La récente nomination d'Alain Finkielkraut à l'Académie française a suscité de nombreuses réactions dont certaines très passionnées. Un fait est sûr : cet homme semble déranger. Pour certains, cette nomination est une victoire de la pensée libre, pour d'autres un encouragement donné à des idées qui ont été qualifiées d'extrême droite. Le plus simple pour y voir clair c'est peut-être simplement de lui laisser la parole et d'essayer de comprendre son dernier livre, « L'identité malheureuse », essai qui touche un sujet aujourd'hui brûlant : celui de l'identité française.
CC BY Claude TRUONG-NGOC
Revenant, en introduction, sur sa jeunesse soixante-huitarde, Alain Finkielkraut constate que « la société conflictuelle sous laquelle nous évoluions était encore, à son insu, une nation homogène » [1]. Il s'agissait de changer, de « changer la vie » au sein d'une société qui partageait une certaine unité culturelle. La cohabitation sur un même territoire de personnes venues d'un horizon tout autre va bouleverser cette donne.
Le vertige de la désidentification
A l’origine de l’égalité républicaine, Alain Finkielkraut voit le désir de l’homme révolutionnaire de « tout détruire afin de pouvoir tout recréer ». Il s’agit depuis 1789 de créer enfin une société d’hommes « sans distinction ». La négation de toute appartenance et de toute filiation est la caractéristique de cet homme nouveau que la Révolution voulait produire. Exit l’homme « issu d’une source qui le précède et le transcende ».
La revendication d’égalité porte donc un premier coup fatal au concept d’identité.
Le second coup semble porté par l’histoire et ses guerres : guerres dites de religion mais aussi les guerres mondiales et les guerres coloniales. Au sortir du XXe siècle l’Europe semble avoir honte de son identité. Si bien qu'aujourd'hui, pour certaines personnes, l’identité de l’Europe est tout simplement le cosmopolitisme (Ulrich Beck). Notre auteur résume ainsi cette pensée : « Autrement dit le propre de l’Europe est de ne pas avoir de propre. Elle ne se reconnaît pas dans l’histoire dont elle est issue, son origine n’a rien à voir avec sa destination, sa destination consiste à se démettre de son origine, à rompre avec elle-même ».
Jean-Marc Ferry dira de son côté que l’identité européenne c’est ainsi « la disposition à s’ouvrir à d’autres identités ».
Une telle position ne peut que conduire à un refus catégorique d’appartenance en raison du « appartenir c’est exclure ». Et c’est l’exclusion qui est source de la violence. Pour avoir la paix mieux vaut ne revendiquer aucune identité. Appliqué à la religion, un tel principe a pour conséquence qu’il ne s’agit donc plus de « convertir » qui que ce soit mais bien de reconnaître l’autre et de valoriser sa culture. Appliqué à la politique migratoire, il s’agira donc de ne plus voir l’immigration de peuplement comme une menace mais comme « la chance d’une rédemption » d’une Europe qui réparerait ainsi les péchés de l’époque coloniale. Appliqué au débat politique cela entraînera la négation du droit de parler du thème de l’identité, comme l’ont montré l’actualité récente et le boycott du débat sur l’identité qu’avait voulu lancer le gouvernement en novembre 2009 ainsi que le torpillage du projet de la Maison de l'Histoire de France.
Au général de Gaulle qui disait : « Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne » [2], Eric Besson opposera le 5 janvier 2010 une nouvelle vision de la France : « La France n’est ni un peuple, ni une langue, ni un territoire, ni une religion, c’est un conglomérat de peuples qui veulent vivre ensemble. Il n’y a pas de Français de souche, il n’y a qu’une France de métissage. » [3] D’où la nouvelle mission confiée à l’école : permettre le « vivre ensemble ». D’où aussi l’anathème lancé sur le mot « Français de souche », désormais déclaré imprononçable car menaçant la fragile construction de ce vivre ensemble.
Et ainsi s’instaure pour notre auteur un nouveau paradoxe : « L’enracinement des uns est tenu pour suspect et leur orgueil généalogique pour « nauséabond », tandis que les autres sont invités à célébrer leur provenance et à cultiver leur altérité ». Affirmer l’identité française deviendrait source potentielle de violence alors que les autres nations présentes sur le sol français sont paradoxalement conviées à être fières de leur appartenance et de leur coutume : « Sous le prisme du romantisme pour autrui, la nouvelle norme sociale de la diversité dessine une France où l’origine n’a droit de cité qu’à la condition d’être exotique et où une seule identité est frappée d’irréalité : l’identité nationale. »
La leçon de Claude Lévi-Strauss
En 1952, Claude Lévi-Strauss dans une conférence dénommée « Race et culture » disait en substance que les civilisations appellent « barbares » celles qui lui sont différentes. Sa conclusion était qu'aucune ne peut se targuer d’une quelconque supériorité sur les autres. Bref, la vie de l’humanité se développe sous des sociétés diversifiées.
Mais 20 ans plus tard une autre conférence semblera prendre le contre-pied de la première : « Personne n’est coupable de ne pas éprouver d’attirance pour un genre de vie dont il est traditionnellement éloigné », dira Lévi-Strauss. Bref, excommunier le passé ce n’est pas s’ouvrir à l’avenir. Le « tout mélange » ne produit qu’un océan d’indifférenciation.
Ce à quoi Claude Lévi-Strauss incite les Européens c'est « à revoir leurs prétentions à la baisse » mais sans pour autant renoncer à ce qui nous fonde. L’abandon de la grande ambition des Lumières qui était de donner au monde entier notre visage ne doit pas pour autant conduire à l’effacement de ce visage. Aussi, si la bonne conscience a appris ses limites, en même temps il s'agit de refuser de céder à la mauvaise conscience. Nous savons désormais que notre héritage ne fait pas de nous des êtres supérieurs et pour autant nous ne désirons pas le jeter avec l’eau du bain. « Pour ne pas reconduire les horreurs du passé et pour relever le défi contemporain du vivre ensemble, on voudrait aujourd’hui effacer la proposition identitaire. Lévi-Strauss nous enseigne, à l’inverse, qu’elle doit être maintenue et transmise sans honte. »
Un des moteurs actuels de la perte d'identité : l'éducation nationale.
L’identité nationale est fragile car ce n’est pas juste un héritage, c’est aussi un choix. Nous sommes libres de prendre ou de laisser ce qui nous a été transmis. « Pendant longtemps en France on a eu le désir de "connaître ses classiques" pour la formation intellectuelle. Aujourd’hui ce type de connaissance est remis en cause car jugé trop élitiste. » La culture est accusée d’être au service de la séparation des classes. Son « culte » n’est que volonté de mettre à part le peuple par rapport à une élite bourgeoise. Les nouvelles élites aujourd’hui sont sur-connectées, surbookées mais se sont délestées de l’héritage des siècles.
L’évolution de la langue aujourd’hui est au service de cette « égalité » : Racine et Corneille descendent de leur piédestal car dit-on « toutes les formulations se valent ». « Pour la langue aujourd’hui légiférer c’est légaliser le fait accompli. Il se s’agit plus d’indiquer la marche à suivre mais d’accompagner le mouvement. A ceux qui questionnent la valeur du changement, l’on répond que la valeur réside dans le changement lui-même. L’idéal n’est jamais bafoué car l’idéal c’est le processus lui-même. »
Les études classiques survivent mais deviennent coupées du peuple, ne sont plus insufflées dans le corps d’un peuple. La langue n’est plus vue que sous son angle « fonctionnaliste », comme promotion du message ou de l’information. On assiste donc à la mise au placard de la littérature jugée comme inutile et ce, au profit du règne de l’uniformité. Dans le langage courant cela se traduit donc par un abandon de la forme : seul compte le message. Dans le discours on louera donc ceux qui parlent « cru », le vulgaire sera qualifié « d’authentique », de parler vrai. L’homme vrai est aussi celui qui dénonce les tabous, les faux semblants : « Il se réalise en se désinhibant ».
Une des conséquences de cela c'est la fin de la culture générale, des épreuves de culture générale vues comme discrimination par rapport à ceux qui n’ont pas hérité du même milieu familial. Sciences-Po a fait la même chose : « La culture générale favorise les favorisés, les nationaux au détriment des minorités ethniques ». Pour faire droit à la diversité on efface donc l’héritage français.
La dictature du politiquement correct
Alain Finkielkraut donne une définition du « politiquement correct ». Pour lui « c’est le conformisme idéologique de notre temps ». Tocqueville a montré que c’était un des risques de la démocratie, que le droit de tous à la parole produise du conformisme. Toute autorité est suspecte sauf celle de l’opinion. « L’individu démocratique pense donc comme tout le monde tout en croyant penser par lui-même. »
Un homme politiquement correct est un enfant du « plus jamais ça ! » (Colonisations, guerres mondiales, Shoah…) et s’assigne comme mission de juguler les passions criminelles. Le passé le hante et doit aujourd’hui hanter l’intelligence de chacun. Mais notre auteur s'interroge : « Reste à savoir si le prix à payer pour la fidélité à l’idéal doit être l’abrogation du monde réel ». « Le juste reste-il juste une fois délié du Vrai ? » « Qu’y a-t-il de vertueux dans une morale qui ne s’astreint plus au devoir de clairvoyance ? » Peut-on sans cesse continuer à vivre retranché dans des certitudes que rien ne vient ébranler et ce, en accusant la détestation de l’étranger, le chômage ou la lutte des classes comme les causes des fractures de nos sociétés ?
Le risque de généralisation stigmatisante ne saurait faire l’économie de la vérité. On peut sortir du dilemme : négation du réel / danger de stigmatisation. Il y a un vrai danger de mettre le racisme à toutes les sauces. C'est le problème de « ceux qui se sont donnés pour mission "d’ouvrir les yeux" pour remédier à la cécité de leurs pères et cherchent à inventer une civilisation où Auschwitz ne pourra plus jamais se reproduire. » Mais attention, comme le disait Valéry : « Le présent est l’état même des choses en tant qu’il ne s’est jamais présenté jusque-là. »
Les Grecs nous avaient laissé la vertu de l’aidos, de la modestie, de l’effacement de soi devant un plus grand. Les Juifs eux nous ont laissé la crainte comme début de la sagesse. Les livres dits « classiques » nous disaient que l’admiration était à la base de la connaissance : « Serai-je à la hauteur de ce livre ? », était la question de tout écolier devant un classique. Ce qui est oublié : les formes (politesse, bien s’habiller…) relèvent aussi du souci d’autrui et de son respect : « Saluer c’est prendre acte de l’existence de l’autre en atténuant la sienne ». Le manquement aujourd’hui : ne plus enseigner l’attention.
L’ancienne éducation voulait former des enfants « bien élevés », voulait que l’enfant se considère comme « un parmi d’autres ». Aujourd’hui ce qui est désiré, c'est des enfants « épanouis ». Pour atteindre ce but les anciennes hiérarchies volent en éclats : plus de distinction entre loisir et culture, entre art et divertissement, entre vie de la pensée et hébétude. Ces distinctions sont jugées élitistes et donc inacceptables. Il y a comme un refus de faire le tri, de se préoccuper de la baisse de lecture de livre ou de fréquentation de musique classique. Contre la cruauté des discriminations, un homme politiquement correct brandit l’étendard de la reconnaissance universelle. Philippe Muray parlera de l'« âge du fier », incarnation moderne d’un désir en nous inné de reconnaissance. Il pourra s’incarner par une reconnaissance d’une spécificité culturelle comme de celle d’une souffrance passée ou présente. Le problème : elle peut devenir violente et finalement desservir la cause qu’elle prétend défendre.
Conclusion d'Alain Finkielkraut
Il y a une incontestable crise du vivre ensemble aujourd’hui. La difficulté réside dans le fait que les causes refusent d’être étudiées. Comment s’inquiéter de la montée de la violence et en même temps rejeter « l’aidos » ? Comment prôner la paix tout en promouvant la haine ? Comment lutter contre les inégalités tout en continuant à dire que « tout se vaut » ? Tout n’est pas perdu mais il y a un sérieux travail.
Conclusion sur ce livre
C'est incontestablement un livre à lire et à relire. Un gros travail est fait pour comprendre les maux de notre temps et pour en rechercher les causes de façon objective. A aucun moment l'auteur apparaît comme partial ou injuste. On peut même être un peu agacé parfois des formes qu'il prend pour dénoncer une hypocrisie ou une erreur de notre époque. C'est peut-être un des défauts de ce livre : il se contente trop souvent de décrire la réalité et se refuse à prendre parti, à dire « je » ou « cela ne peut être acceptable ». Dans un sens Alain Finkielkraut semble lui-même victime du piège dont il se défend.
On peut aussi reprocher au futur académicien un certain oubli de la culture chrétienne comme étant à la racine de l'identité française. Les Grecs et les Juifs sont cités mais quid du christianisme qui a non seulement façonné notre pays mais aussi l'Europe entière ?
Néanmoins il fait faire à la pensée libre un grand pas en avant et donne de solides coups de boutoir à une idéologie étouffante et totalitaire. Parce qu'il nous fait respirer un air moins pollué, on ne peut que le remercier et lui souhaiter un fructueux travail sous la Coupole.
[1] Toute les citations de cet article sont tirées de ce livre.
[2] Charles de Gaulle cité dans Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle I, Edition de Fallois/Fayard, 1994. Op,cité page 106.
[3] Discours à la Courneuve d’Eric Besson, ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire.
Merci pour cette analyse d’une pensée complexe. On ne peut comprendre ce livre que si on le relie à l’histoire personnelle de son auteur: fils d’un artisan polonais, juif et immigré, Alain Finkielkraut est un modèle d’intégration réussie. Il a donc du mal à comprendre pourquoi l’effort qu’il s’est imposé à lui-même , avec l’aide de l’école, n’est plus réalisable aujourd’hui par de nombreuses personnes issues de l’immigration. Personnellement, je lui suis reconnaissant de souligner que toute nouveauté , aussitôt proclamée « moderne », n’est pas forcément bonne: ainsi a-t-il jugé que les critiques faites contre le « mariage pour tous » pouvaient être légitimes.
Très intéressant article, qui donne envie de lire le bouquin lui-même, que je n’ai pas lu mais j’ai vu par contre plusieurs entretiens TV avec l’auteur, qui donnent une bonne idée du contenu de « L’identité malheureuse ».
L’article de P. Arnaud traduit bien l’idée centrale de l’auteur, à savoir son regret de constater que l’identité française, complexe, en évolution permanente, est refusée a priori, par la plupart de ceux qui se disent « modernes ».
Ce que dénonce A.F., c’est un certaine peur d’assumer nos différences, en se cachant derrière un idéal d’égalité qui voudrait lisser toutes les spécificités de notre identité.
On sent l’auteur lui-même très malheureux de voir que l’identité française n’ose pas s’assumer et fait perdre à tous ceux qui viennent à son contact la possibilité de bénéficier de ce que cette identité a accumulé de bénéfique au cours des siècles.
C’est en partie pour cet attachement à ces particularités françaises que l’auteur est pratiqement mis mis au ban de ce qu’il est convenu d’appeler « les intellectuels modernes ».
Dommage pour l’évolution de la pensée, qui serait mieux servie par des débats réels plutôt que de nous offrir une version « XXIè siècle » des Sorcières de Salem.
Merci pour ces réflexions mais pour nous Chrétiens tous ces beaux discours sont nettement insuffisants.
La conclusion qui s’impose à nous est la suivante : prions avec ferveur pour la France.
Dans notre rosaire, récitons une dizaine pour ce pays choisi par Dieu, à la place si particulière parmi les toutes nations, consacré au Cœur Immaculé de Marie depuis bientôt 400 ans, en invoquant :
Sainte Geneviève
Saint Marcel
Saint Germain
Sainte Clothilde
Saint Rémi
Saint Denis
Saint Louis, roi de France
Sainte Jeanne d’Arc
Toutes les Saintes et tous les Saints français
les Saints Anges Gardiens de Paris et de la France
la Très Sainte Vierge Marie, conçue sans péché
C’est le SEUL remède.