d'Anne-Laure Perret
Une histoire d'amour entre deux personnes ayant un handicap mental… On pourrait craindre les clichés, la caricature, la naïveté… Louise Archambault, réalisatrice du film québécois "Gabrielle", prix du public au festival de Namur, passe à travers toutes ces craintes en filmant au plus près ses personnages, ce qui se joue entre eux sans jamais parler ou penser à leur place, ni à la nôtre, mais en nous montrant une réalité : celle de l'amour tel qu'il traverse toutes les relations.
Gabrielle est une jeune fille avec un handicap mental. Elle vit dans une famille d'accueil avec d'autres personnes avec handicap, elle a un travail, un beau sourire et une passion : le chant. Elle a l'oreille absolue. Elle chante dans une chorale qui se prépare à chanter avec Robert Charlebois pour un concert de bienfaisance. Dans cette chorale, il y a aussi Martin, qui a lui aussi un travail, un beau sourire, une passion pour le chant… et un handicap mental. Il vit avec sa maman. Gabrielle et Martin ont un lien privilégié. On le voit tout de suite, au-delà des mots, à travers des regards, des sourires et une tendresse qui déborde…
En mettant les pieds dans la salle, nous spectateurs, nous connaissons le sujet du film : l'histoire d'amour entre Gabrielle et Martin. Et tout un tas de déclinaisons potentielles : comment vont réagir les familles ? Peuvent-ils vivre ensemble, avoir des relations sexuelles, des enfants ? Aucune de ces questions n'est occultée mais le film nous remet directement devent l'essentiel : il s'agit avant tout d'un film sur la relation. La relation entre deux personnes qui, avec leurs limites et leurs rêves, avec leurs fragilités et leurs désirs, reconnaissent une correspondance. Avec beaucoup de justesse, nous voyons évoluer la relation de Gabrielle et Martin qui, avec simplicité, essaient d'aller au bout de ce qui leur est offert, sans complexes, dans de grands éclats de rire. Nous voyons bien sûr leurs limites, la soif d'autonomie de Gabrielle à laquelle la réalité se confronte, le débordement des émotions qui deviennent parfois ingérables.
Nous voyons aussi des visages de l'amour qui enferment : la relation entre Martin et sa maman mais aussi entre Gabrielle et sa sœur Sophie. Etre responsable d'un autre, cela ne peut fonctionner que dans la réciprocité. La maman de Martin est appelée à faire un pas de confiance, à regarder le bonheur de son fils au-delà de ce qu'elle même avait imaginé. Sophie prend peu à peu conscience que la relation fusionnelle qu'elle entretient avec sa sœur lui sert peut-être avant tout à se protéger elle-même. La maman de Gabrielle, elle, semble découvrir progressivement l'authenticité du lien, non pas tel qu'il doit être, mais tel que sa fille en a besoin….
Jamais le film n'essaie de faire une morale, de nous dicter une "bonne manière de penser" : il se veut réaliste avant d'être politiquement correct. Aucun personnage n'est jugé. La question n'est pas tant de montrer ce qui peut empêcher Gabrielle et Martin de vivre leur amour que de montrer ce qui se passe entre tous les acteurs et qui permet à chacun d'avancer. La joie qui déborde à la fin du film n'est pas juste un happy end tout fait mais le fruit d'un chemin partagé. C'est bien parce qu'on a cheminé avec eux qu'on partage cette joie ! Nous nous retrouvons tous dans cet "ordinaire" [1] que chante Martin si intensément tout au long du film…
Ce film oscille entre le documentaire et la fiction, certains pourront peut-être être gênés de ne pas toujours savoir de quel côté ça penche. Mais tout est filmé avec tant de justesse et de délicatesse qu'il s'agit juste de se laisser saisir et d'accompagner ces personnages dans leur vies. On repart avec une douce lumière dans le cœur, en se demandant si nous-mêmes, entre nos fragilités et nos désirs, nous savons toujours accueillir simplement l'amour que nous recevons, écouter, nous confronter, espérer, pour vivre les choses plus profondément…
[1] Ordinaire – paroles et musique Robert Charlebois (1973)
Merci Anne-Laure pour ton article qui nous a fait connaître ce film et grâce auquel nous sommes allés le voir avec Carine. C'est un très beau film, révélateur de beauté : beauté des personnes handicapées, des personnages des mères de Gabrielle et Martin, de la soeur de Gabrielle, des éducateurs.
C'est une séance de cinéma dont on ressort avec le coeur dilaté.
A consommer sans modération !!