est pas par goût de l’autoflagellation, mais parce que les raisons de ces départs « contiennent déjà en elles-mêmes aussi les raisons d’un possible retour ». En tant qu’elles manifestent les attentes profondes du cœur de l’homme – attentes de réponses, de lumière et de tendresse –, ces critiques nous pressent de retrouver et de montrer l’authentique visage de l’Eglise.
Ce visage, c’est celui de Marie, à qui le Pape François a fait de nombreuses fois référence, notamment lors de sa visite du sanctuaire marial d’Aparecida. En Marie, « conçue sans le péché originel », se « reflète » la beauté de Dieu. La beauté de Marie, qui réside dans la perfection de sa vie de foi, d’espérance et d’amour, est le fondement et la clé de l’ecclésiologie développée par le Pape François au cours de son voyage. En soulignant que « Marie est plus importante que les évêques »[2], le Pape ne fait pas une concession à certaines revendications féministes, mais il affirme une prémisse essentielle de l’ecclésiologie catholique, en vertu de laquelle l’aspect qui est premier dans l’Eglise n’est pas la dimension institutionnelle mais bien la dimension mariale. L’Eglise est donc définie avant tout comme « Épouse, Mère, Servante »[3]. Lorsqu’elle s’éloigne de cette vocation première, l’Eglise « tombe dans le fonctionnalisme, […] et finit par être administratrice », cessant d’être épouse et devenant donc stérile, incapable d’engendrer. A la lumière des enseignements du Pape François, et suivant sa désormais fameuse méthode des « trois points », tâchons donc de voir ce que signifie et implique concrètement cette triple vocation de l’Eglise, appelée à être servante, mère et épouse.
L’Eglise est servante, ou pour le dire avec un autre terme, équivalent, qui a ponctué la totalité des discours du Pape lors de son voyage, elle est « missionnaire ». Il est beau de voir que pour le Pape la mission n’est pas un chapitre facultatif de la vie chrétienne ou un « plus » auquel accéderaient ceux qui ont par ailleurs atteint une maturité chrétienne suffisante. Au contraire, elle s’inscrit au fondement de l’identité chrétienne, de même qu’elle fonde l’être même de l’Eglise. Le chrétien, nous dit le Pape, est un « décentré » – en jouant sur les mots, on pourrait aller jusqu’à dire : un excentrique. « Le centre est Jésus Christ, qui convoque et envoie. Le disciple est envoyé aux périphéries existentielles. »
Cette image de la périphérie, si chère au cœur du Pape François, nous rappelle que son premier souci, comme pasteur universel, est celui de la brebis perdue, loin de l’enclos. Et son désir le plus urgent est de nous faire entrer dans son souci, afin que nos cœurs émus à l’unisson du sien se portent naturellement et promptement au secours de ceux qui souffrent. C’est avec une profonde douleur qu’il revient sans cesse sur la souffrance de nos contemporains : « La perte du sens de la vie, la désintégration personnelle, la perte de l’expérience d’appartenance à un "nid" quelconque, la violence subtile mais implacable, la rupture intérieure et la fracture dans les familles, la solitude et l’abandon, les divisions et l’incapacité d’aimer, de pardonner, de comprendre, le poison intérieur qui rend la vie un enfer, le besoin de tendresse parce qu’on se sent si incapables et malheureux, les tentatives ratées de trouver des réponses dans la drogue, dans l’alcool, dans le sexe devenus prisons supplémentaires… ». Et il conclut : « Le sens profond d’abandon et de solitude, de non-appartenance non plus à soi-même qui émerge souvent de cette situation est trop douloureux pour être passé sous silence. »
C’est à cette souffrance, qui frappe à chacune de nos portes avec des visages bien concrets, que doit constamment se mesurer l’Eglise. « Aujourd’hui, il faut une Église en mesure de tenir compagnie, d’aller au-delà de la simple écoute ; une Église qui accompagne le chemin en se mettant en chemin avec les personnes, une Église capable de déchiffrer la nuit contenue dans la fuite de tant de frères et sœurs de Jérusalem… Je voudrais que nous nous demandions tous aujourd’hui : sommes-nous encore une Église capable de réchauffer le cœur ? Une Église capable de reconduire à Jérusalem ? De réaccompagner à la maison ? »
L’Eglise est Mère. « Je voudrais rappeler que la « pastorale » n’est pas autre chose que l’exercice de la maternité de l’Église. Celle-ci engendre, allaite, fait grandir, corrige, alimente, conduit par la main… ». Seule une présence maternelle est apte à consoler, relever, et porter la brebis perdue. « Il faut une Église capable de redécouvrir les entrailles maternelles de la miséricorde. Sans la miséricorde il est difficile aujourd’hui de s’introduire dans un monde de « blessés » qui ont besoin de compréhension, de pardon, d’amour. » Le Pape nous met en garde contre la tentation cléricale des pastorales élaborées en salles de réunion, des pastorale « éloignées » qu’il décrit sans concessions comme des « pastorales disciplinaires qui privilégient les principes, les conduites, les procédures organisatrices… évidemment sans proximité, sans tendresse, sans caresse. On ignore la « révolution de la tendresse » que provoqua l’incarnation du Verbe ». Au cours de ces enseignements, le Pape a indiqué trois implications concrètes de cette « mission maternelle » : la proximité, le temps et la simplicité.
Que la mission de l’Eglise soit essentiellement maternelle implique qu’elle s’exerce avant tout dans le rapport d’affection concret qui naît entre deux personnes. Le Pape emploie à ce sujet l’image suggestive de la course de relais : « Il est décisif de rappeler qu’un héritage est comme le témoin, le bâton dans la course de relais : on ne le jette pas en l’air, celui qui réussit à la prendre, c’est bien, celui qui ne réussit pas tant pis. Pour transmettre l’héritage, il faut le remettre personnellement, toucher celui à qui on veut donner, transmettre, cet héritage ». Dans son discours aux évêques, le Pape François souligne que ce dont l’Eglise a le plus besoin actuellement, c’est de « ministres capables de réchauffer le cœur des gens, de marcher dans la nuit avec eux ». Autrement dit de ministres ayant un vrai cœur de mère, un cœur qui se penche sur la souffrance, qui se tient debout près de la croix. Un cœur qui écoute.
Un autre aspect de la mission maternelle : elle implique de savoir prendre le temps. Car il faut du temps pour entrer dans la souffrance d’une personne, pour y entrer comme Moïse, avec le respect de celui qui ôte ses sandales. Il faut du temps pour que la miséricorde se répande comme un baume qui lentement coule sur les plaies à vif, douloureuses. Il faut du temps pour que l’âme meurtrie accepte de se laisser aider et embrasser. Il faut du temps pour qu’elle se redresse. Il faut parfois des années pour que fleurisse une amitié libre et confiante. « L’Église sait-elle encore être lente : dans le temps, pour écouter ; dans la patience, pour recoudre et recomposer ? Ou bien l’Église est-elle désormais aussi emportée par la frénésie de l’efficacité ? Retrouvons, chers frères, le calme de savoir accorder le pas avec les possibilités des pèlerins, avec leurs rythmes de marche, la capacité d’être toujours plus proches, pour leur permettre d’ouvrir un passage dans le désenchantement qu’il y a dans leurs cœurs, de manière à pouvoir y entrer. Ils veulent oublier Jérusalem en laquelle se trouvent leurs sources, mais ils finiront par avoir soif. »
Enfin, cette mission maternelle requiert un cœur simple, qui ne s’encombre ni de trop de discours ni de trop de structures. C’est en regardant les pauvres, ou les pèlerins du sanctuaire d’Aparecida, que le Pape trouve un rappel émouvant de cette simplicité : « Les gens simples ont toujours un endroit pour faire loger le mystère. Nous avons peut-être réduit notre façon de parler du mystère à une explication rationnelle ; chez les gens, au contraire, le mystère entre par le cœur. Dans la maison des pauvres Dieu trouve toujours une place ». Comme il est important de se le rappeler : être chrétien est une chose simple, c’est un mouvement surnaturel qui a l’allure et la simplicité d’un mouvement naturel, qui jaillit spontanément du cœur. « Dieu demande d’être mis à l’abri dans la partie la plus chaude de nous-mêmes : le cœur. » Quand le christianisme s’éloigne du cœur, il s’éloigne du Christ. Que notre foi garde toujours cette simplicité des paroles comme des gestes, cette simplicité qui laisse grande ouverte la porte à la rencontre et à l’amitié, qui sait reconnaître et admettre simplement que le roi est nu, quand il est effectivement nu, et « couvrir le mystère de la Vierge du pauvre manteau de la foi ».
L’Eglise est épouse. La maternité ne s’instaure pas par décret, pas plus qu’elle ne découle d’un acte de la volonté. L’Eglise, qui défend avec force cette vérité dans le domaine de la famille et de la bioéthique, oublie plus facilement qu’elle est aussi vraie et incontournable dans le domaine spirituel. Seule l’épouse est féconde. Marie est mère de l’Eglise parce qu’elle fut l’épouse toute entière donnée à son Seigneur, l’épouse qui s’offre et qui accueille. Le cléricalisme, qui par souci de facilité renonce aux exigences et aux douleurs de la maternité et met son espoir dans l’institution, abandonne la position de l’épouse et stérilise l’Eglise. Les tentations cléricales de donner la vie « in vitro » (dans le huis clos des salles de réunion) sont vouées à l’échec : on peut dans une certaine mesure contrôler la biologie, mais nul ne contrôle l’Esprit Saint. Seuls participent à l’acte d’engendrement de l’Eglise ceux et celles qui se tiennent en qualité d’épouse devant le Seigneur, et qui, à l’image de Marie, l’humble servante, suivent l’agneau partout où il va, jusqu’à la périphérie de Jérusalem, jusqu’au sommet du Golgotha, jusqu’au pied de la croix.
Lorsqu’elle participe de la mission de Marie, « épouse, mère et servante », l’Eglise participe aussi de sa beauté. Que l’Eglise est belle quand elle est épouse et mère ! Belle de la beauté même de Marie. Belle d’une beauté qui luit dans l’obscurité du monde comme un phare dans la nuit, d’une beauté qui attire à elle et console les cœurs tristes, déçus, désespérés. Laissons les derniers mots de cette courte méditation ecclésiologique au Pape François, qui évoque le geste des pécheurs d’Aparecida qui, il y a trois cents ans, découvrirent et hébergèrent chez eux l’image brisée d’une vierge noire sauvée des eaux. « Il y a beaucoup à apprendre de cette attitude des pêcheurs. Une Église qui fait de la place au mystère de Dieu ; une Église qui héberge en elle-même ce mystère, de façon qu’elle puisse fasciner les gens, les attirer. Seule la beauté de Dieu peut attirer. Le chemin de Dieu est le charme, l’attrait. Dieu se fait emmener chez nous. Il réveille dans l’homme le désir de le garder dans sa vie, dans sa maison, dans son cœur. Il réveille en nous le désir d’appeler les proches pour faire connaître sa beauté. La mission naît justement de cet attrait divin, de cet étonnement de la rencontre. Nous parlons de mission, d’Église missionnaire. Je pense aux pêcheurs qui appellent leurs proches pour voir le mystère de la Vierge. Sans la simplicité de leur attitude, notre mission est destinée à l’échec. »
[1] Remarque : sauf indication contraire, toutes les citations sont extraites de deux discours prononcés par le Pape lors de son voyage apostolique au Brésil : le discours adressé aux évêques le 28 Juillet, et celui prononcé pour les responsables du CELAM le 29 juillet.
[2] Discours aux journalistes dans l’avion, retour du Brésil.
[3] Ibid.
article merveilleux: merci Paul Anel!
Merci Paul pour cet article, et gloire à Dieu pour notre pape !
Merci Paul pour cette belle méditation. Je crois qu'il convient d'ajouter que le pape insiste beaucoup sur le fait que les prêtres doivent faire confiance à ceux qui les entourent, aux laïcs. Il parle trés souvent des "agents pastoraux", et il dénonce souvent la tentation de les cléricaliser en en faisant de simples auxiliaires du sacerdoce. Quel sens donnerais-tu à cette interrogation:
" Peut-être l’Église avait-elle des réponses pour l’enfance de l’homme mais non pour son âge adulte".
MERCI pour ce belle méditation. elle réjouit le coeur et encourage pour faire connaître et aimer l'Eglise du Seigneur, souverain Pasteur. rendons grâce à Dieu pour le pape François.
Superbe!