© Musée d'Orsay
Un parcours nous fait découvrir Pierre Bonnard (1867-1947) du début de sa carrière, avec une affiche pour du Champagne, jusqu'à sa dernière toile – L'amandier –. Pourtant voué à une carrière en droit, Bonnard quitte ses études pour entrer aux Beaux-Arts puis à l'Académie Julian. Installé dans le quartier de Montmartre à Paris, il sort beaucoup, marche, découvre la vie de Paris. Il voit, observe, regarde, il lui faut "apprendre à mieux voir, à voir pleinement"[1]. Il déménagera de nombreuses fois tout au long de sa vie avant de s'installer dans une maisonnette baptisée "le Bosquet", au Cannet où il s'éteindra en 1947.
Un des premiers artisans du mouvement nabi, il est appelé pendant cinq ans le Japonard pour ses toiles décoratives très inspirées, à la manière des kakemonos.
De nombreuses salles nous entraînent ainsi par thèmes dans la vie discrète de cet homme aux soixante années de travail acharné : la salle de bain, les paysages débordants de couleurs, la nature prolifique, les scènes de vie parisiennes. "Représenter la nature quand c'est beau. Tout a son moment de beauté. La beauté, c'est la satisfaction de la vision. La vision est satisfaite par la simplicité et l'ordre. La simplicité et l'ordre sont produits par les divisions de surfaces lisibles, les groupements de couleurs sympathiques etc." (Note du 16 février 1932)[2]
Le regard de cet homme assoiffé de beauté, est dans toutes ses compositions. Son émotion, ce qui lui est propre, fait de sa peinture une œuvre toute personnelle. Ce qu'il voit, ressent et ce qu'il peint est inséparable. Il nous plonge dans sa réalité, dans son monde intérieur, intime. "Réalisme : Montrer qu'on était présent. (Note du 26 juin 1928)[3]. Puisque tous les peintres entreprennent les mêmes choses, se heurtent aux mêmes difficultés, utilisent les mêmes moyens, c'est que les différences proviennent de l'intérieur." (Note de 1945)[4]
Il ne peut faire abstraction de sa présence dans ce processus créateur, la copie exacte n'est pas son œuvre, mais faire vibrer les couleurs au rythme de la beauté de ce qu'il voit. "Nous copions les lois de notre vision – non les objets." (Note du 8 janvier 1928)[5]
"Il ne s'agit pas de peindre la vie, il s'agit de rendre vivante la peinture." (Note de 1946)[6]Ainsi la salle de bain toute blanche du Bosquet est révélée en explosion des couleurs de son émotion devant le corps de sa femme. Les mouvements de la nature, les reflets du soleil sur les arbres, sont tellement imprégnés dans l'artiste que sa mémoire, son émotion décuplent l'aspect vivifiant du tableau. "Il y a une formule qui convient très bien à la peinture : beaucoup de petits mensonges pour une grande vérité." (Note de 1945)[7]
Bonnard, le boxeur, © Musée d'Orsay
Le peintre est dans son œuvre comme le musicien est dans l'œuvre qu'il interprète. Il parcourt sa vie carnet de note à la main, où il dessine, croque, annote le temps qu'il fait, ses réflexions. Son observation est vive et il fait ainsi provision de vie. Il peint par nature et par mémoire, par touches, s'éloigne, laisse le tableau, revient. "Le pinceau d'une main, le chiffon de l'autre."[8] Punaisées à même le mur de son atelier, ses toiles habitent son quotidien, comme les objets qu'il y représente. "Les défauts sont quelquefois ce qui donne la vie à un tableau." [9]
On ne sort pas indemne de la découverte de Bonnard, mais heureux et désireux de voir la beauté de ce qui nous entoure comme lui la voit. Beauté des êtres, des animaux, des éléments de son décor, de la nature par la fenêtre, etc. "Minutie : elle peut conférer un grand intérêt à des objets peu significatifs." [10]
Sa vie pourtant ne fut pas toute heureuse, la douleur de la folie de Marthe a marqué de nombreuses années de sa vie, progressant au fil des ans en un fardeau de plus en plus lourd. "Celui qui chante n'est pas toujours heureux." (Note du 17 janvier 1944)[11]. Les autoportraits de Bonnard, sont de plus en plus denses et mélancoliques. Alors que le visage de Marthe est toujours subtil et fondu, celui de Bonnard ne cache pas une douleur, des yeux noirs, un visage tuméfié de boxeur. Sa douleur est là.
La beauté subtile de toutes ses toiles fait place également à une part de mystère de la vie, de la souffrance, de la beauté. "A offrir ainsi sa présence au monde d'émerveillé, par delà la mélancolie, il aide non seulement à ne pas désespérer, mais à garder confiance et à croire encore en la beauté." [12]
© Musée d'Orsay
[1] Pierre Bonnard , Observations sur la peinture, Introduction d'lin Lévêque, p.10, Ed. L'atelier contemporain 2015.
[2] Pierre Bonnard , Observations sur la peinture, p.30, Ed. L'atelier contemporain 2015.
[3] Pierre Bonnard , Observations sur la peinture, p.27, Ed. L'atelier contemporain 2015.
[4] Pierre Bonnard , Observations sur la peinture, p.52, Ed. L'atelier contemporain 2015.
[5] Pierre Bonnard , Observations sur la peinture, p.26, Ed. L'atelier contemporain 2015.
[6] Pierre Bonnard , Observations sur la peinture, p.53, Ed. L'atelier contemporain 2015.
[7] Pierre Bonnard , Observations sur la peinture, p.51, Ed. L'atelier contemporain 2015.
[8] Pierre Bonnard , Observations sur la peinture, p.57, Ed. L'atelier contemporain 2015.
[9] Pierre Bonnard , Observations sur la peinture, p.58, Ed. L'atelier contemporain 2015.
[10] Pierre Bonnard , Observations sur la peinture, p.63, Ed. L'atelier contemporain 2015.
[11] Pierre Bonnard , Observations sur la peinture, p.50, Ed. L'atelier contemporain 2015.
[12] Pierre Bonnard , Observations sur la peinture, Introduction d'Alain Lévêque, p.9, Ed. L'atelier contemporain 2015.