Alejandro Valdes est un universitaire impliqué dans le monde politique depuis des années et qui a travaillé récemment comme consultant et analyste pour le service diplomatique de consulats étrangers. Il a accepté de répondre à nos questions sur la réélection de Michelle Bachelet comme présidente du Chili.
CC BY Alex Proimos
Quel bilan dressez-vous du premier mandat présidentiel de Michelle Bachelet ?
Ce bilan a besoin d’être nuancé car elle a incontestablement permis certaines avancées mais elle a laissé la présidence avec certaines dettes de poids. Dans le domaine social, elle a obtenu la gratuité de certaines prestations médicales pour les personnes de plus de soixante ans, une augmentation de la prise en charge pour de nombreuses maladies, plus de centres médicaux publics, sans oublier l’apparition du critère de parité homme/femme dans le gouvernement (ce qui fut une nouveauté totale pour le Chili). En revanche, elle n’a pas réussi à mettre en place le vote volontaire, ni à changer le système électoral, ni, finalement, la structure du système éducatif, qui furent autant de promesses électorales non tenues. Il faut ajouter à cela l’entrée en scène de mouvements sociaux durant son mandat, qu’elle a su gérer en mettant en place des commissions d’experts offrant ainsi une sortie de ces conflits non institutionnelle.
Pourquoi s’est-elle représentée ?
Le fait d’avoir obtenu 84% d’approbation a la fin de son gouvernement (elle avait commencé avec 65% [1]) est peut-être une raison suffisante pour comprendre son retour, mais à la fois l’inexistence de leadership au sein des partis politiques, appartenant ou non à sa coalition, a laissé place à un vide que la figure de Bachelet a su combler (la droite a choisi trois candidats successifs cinq mois avant les élections).
Par ailleurs, elle a su reconnaître l’émergence durant les quatre dernières années de plusieurs mouvements sociaux dans différents secteurs de la société, auxquels elle aspire à répondre.
Sur quels critères a-t-elle été réélue ?
La raison principale de sa réélection fut le manque de véritables adversaires : ces derniers étant très probablement inhibés par les chiffres des sondages de Bachelet, lui donnant une très large victoire avant même qu’elle ne se présente officiellement.
Le gouvernement actuel qui possède pourtant à son compte d’excellents indices économiques (plein emploi, croissance supérieure à 7%) n’a jamais su dépasser les 40 % d’approbation dans les sondages et ceci en raison de son incapacité à gérer les conflits sociaux avec les régions, les écologistes et les étudiants.
Nous pouvons ajouter que Bachelet a su rejoindre les Chiliens sur un registre affectif en tenant un discours émouvant lors de la célébration des quarante ans du coup d’Etat de la junte militaire. Elle a su utiliser sa carte de fille d’un général de l’armée de l’air qui fut fidèle à Allende et tué en prison par le régime militaire ; elle-même fut victime de la torture et de l’exil [2].
Quel est son programme pour les quatre prochaines années au Chili ?
Le mot phare de son programme est le changement : et elle a promis qu’ils seront nombreux engendrant ainsi beaucoup d’incertitudes vis-à-vis du prochain gouvernement [3].
Les plus importants et ceux qui suscitent le plus de discussions sont l’augmentation des impôts en 2015 qui atteindront les 3% de notre PIB, la réforme totale du système d’investissements étrangers, les suppressions des avantages fiscaux pour les entreprises. Au niveau de l’éducation, elle s’engage à instaurer la gratuité dans 70 % du système universitaire, et un plus grand engagement du gouvernement vis à vis de l’enseignement primaire et secondaire. La mise en place d’une nouvelle constitution est aussi un élément clef de son programme même si la méthode de sa mise en place demeure peu claire. Enfin, elle a promis de légaliser l’avortement thérapeutique et de voter le mariage égalitaire (mariage homosexuel).
Plus personnellement, comment jugez-vous finalement cette réélection pour le Chili ?
Comme je le disais, les incertitudes sur le gouvernement de Bachelet sont très grandes et notamment avec la présence de revendications sociales désormais très ancrées dans la sphère publique. Dans ce contexte, la réélection de ce gouvernement est un pari : pouvoir mettre en place cette vague de changements attendus au niveau social tout en maintenant les caractérisitiques propres du pays qui lui ont permis d’être l’économie la plus stable de la région. Le problème, en fin de compte, est qu’il est attendu des hommes et des femmes politiques beaucoup plus que la politique elle-même peut vraiment offrir.
[1] Encuesta opinión Publica, Centro de Estudios Públicos, Septiembre-Octubre 2013, Santiago de Chile.
[2] http://www.elmostrador.cl/pais/2013/07/01/alberto-mayol-dice-que-alta-votacion-de-bachelet-escapa-del-ambito-politico-y-la-define-como-una-figura-cristologica/
[3] http://michellebachelet.cl/programa/
Merci pour cette analyse synthétique, objective et claire. Elle explique l'engouement pour la nouvelle présidente qui prendra ses fonctions en mars prochain. Elle rappelle aussi une évidence: on ne peut attendre des hommes et femmes politiques qu'ils soient des messies et qu'ils répondent à tout, prétention tentante, tant pour les élus que pour les électeurs.
Ce qui fait la force du Chili c'est le cuivre, mais aussi cette souplesse fiscale et cette santé des institutions (peu de corruption), qui permet aux entreprises d'avoir une base stable et sécurisée pour rayonner sur l'Amérique Latine. A n'en pas douter, l'essor économique en partie du à l'activité minière profite à tous. Dans les quartiers les plus pauvres, comme Playa Ancha, nombreux sont ceux qui partent temporairement dans le nord pour bénéficier de conditions salariales plus qu'avantageuses. L'absence soudaine de main d'oeuvre permet alors aux moins chanceux de trouver de bons emplois dans l'industrie de la construction, très active (beaucoup de nos amis de Valparaiso partent durant la semaine à Santiago pour travailler). C'est aussi la liberté de l'enseignement et de l'initiative, bien qu'un certain flou dans les régulations de l'Etat ont conduis a de graves irrégularités qui ont scandalisé la jenesse et ont tendu à faire ici où là de la mission éducative un bien de consomation soumis aux seules exigences du capitalisme.
Il est évident que le Chili a besoin d'une réforme sociale qui permettent aux plus pauvres de bénéficier de protéctions majeures tant au niveau de la santé (prochain dossier sufureux) que de l'éducation (extrêmement chère et inégale). Mais il ne faut pas oublier que ce qui se passe ici, c'est un décalage de plus en plus grand entre le niveau d'éducation d'une société, qui augmente du même coup son niveau d'exigence, et la capacité de cette même société à ofrir des débouchés en conséquence. C'est un critère organique qui demande du temps. Aucune réforme d'état ne pourra changer en un tournemain cette situation. Bachelet aura du fil social à retordre…
Par ailleurs, si la future présidente parait être pour beaucoup la personne adéquate pour remplir ce cahier des charges, on peut réellement s'inquiéter de l'emprise soudaine de l'Etat sur la vie des citoyen. En effet, ce qui manque, ce sont des organismes et des entreprises qui permettent que les multiples aides déjà possibles pour les citoyens puisse arriver à terme. Par exemple il a été lancé par le gouvernement actuel un concours récompensant et finançant les 100 premières idées de start up sociales (nationales ou étrangères) moyennant des cours dans les universités. On peut s'inquiéter alors de ce que l'Etat providence réduise la capacité des chiliens à faire face aux difficultés et rompre le cercle vertueux de son dynamisme en engluant le pays dans les méandres d'une administration coûteuse que les chiliens sont très capable de mettre en place…
Face aux risques de perte de confiance des entreprises, à la crise économique qui pointe déjà son muffle menaçant, la bienveillance maternelle de la présidente (la figure maternelle de Bachelet est considérée comme un fait et revendiquée presque explicitement dans sa campagne) ne suffira peut-être pas à colmater la brèche. Dés lors, il ne restera plus au gouvernement, pour légitimer son orientation, que de se rabattre sur les options touchant les moeurs: l'avortement et le mariage homosexuel.
Cependant, au Chili comme en Argentine, les Américains Latins ne sont pas les moutons de François Panurge: une loi n'est pas le premier référent des valeurs et de la formation des conscience (illusion de l'état français qui se croit le garant des âmes et l'ingénieur des consciences).
Etc.