Au cours ces derniers mois de lutte, de conflits, d'affrontements sanglants, la la présence des Eglises de rite orthodoxe a été particulièrement significative en Ukraine. La violence des affrontements a surpris beaucoup d'observateurs tant les valeurs qui distinguent l'Ukraine de ses voisins sont un fort sentiment de vulnérabilité et une grande bienveillance.
Dans le monde ukrainien il n'y a pas de source unique du pouvoir et de contrôle total. La cohabitation des différentes Eglises à Maïdan était très réelle. « Maïdan a fait plus pour l’Église que vingt ans d’indépendance », soulignait le père Michel Dymyd de l'Eglise gréco-catholique d'Ukraine. « Nous sommes ensemble quelle que soit la dénomination de notre Eglise. Il n’y pas de différence, nous prions tous ensemble et nous ressentons que nous sommes une Église de Dieu, et sur cette place une "Église de Kiev", qui malheureusement aujourd’hui dépend de diverses juridictions, entre Rome, Moscou et Constantinople, mais ici à Maïdan nous ne faisons qu’un. Je crois que cela portera de grands fruits pour nos relations dans le futur. Voilà c’est ça qu’a apporté Maïdan aux Eglises. »
A l'heure d'une menace de guerre en Crimée et où les médias et les réseaux-sociaux posent un focus démesuré sur les « pro-russes » et les « pro-européens » ou le risque de scission entre l'Est et l'Ouest, il est beau de constater non seulement le rôle déterminant des Eglises dans le processus de paix et de justice, mais également l'importance de parler d'une voix commune.
Cette voix commune s'est faite particulièrement entendre par le conseil pan-ukrainien des Églises et des organisations religieuses, présidé par le métropolite Onuphre (de l’Eglise orthodoxe ukrainienne, rattachée au patriarcat de Moscou). Une déclaration pertinente a été promulguée le 2 mars, le lendemain de l'autorisation donnée par la Chambre du Parlement russe au président Poutine pour le déploiement des troupes russes en Ukraine. Dans une déclaration commune, ce conseil appelle à un respect de l'intégrité territoriale de l'Ukraine et exhorte le gouvernement russe à renoncer à l'armée : « Les autorités russes sont conscientes de leur responsabilité devant Dieu et devant les hommes d'éventuelles conséquences irréparables des conflits armés sur le sol ukrainien. » Il rappelle aussi que le peuple ukrainien a une amitié, un sentiment fraternel envers le peuple russe et un désir de continuer à construire des relations fraternelles avec la Russie comme un État souverain et indépendant. Ce conseil reconnaît également les nouvelles autorités de l'état, le président de l'Ukraine Alexander Tourtchinov et les représentants du gouvernement.
Toutes les déclarations abondent dans le sens d'un respect de l'intégrité du territoire ukrainien, incluant la nécessité pour le peuple ukrainien, sans influence extérieure, de se déterminer sur son propre avenir afin que l'Ukraine ne soit pas utilisée dans un jeu politique international. Elles révèlent également une certaine liberté et indépendance de paroles par rapport aux Etats et au sein même des sièges métropolitains entre Kiev et Moscou. Selon la tradition orientale, l'Eglise donne plutôt la priorité aux relations avec l'Etat qu'avec la société civile. Mais les évènements de Maïdan ont poussé les églises à s'élever du statu quo qui a dominé leurs relations avec l'Etat et à s'engager auprès de la société sur les questions de justice et de dignité humaine, aujourd'hui sur les risques de séparatismes dans le Sud et l'Est du pays et sur l'intervention militaire russe.
Lettre du métropolite Onuphre à Volodymyr Poutine
« Sachant que vous êtes un chrétien orthodoxe, je vous demande d'arrêter la souffrance humaine, d'empêcher la séparation de l'Etat ukrainien et notre sainte Église. La rhétorique officielle aujourd'hui est loin d'être en mesure de rassurer le peuple de Dieu, vivant sur la péninsule et dans toutes les autres régions de l'Ukraine. Un mot imprudent peut conduire à des conséquences imprévisibles, et à Dieu ne plaise que cela se transforme en une catastrophe. Je vous invite en tant que gardien des lois de ce grand pays, de rester dans la voie de la séparation, afin d'éviter les effusions de sang fratricides des peuples provenant des mêmes fonts baptismaux du Dniepr. »
Lettre du Patriarche Kirill au métropolite Onuphre :
« Toute personne vivant aujourd'hui en Ukraine ne devrait pas se sentir comme un étranger dans sa propre maison, peu importe la langue qu'il parle. Nous ne pouvons pas permettre la poursuite de la polarisation de la société, l'accélération de la violence contre les civils. Il est nécessaire d'assurer la mise en œuvre des droits et libertés pour l'ensemble de la population, y compris le droit de participer à la prise de décisions cruciales. Ceux qui détiennent le pouvoir ont le devoir de prévenir toute violence et l'anarchie. Le peuple ukrainien doit, sans influence extérieure, se déterminer sur son propre avenir. »
Interview de l'archiprêtre Gregory Kovalenko de l’Eglise orthodoxe ukrainienne :
« Aujourd'hui, cette épreuve est très grave. Par conséquent, nous, en tant que croyants, nous devons nous rappeler que de nos paroles, de nos slogans, de notre prédication dépend la vie des personnes. Nous devons donc tout faire pour préserver la vie, préserver l'unité de notre peuple, préserver l'unité de notre pays et pour que le sang ne coule pas à nouveau. Il ne faut pas seulement le faire en tant que citoyen, en tant qu'homme, mais surtout en tant que croyant. Parce que si nous sommes croyants, si nous sommes avec le Christ, si le Christ est ressuscité, nous le suivons et pour protéger notre terre, mais sans violer le commandement contre ceux qui pensent et agissent différemment. »
Le début de la crise ukrainienne au mois de novembre avait coïncidé tout juste avec la commémoration du Holodomor (l'extermination par la faim), elle s'est poursuivie en crise internationale le dimanche même du grand Pardon qui inaugure le grand carême. Les ukrainiens font volontiers référence à la destinée du peuple d'Israël, pour comprendre le mystère de leur propre nation : nous sommes affligés mais nous nous tenons devant la gloire et la beauté du Royaume de Dieu. C'est un peuple qui prie, qui demande : la force de cette prière d'intercession, c'est que seul Dieu peut secourir son peuple de son affliction et prendre soin de son âme.
« A la fin de l'office, tous les fidèles s'approchent du prêtre et s'inclinent les uns envers les autres pour se demander mutuellement pardon. Et tandis que l'on accomplit ce rite de réconciliation, et que s'inaugure le Carême par ce mouvement d'amour, d'union et de fraternité, le chœur chante les chants de Pâques. Nous allons devoir errer 40 jours dans le désert du Carême. Mais au terme cependant, brille la lumière de Pâques, la lumière du Royaume. »