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Le risque entreprenarial et industriel

de Jacques Bagnoud         18 mai 2011

Discussion avec Daniel Standley, directeur financier de branche d’un groupe industriel.

1. Quel regard portez vous sur la crise japonaise et les exigences actuelles pour « sortir du nucléaire » ?

Pour l’instant, il n’y a pas d’alternative réaliste au nucléaire, le nucléaire est obligatoire aujourd’hui, non seulement en France mais partout, car il n’y a aucune technologie susceptible de fournir l’énergie nécessaire aux besoins de toute l'humanité. La seule alternative actuelle au nucléaire passe par une utilisation à outrance du charbon pour répondre aux besoins des pays émergents, ce qui pose des problèmes écologiques insolubles au niveau de l’émission de CO2. Si le charbon représente 40% de l’énergie mondiale, toutes les énergies renouvelables n’arrivent pas à couvrir 3% des besoins électriques.

Le Japon n’a certes pas respecté les critères de sécurité, puisque les centrales étaient construites sur des zones séismiques où l'on pouvait craindre des secousses de plus de 7 sur l'échelle de Richter. Il s’agissait d’un sujet tabou et les autorités n’ont pas joué la transparence. Si le nucléaire comporte des risques liés à la gestion des déchets, les scientifiques sont optimistes car on peut imaginer que nous aurons la capacité de retraiter le matériel radioactif.

2. Quelles leçons tirez-vous de cette crise ?

Après le choc et l’émotion suscitée par ce drame, ce qui m’a choqué est la récupération médiatique de cette catastrophe pour servir des idéologies en vogue. En particulier, ce qui me frappe est que notre société a l’aversion du risque, on n’accepte pas ou plus que le risque fasse partie de la vie, on veut minimiser à tout prix le risque au point de l’éliminer. Aux USA, le système juridique permet de faire un procès chaque fois qu’il y a dommage. A travers un contrat d’assurance, on veut « externaliser » le risque. Au lieu de contrôler le risque, on veut le mettre sous terre, on veut exclure et ignorer le risque. Cela conduit à une déresponsabilisation progressive de l’individu qui doit être exempt de tout reproche. Dans le monde germanique, c’est la méthode de travail, le processus bien rodé qui doit éliminer le facteur « risque imprévu ». Le logiciel SAP est devenu un must car les gens ont plus confiance dans le processus que dans les personnes. Les employés ne voient plus leur utilité, ils sont des agents d’exécution dans un processus dont la finalité les dépasse. Le résultat est sans erreur car rien n’est laissé à l’homme, il n’y a rien de mauvais ou défectueux mais rien de génial ou de créatif.

3. Quelle est la place positive du risque dans la croissance de l’économie ?

Dans l’entreprenariat le risque est l’essence du capitalisme, c’est presque une dynamique hégélienne : j’accepte de me séparer de mon grain de blé et de l’enterrer avec l’espoir d’en récupérer cinquante ou cent fois plus. Le fait de se séparer de son grain, d’entreprendre, d’être créatif, de prendre des risques permet à l’homme d’exprimer son talent et son génie. Dans le système capitaliste, plus le risque est grand plus le gain est élevé. L’aversion du risque tue l’audace créatrice de l’entreprenariat.

4. Quelle est la valeur de l’imprévisible dans l’édification de l’homme de société ou du businessman ?

Pour moi la notion de risque est très noble, le premier risque à l’origine de la banque est la lettre de créance. Cette façon de s’unir pour partager et assumer les risques est à l’origine de l’économie capitaliste. La partie « noble » du système bancaire est de permettre aux entrepreneurs et aux créateurs de réaliser des projets et d’en assumer les risques, ce que l’on retrouve aujourd’hui dans la banque de type micro-crédit. C’est une prise de risque commune dans l’espérance de créer de l’argent, des emplois, de construire quelque chose, une idée prend forme.

5. Comment le risque humanise l’homme et l’humanité ?

Le mot risque a une connotation négative en français, il vaut mieux parler d’opportunité. Une composante enrichissante du risque est de rendre responsable. Ce n’est pas tous les jours qu’on gère un risque, le risque fait se poser des questions. J’ai une opportunité, pourquoi je fais tel choix, pourquoi choisir tel investissement plutôt qu’un autre, quels sont mes critères, quel est mon objectif.

Dans la gestion de l’aspect négatif du risque, du dommage possible, comme celui de la centrale nucléaire de Fukushima, il faut accepter un certain risque lorsqu’il est proportionnel au besoin de la société et de l’humanité.

Photo CC Gego205

 

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1 Commentaire

  1. Pierre-Antoine

    Tout l'enjeu des procédures de gestion des risques est là : préserver l'intégrité des personnes et des biens sans entraver la marche quotidienne de l'entreprise en cherchant à annuler la part de risque qu'elle implique.
    Je trouve que la gestion des risques, bien menée, permet justement de responsabiliser davantage les salariés : ils peuvent découvrir que leur travail a des enjeux pour l'entreprise qu'ils ne soupçonnaient pas (et donc requiert leur implication totale), les encadrants prennent la pleine mesure de leur rôle de "cadre" (garants de la sécurité des biens de l'entreprise mais aussi des personnes)…c'est une grille de lecture qui peut redonner sa place à chacun.
    A condition de ne pas faire du principe de précaution son idole…

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