La récente polémique sur l'enseignement de la théorie du genre à l'école a donné lieu à la rédaction d'un long article dépassionné et très intéressant d'Eric Deschavanne sur le site internet d'information Atlantico. En voici les principaux points.
CC BY-SA Marianna
Tout d'abord l'auteur évite de rentrer dans la polémique pro ou anti genre d'un point de vue idéologique. Il ne prend parti ni pour l'un ni pour l'autre des adversaires en présence, que cela soit ceux du premier groupe qui évoquent des arguments « culturels » (le genre est une construction liée à une culture donnée) ou les seconds qui leur répliquent avec des arguments « naturels » (le genre ne peut exister car il s'oppose à la nature). Pour lui, la théorie du genre n'est pas en soi « illégitime ». Ce qui est illégitime c'est son enseignement au sein de l'école : « Telle est la faute que l'on peut imputer à Vincent Peillon : avoir mis la main à une entreprise d'instrumentalisation idéologique de l’École qui porte atteinte à l'idéal républicain de laïcité [1] ». Pour notre auteur la laïcité, en effet, ne peut se limiter à une « neutralité religieuse » mais doit aussi s'étendre aussi aux querelles idéologiques.
La prétention « scientifique » de l'idéologie du genre
Ce que commence par récuser Eric Deschavanne c'est la prétention au titre de « science » des gender studies : « Les études de genre sont présentées comme des « savoirs scientifiques » par le texte de la convention interministérielle[2], chacun étant donc invité à se soumettre à l'autorité de la Science ».
Et c'est donc cette première prétention que notre journaliste veut remettre à sa place : « Or, on ne peut parler de science lorsque la pensée normative se mêle à la description du réel. Comment, en outre, pourrait on faire "scientifiquement" la juste part de l'inné, de l'acquis et de la liberté dans la production des différences qui distinguent les manières de vivre et de penser des hommes et des femmes ? »
Et la conclusion de tomber : « Les études sur le genre ne sont ni plus ni moins (et même plutôt moins) scientifiques que la marxisme ou la science économique libérale ».
Par conséquent : « en faire le fondement de programmes scolaires n'est pas admissible ». Le danger étant celui d'une dérive totalitaire : « présenter comme "scientifique" la vision de l'homme et de la société à laquelle on adhère est un des signes les plus sûrs auxquels se reconnaît la prétention hégémonique d'une idéologie ».
Conséquence : l'enseignement du genre ainsi légitimé sera présenté comme une lutte des « préjugés et des stéréotypes de genre ».
Notre journaliste commence par en chercher l'origine : « Qui véhicule ces préjugés et stéréotypes ? Tout le monde et son voisin ». Comme le dit la circulaire : « Les pratiques ordinaires dans la classe constituent des phénomènes souvent sexués, sans que les enseignements, l'ensemble des acteurs de l'éducation, les élèves et leurs familles en aient nécessairement conscience [3]». Même les professeurs sont atteints…
La lutte contre ces inégalités est donc une lutte contre « l'inconscient collectif ». Ses acteurs forment ainsi une avant garde éclairée qui vous intime de choisir votre camp. Ainsi il s'agit « soit de se placer du point de vue de la bonne conscience éclairée ou de rester un pauvre automate programmé par le méchant et anonyme "inconscient collectif". Selon le modèle promu par la psychanalyse, et en vertu du même ressort intellectuel (vous êtes le jouet de votre inconscient), la moindre réserve critique ou réticence à adhérer est interprétée comme "résistance", laquelle en l'espèce "prouve" non seulement votre aliénation mais aussi votre malfaisance (votre sexisme) ».
Le problème n'étant donc pas uniquement l'enseignement de la théorie du genre à l'école mais le terrorisme intellectuel qui diabolise tout non-partisan de cette idéologie.
La théorie du genre possède tous les traits de l'idéologie. Pour Eric Deschavanne l'idéologie prend les formes suivantes :
1. C'est une « immunisation contre le réel ». Alors que la vraie science soumet au réel ses hypothèses, l'idéologie « a réponse à tout », « trouvant toujours le moyen d'interpréter les faits qui viennent la contredire ». Ainsi si les garçons sont massivement présents dans les meilleures filières c'est en raison de leur héritage illégitime de préjugés favorables. S'ils constituent les plus gros bastions des élèves en situation d'échec scolaire « c'est qu'ils sont victimes des même stéréotypes ». Et l'auteur de conclure non sans humour : « Bon sang mais c'est bien sûr ! Comment ne pas adhérer à une source d'explication aussi lumineuse ?! »
2. L'idéologie se reconnaît aussi « à la démesure de ses ambitions ». Pour Vincent Peillon la mission de l'école c'est qu'elle « participe à modifier la division sexuée des rôles dans la société [4] ». En traduisant en termes idéologiques, selon Eric Deschavanne, cela donne que l'école « doit donc "déprogrammer-reprogrammer" la manière d'être et de penser des enfants en s'attaquant aux stéréotypes de préjugés ancrés dans l'inconscient collectif (et identifiés comme tels par l'avant-garde éclairée) ».
La nécessaire sanctuarisation idéologique de l'école.
L'école n'a plus comme objectif l'acquisition d'un savoir et des connaissances permettant l'égalité des chances mais doit agir « sur les représentations des élèves et les pratiques des acteurs de l'éducation ». Avec l'enseignement de la théorie du genre on est donc loin « du respect de la conscience de l'enfant » que promouvait Jules Ferry dans sa Lettre aux Instituteurs. Ici il est demandé aux enseignants « d'empiéter sauvagement sur son inconscient » comme le souligne notre journaliste.
Les finalités de l’École publique : « La transmission de la culture commune, des savoirs et des savoir-faire, sont et doivent rester incontestables et consensuelles ». La bonne condition de leur application c'est aussi « l'adhésion des parents à qui l'on sape l'autorité en suscitant leur méfiance ».
Ce qui ne peut donc être admis c'est « que les majorités successives s'emparent de l'école pour tenter d'imposer leur vision de la société ». Là réside une dérive de l'école hors de sa mission originelle. Dans ce cas-là on ne parle plus « d'éducation nationale » mais bien de « rééducation nationale ».
Conclusion : un combat pour le respect de la laïcité
L'auteur n'invite cependant pas à céder au pessimisme. Pour lui un tel projet « pourrait paraître totalitaire s'il n'était pas complètement dérisoire…(…) l'idée que l'on puisse changer les mœurs par décret, en contrariant l'influence de la famille et de la société, est illusoire. Mêmes les pouvoirs totalitaires n'y sont pas parvenus ». Et Eric Deschavanne de citer l'exemple des pays communistes et de leur échec à produire un homme nouveau par l'école[5].
Ce qui est très intéressant dans cet article c'est l'invitation de l'auteur à ne pas passionner un débat qui risque de rendre encore plus conflictuelle une société française déjà bien polarisée et sous tension (violence de certaines manifestations, de certains slogans, de certaines répressions policières). Il invite à ne pas contrer l'imposition d'une idéologie discutable par ce qui sera interprété comme la tentative d'imposition d'une autre idéologie. Lorsque deux camps se font ainsi face, le dialogue semble impossible et la violence toute proche. Contre la diffusion du genre dans les classes, les parents et la société ont le plein droit de refuser toute instrumentalisation idéologique de l'école qui la fait sortir de sa finalité première et de sa nécessaire neutralité. C'est sans doute d'abord sur la notion de laïcité (entendue comme neutralité idéologique) que le combat contre l'imposition des théories du genre pourra être efficace.
Pour lire l'article en entier :
http://www.atlantico.fr/decryptage/abcd-egalite-pouquoi-veritable-faute-vincent-peillon-est-pas-celle-que-on-croit-eric-deschavanne-976373.html#xA68wRssBIoR2r5h.99
Photo en page d'accueil : CC BY Peter17
[1] Toutes les citations ici, sauf mention contraire, sont tirées de l'article d'Eric Deschavanne « ABCD de l'égalité : pourquoi la véritable faute de Vincent Peillon n'est pas celle que l'on croit ».
[2] Convention interministérielle signée par Vincent Peillon le 7 février 2013
[3] Convention interministérielle du 7 février 2013
[4] Convention interministérielle du 7 février 2013
[5] On pourrait cependant objecter ici à notre auteur que sans réussir leur pari « éducatif » les idéologies totalitaires ont fait et font encore d'énormes dégâts dans la vie de millions d'hommes. Mais là nous entrons dans un autre débat.
L’école est confrontée aux représentations mentales des filles au moment des choix d’orientation. Elles restent minoritaires dans les sections scientifiques et techniques des lycées, majoritaires dans les sections littéraires et tertiaires. A résultat égal, les filles se jugent moins bonnes que les garçons en maths ou en physique. De ce fait, elles s’interdisent d’accéder à un grand nombre de professions. Cela explique des campagnes d’information montrant des filles dans des métiers jusque là très masculins, tels que le bâtiment , l’industrie ou la conduite de poids lourds. C’est cette nécessité qui a poussé au départ les pédagogues à réagir contre certaines représentations variables selon le « genre » (masculin ou féminin, comme on disait en grammaire) des élèves. Cela a pu s’étendre à d’autres représentations du même ordre. Mais de là à en conclure que l’on explique aux enfants qu’ils vont choisir eux-mêmes de se comporter en homme ou en femme, quel que soit leur sexe, il y a tout de même une marge.
Et si nous les filles, n'avions pas envie de constituer la moitié des effectifs des camionneurs, hein ?