Tant de gens dorment sous la tente. Les jours se rafraîchissent, la pluie menace, latente, sous forme d’une brume glacée. Les familles vont rester ainsi, dans l'incertitude, sans savoir quand l'aide réelle arrivera de la part du gouvernement et dans la peur que le peu de matériel rassemblé ne leur soit volé par des profiteurs. Des voisins, les universitaires, l’association « Un toit pour le Chili » et d’autres volontaires ont déjà beaucoup fait malgré les restrictions d’accès. Ceux que nous avons visités nous demandent tous de revenir. Alors nous essayons de ne pas trop nous disperser, de toujours repasser par les lieux où nous avons fait de vraies rencontres.
Alex : je vous attendais
Après une après-midi de marche, au moment de partir, je croise le regard d'un homme qui nous salue du haut de son mur. Il nous invite à entrer sur son terrain. Alex nous raconte sa vie. Il nous dit son regret d'avoir travaillé tant d'années dans les mines d’Antofagasta, d'avoir sacrifié sa vie de famille pour en arriver à tout perdre aussi brusquement. Mais il remercie tout de même la Providence car depuis l'incendie il a pu renouer avec les siens et en particulier avec sa fille. Puis, après une courte prière, durant laquelle il s'est retenu avec beaucoup d'efforts pour ne pas éclater en sanglot, il nous dit : "Ça faisait des jours que je vous attendais, je vous attendais, je vous attendais. Merci d'être venu. Je voudrais juste que vous ne repartiez pas avec tout ce poids sur vos épaules car vous devez aller voir d'autres gens qui ont besoin de vous".
Patricia : la vie est belle
Nous passions dans un ravin, la Quebrada Pictón, impressionnés par l’étendue des destructions. Nous saluons une petite famille. Ils nous invitent à prendre un café. Patricia et son mari sont mariés depuis qu’ils ont 14 ans. C’est une famille unie. Le mari, très courageux malgré son diabète, a déjà reconstruit une petite maison qui permettra à tout ce monde d’avoir un lieu plus digne. Avec eux, il y a une petite fille de 7 ans, Pascale. Elle est heureuse parce que le feu a laissé les fondations d’une de leurs deux maisons et parce qu’ils ont de l’eau. Elle est la force de Patricia, sa grand-mère, la catastrophe n’a pas effacé son sourire. Ils ont reçu de l’aide de la part d’amis qui ont toujours été bien accueillis dans la maison. Patricia me dit : « Nous recevons ce que nous avons semé ». Celle-ci nous raconte que la petite sœur de Pascale, âgée de 5 ans, a été choquée lorsqu’elle a vu l’état de la maison et du quartier. Alors sa grand-mère s’est mise à lui dire : « Avec les voisins, nous avons décidé de devenir des scouts. C’est pour ça que nous dormons sous la tente ! » Puis mettant sa main en porte voix, elle s’est mise à crier : « Ohé ! Voisins ! N’est-ce pas qu’on est des scouts ! Allez ! Tout le monde détruit sa maison et on dort sous la tente ! ». Devant la réponse affirmative et enthousiaste des voisins la petite fille a changé de visage. Depuis, elle ne rêve plus que de scoutisme…
Humberto : nous sommes de fer
Tant de témoignages. C’est Alberto et Marcela, son épouse, enceinte, qui nous accueillent avec un immense sourire. En effet, malgré leur abattement suite à l’annonce du maire de ne pas aider les familles vivant sur des terrains illégaux, depuis que nous avons prié ensemble, des jeunes sont venus leur proposer une maison. Pour certains, comme Daniel, cette épreuve s’ajoute à toute une litanie de souffrances accumulées durant la vie. Mais souvent, ils ne veulent pas craquer. Pas encore. Humberto, papa et jeune grand-père, parlant un français admirable – son père, français, avait été exilé du Chili – nous dit : « Nous sommes de fer, nous ne nous briserons pas, nous ne nous courberons pas. Aucune larme n’arrosera la terre de nos terrains avant que nous n’ayons quatre murs et un toit pour les cacher. » Et c’est vrai que beaucoup contiennent, résignés, toute leur peine. Elle ne peut pas sortir. Ce n’est pas le moment. Il faut tenir, affronter les mauvais rêves de la nuit, reconstruire. Mais la fatigue se fait de plus en plus lourde.
Continuer les visites
Après notre trop courte semaine de mission, les volontaires de Points-Cœur décident d’aller visiter ces familles chaque semaine. Maintenant il va falloir affronter l'hiver, la longue reconstruction, les alluvions en cas de forte pluie… Mais tous disent qu'ils ont la vie, que leur famille est en vie et que c'est cela le plus important… Tous finissent par lever les yeux au ciel, sans paroles – sans fausses paroles – et semblent dire que Dieu tient tout dans sa main. Tous ils affirment qu'Il les aidera. Mais ils manifestent aussi combien ce petit signe, cette présence toute simple est quelque chose d'essentiel pour eux, de décisif.
Alors, répandre ! Répandre dans la simplicité, dans l'humilité du presque rien de nos visites. Être hanté par cette phrase d'Alex : "Je vous attendais, je vous attendais, voilà des jours que j'attendais le passage du Christ".
Cher Denis, merci de te faire la voix des sans-voix, faisant ainsi rayonner sur nous les plaies du Pauvre. Je prie pour vous tous. En grande communion ! Ta sœur Marina
Chère Marina, c'est une joie de te retrouver sur le blog, en union de compassion.