Dans une interview réalisée pour les revues culturelles jésuites, au cours de six heures d’entretien, que son interlocuteur qualifiera de « conversation », le Pape François répond à différentes questions et nous permet ainsi de mieux le connaître comme personne. En voici quelques « miettes ».
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A la lecture de ces lignes, ce qui marque particulièrement, c’est le mot « miséricorde » qui revient comme un leitmotiv.
Qu’il s’agisse de se définir lui-même : « Ma devise, Miserando atque eligendo, je l’ai toujours ressentie comme profondément vraie pour moi [1]. Le gérondif latin miserando me semble intraduisible tant en italien qu’en espagnol. Il me plaît de le traduire avec un autre gérondif qui n’existe pas : misericordiando (en faisant miséricorde). »
Quand il évoque son élection : « C’est ce que je suis : un pécheur sur lequel le Seigneur a posé les yeux. C’est ce que j’ai dit quand on m’a demandé si j’acceptais mon élection au Pontificat : “Peccator sum, sed super misericordia et infinita patientia Domini nostri Jesu Christi confisus et in spiritu penitentiae accepto (je suis pécheur, mais par la miséricorde et l’infinie patience de Notre Seigneur Jésus Christ, je suis confiant et j’accepte en esprit de pénitence).” »
Quand il souligne la manière dont l’Eglise, dans ses ministres, doit s’approcher des personnes : « Les ministres de l’Eglise doivent être miséricordieux, prendre soin des personnes, les accompagner comme le bon Samaritain qui lave et relève son prochain. (…) Les ministres de l’Eglise doivent être des personnes capables de réchauffer le cœur des personnes, de dialoguer et cheminer avec elles, de descendre dans leur nuit, dans leur obscurité, sans se perdre. »
Parler de la miséricorde, c’est rappeler que le cœur de l’Evangile, c’est l’annonce du Salut. Pour le Pape François, c’est cette annonce qu’il faut privilégier avant tout, le reste venant comme un corollaire : « L’annonce de type missionnaire se concentre sur l’essentiel, sur le nécessaire, qui est aussi ce qui passionne et attire le plus, ce qui rend le cœur tout brûlant, comme l’eurent les disciples d’Emmaüs. » « Une belle homélie, une vraie homélie doit commencer avec la première annonce, avec l’annonce du salut. Il n’y a rien de plus solide, de plus profond et sûr que cette annonce. Ensuite il faut faire une catéchèse, en tirer une conséquence morale. »
C’est donc dans un rapport personnel avec le Christ que tout se joue.
Un autre aspect ressort de cette interview, c’est l’amour du Pape pour l’art, les artistes. A plusieurs reprises, il puise dans l’art un exemple pour illustrer ses paroles et apporter ainsi une nuance nouvelle à ses propos. On le voit quand il parle de l’espérance : « Je n’aime pas utiliser le mot « optimiste » parce qu’il décrit une attitude psychologique. Je préfère le mot « espérance » (…). Les Pères ont continué à cheminer à travers de grandes difficultés. Et l’espérance ne trompe pas, comme nous lisons dans la Lettre aux Romains. Pense plutôt à la première devinette du Turandot de Puccini [2]. ».
Quand son interlocuteur l’interroge sur ses préférences artistiques, lui rappelant qu’il avait dit en 2006 que les grands artistes savent présenter en beauté la réalité tragique et douloureuse de la vie, il cite d’abord des auteurs – Dostoïevski et Hölderlin -, puis des peintres – Le Caravage, Chagall -, des musiciens – Mozart, Beethoven, Bach, Wagner -, quelques films enfin. Il synthétise ainsi ses goûts artistiques : « De manière générale, j’aime les artistes tragiques, particulièrement les plus classiques. »
Evoquant l’un ou l’autre artiste, le Pape en quelques mots, nous fait comprendre que l’art est pour lui un moyen privilégié pour entrer dans le Mystère, approcher Dieu : « L’Et incarnatus est de la Messe en Do de Mozart est indépassable. Il te conduit à Dieu ! J’aime Mozart interprété par Clara Haskil. Il me comble : je ne peux pas le penser, je dois l’entendre. »
Professeur de lettres, il a cherché à éveiller chez ses élèves le goût de la littérature et de la poésie, prenant pour cela parfois quelques libertés avec le programme officiel et partant de leurs attirances ou préférences pour les éduquer. Il les a fait écrire, persuadé que la créativité « c’est extrêmement important ».
Enfin, ne pouvant tout dire, un autre point à souligner pourrait être la façon dont le Pape évoque saint Ignace. S’il a choisi d’être jésuite, c’est parce qu’il voulait « quelque chose de plus » et qu’il a été attiré par trois choses qu’offrait la Compagnie de Jésus : « le caractère missionnaire, la communauté et la discipline ». Il insiste particulièrement sur la compagnie : « sans la présence des autres, je ne peux pas vivre. J’ai besoin de vivre ma vie avec les autres ». Cette compagnie, il semble l’avoir trouvée chez saint Ignace d’abord. Quand il en parle, c’est comme d’un ami dont la présence façonne et marque sa vie : « Ignace est un mystique, pas un ascète », un ami qu’il s’efforce de suivre et dont il scrute l’intention, un ami par lequel il s’est laissé relever parfois. Quand il parle de la Compagnie en effet, il cherche toujours à revenir à ce que son fondateur a voulu pour elle, à l’intuition initiale, même sans le nommer explicitement. Il s’attarde notamment longuement sur la façon dont « le discernement » qui a tant « travaillé intérieurement Saint Ignace » l’aide à vivre son ministère. Jésuite, c’est toute se personne qui est marquée par ce que saint Ignace a voulu insuffler à sa communauté et qu’il essaie de vivre dans le quotidien, jusque dans sa façon de prier : « La prière est toujours pour moi une prière « mémorieuse » (memoriosa), pleine de mémoire, de souvenirs, la mémoire de mon histoire ou de ce que le Seigneur a fait dans son Eglise ou dans une paroisse particulière. C’est la mémoire dont saint Ignace parle dans la Première semaine des Exercices spirituels lors de la rencontre miséricordieuse du Christ Crucifié. »
Interview dans son intégralité : http://newsletter.revue-etudes.com/TU_Septembre_2013/TU10-13.pdf
[1] La devise du pape François est tirée des homélies de saint Bède le Vénérable, qui, commentant l’épisode évangélique de la vocation de saint Matthieu, écrit : « Jésus vit un publicain et, le regardant avec amour et le choisissant, lui dit : Suis-moi. »
[2] « Dans la nuit sombre / Vole un fantôme iridescent. / Il s’élève et ouvre les ailes / Sur l’humanité noire, infinie ; / Chacun l’invoque / Et chacun l’implore ! / Mais le fantôme disparaît avec l’aurore / Pour renaître au cœur ! / Et chaque nuit il naît, / Et chaque jour il meurt ! » « L’espérance chrétienne, commente le Pape, n’est pas un fantôme et elle ne trompe pas. »